Sages-femmes demandées

Les mamans québécoises peinent à trouver des sages-femmes! Devant une demande en forte expansion, les possibilités de carrière se multiplient pour les diplômées… pourvu qu’elles acceptent des conditions de travail particulières.

Difficile de trouver un trou dans l’horaire d’Ariane Blais-Ouellette pour une courte rencontre. «Si on se voit lundi, il faudrait que ce soit en fin de journée, au cas où j’aie eu un accouchement durant la nuit précédente.» La jeune sage-femme de 28 ans, embauchée il y a un an à la Maison de naissance Côte-des-Neiges, s’adapte tranquillement aux exigences de sa profession : durant ses fins de semaine de garde bimensuelles, les appels et accouchements nocturnes la tiennent éveillée durant des heures. Et oui, ce week-end-là aussi, son sommeil aura été ponctué par l’arrivée de nouveaux humains en ce monde…

Les sages-femmes participent à 1 800 des 90 000 accouchements au Québec. Il n’y a pas deux ans, les diplômées du seul programme de formation universitaire pour sages-femmes déploraient le peu de perspectives d’emploi. Or, en 2012, les principales intervenantes du milieu parlent désormais d’un manque de main-d’œuvre. L’Ordre des sages-femmes du Québec, qui regroupe 150 membres, affirme que l’offre ne satisfait pas à la demande. Parmi les femmes enceintes de la province qui souhaitent un suivi en maison de naissance, seulement une sur trois parvient à l’obtenir. À Montréal, c’est une sur quatre.

L’augmentation du nombre de suivis de grossesse se fait lentement, au même rythme que la création de nouveaux postes de sages-femmes. Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux, une vingtaine verront le jour d’ici la fin de l’année. Cela devrait permettre à plus de 700 futures mamans de bénéficier des services d’une sage-femme. À la fin de la politique de périnatalité 2008-2018 du gouvernement, 250 nouvelles sages-femmes devraient être embauchées dans le réseau de la santé, et 10 autres maisons de naissance s’ajouteront au 9 existantes.

Ariane Blais-Ouellette, diplômée en juin 2011, est à l’image de la sage-femme un peu «grano» que plusieurs ont en tête : arborant de petits bijoux exotiques, la brunette aux boucles rebelles se déplace à vélo et passe ses week-ends de congé à la campagne. Fait-elle brûler des chandelles lors des accouchements? Elle éclate de rire : «Oui, mais à la demande des femmes! Les sages-femmes voient l’accouchement comme quelque chose de plus grand qu’un simple phénomène physique, alors les mères qui veulent y ajouter une dimension spirituelle et y intégrer des rituels sont libres de le faire.» Elle se fait rassurante : pas besoin d’être hippie pour être sage-femme, encore moins pour bénéficier de ses services.

Sceau officiel

Sa profession a été légalisée en 1999, après cinq ans de projets pilotes visant à vérifier la sécurité des accouchements hors du système hospitalier. Auparavant, il n’existait aucun encadrement de la pratique. C’est aujourd’hui l’Ordre des sages-femmes qui s’assure que seules ses membres en règle exercent la profession. Les sages-femmes sont aujourd’hui des employées contractuelles de l’État et sont rattachées aux maisons de naissance des centres de santé et de services sociaux (CSSS).

Comme ses collègues arrivées sur le marché du travail après 1999, Ariane Blais-Ouellette a été formée à l’Université du Québec à Trois-Rivières, seul établissement à offrir un baccalauréat en pratique de sage-femme. Environ une quinzaine de femmes en sortent chaque année avec leur diplôme en poche (un seul homme a reçu une offre d’admission depuis la création du programme… pour finalement se désister). Le baccalauréat, d’une durée de quatre ans, comporte six stages, dont un en milieu hospitalier.

«Il manque une génération de sages-femmes!» lance Christine St-Onge, responsable des services de sage-femme du CSSS Haut-Richelieu–Rouville, en Montérégie. En effet, entre le début des projets pilotes, en 1994, et la sortie de la première cohorte de diplômées, en 2003, il n’y a eu aucune nouvelle admission à la profession. Il manque des sages-femmes dans la tranche d’âge des 40 à 50 ans, et les plus anciennes commencent à prendre leur retraite, au rythme de deux ou trois par an. Pour Christine St-Onge, cette vague de départs ouvrira encore plus de postes pour les nouvelles diplômées.

Aux premières loges

Après avoir assisté à une centaine d’accou-chements durant ses études, Ariane Blais-Ouellette est maintenant responsable d’une quarantaine de suivis de grossesse par an, en plus des 40 autres de sa coéquipière, car les sages-femmes travaillent toujours en équipe de deux, pour assurer un relais durant les vacances et les jours de congé.

Le salaire d’une sage-femme débute à 50 000 $ et grimpe à 85 000 $ après une dizaine d’années. Cette échelle salariale se compare à celle d’une infirmière bachelière, quoique cette dernière a aussi la possibilité d’obtenir des primes d’horaire de nuit ou de week-end. La sage-femme, assujettie à des horaires de garde de 24 heures sur 24, obtient pour sa part une prime annuelle de 3 900 $ pour sa disponibilité. «Cela équivaut à seulement un dollar par heure de garde environ sur une année», déplore Claudia Faille, présidente du Regroupement Les Sages-femmes du Québec, qui négocie les conditions de travail de ses membres auprès du gouvernement. «Nous travaillons très fort pour faire reconnaître toute la responsabilité qui incombe à notre métier et pour être rémunérées en conséquence…»

À la différence des obstétriciens ou des médecins de famille qui font des suivis de grossesse, Ariane Blais-Ouellette ou sa coéquipière est présente aux accouchements de toutes les femmes que l’une et l’autre suivent. «C’est difficile d’être toujours sur appel, reconnaît-elle. Ne pas savoir si je serai au rendez-vous que je donne à une amie, ne pas pouvoir boire un verre si je vais dans une fête…» L’aspect le plus dur, cependant, demeure le manque de sommeil dû aux nuits entrecoupées.

Marleen Dehertog, de la Maison de naissance Côte-des-Neiges, admet que la disponibilité constante des sages-femmes et leurs horaires très variables sont difficiles pour la plupart d’entre elles. Certaines ont des problèmes de sommeil ou de digestion. «Cela crée également des tensions dans certaines familles, dit-elle. On fait le souper des enfants, et il faut partir immédiatement : cela demande un conjoint très ouvert.»

Ariane Blais-Ouellette a malgré tout les yeux qui brillent en parlant des accouchements auxquels elle prend part. «La naissance, c’est comme le bonbon de la profession. Je ne peux plus imaginer ma vie sans voir d’accouchements.»

Autour de la naissance

Plusieurs professionnels gravitent autour des femmes enceintes ou nouvellement mamans. En voici quelques-uns :

L’accompagnante à la naissance ou doula

Contrairement à la sage-femme, elle ne pose pas de geste médical. Les couples qui choisissent de faire affaire avec une accompagnante le font surtout par crainte des interventions médicales superflues et souhaitent qu’une tierce personne s’assure du respect de leurs volontés lors de l’accouchement. L’accompagnante est une travailleuse autonome, qui réclame entre 500 $ et 1 000 $ par suivi de grossesse. Ses services comprennent de trois à cinq rencontres prénatales, une présence lors de l’accouchement à l’hôpital et une ou deux rencontres postnatales.

Nancy Fortin est accompagnante à la naissance depuis 16 ans. Seule à offrir ce service dans sa région, au Saguenay, elle réussit à bien vivre de son métier, mais reconnaît que ce n’est pas facile pour plusieurs de ses collègues ailleurs dans la province. Des accompagnantes à la naissance sont également acupunctrices, aromathérapeutes ou homéopathes pour boucler les fins de mois. Certaines compagnies d’assurance remboursent maintenant les coûts d’une accompagnante à la naissance, lorsque celle-ci obtient le titre de naturopathe.

L’acupuncteur

Tous les acupuncteurs de la province sont titulaires d’un diplôme d’études collégiales techniques, mais certains se spécialisent en obstétrique. Ils peuvent faire des suivis de grossesse (pour soulager les nausées ou la fatigue, préparer le périnée et favoriser la relaxation en vue de l’accouchement), et certains offrent leurs services au moment de la naissance. Ils demandent alors de 500 $ à 800 $ à leur cliente, et doivent obtenir un privilège hospitalier temporaire pour être admis en salle d’accouchement, puisque les traitements d’acupuncture sont considérés comme des interventions.

La consultante en lactation IBCLC

Professionnelle certifiée par l’International Board of Lactation Consultant Examiners. Les préalables pour recevoir cette certification sont élevés : cours de science ou de santé du collégial et plusieurs centaines d’heures d’expérience en conseils sur l’allaitement. Quelques infirmières obtiennent la certification afin de pouvoir offrir un soutien plus pointu aux femmes qui allaitent. Les consultantes peuvent travailler en pratique privée et faire des visites à domicile, ou avoir le statut de contractuelles en milieu hospitalier ou en CLSC.

La marraine d’allaitement

Contrairement à la consultante en lactation, la marraine d’allaitement est bénévole. Les marraines sont elles-mêmes des mamans qui ont une expérience de l’allaitement et qui s’offrent pour guider, encourager et conseiller les mères qui allaitent.

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