Le génie québécois brûle les planches!

Photo : Gracieuseté de Moment Factory

Madonna au Super Bowl, les spectacles du Cirque du Soleil, l’opéra Der Ring de Wagner mis en scène par Robert Lepage à New York : le génie québécois a joué un rôle essentiel dans chacune de ces productions de calibre mondial. Visite d’un univers un brin jet set.

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Les carrières de l’ingénierie.

Au moins une fois toutes les deux semaines, l’ingénieur junior Richard Hachem a un «moment Eurêka». Non, il n’a pas mis au point un revêtement inédit pour les routes ni un design novateur de moteur électrique. Il a plutôt amélioré un projet interactif, comme celui de la Vitrine culturelle de Montréal. Cette billetterie nouveau genre, située rue Sainte-Catherine, utilise des écrans tactiles et une sculpture numérique pour diffuser de l’information sur les spectacles dans la métropole.

Derrière ses deux écrans d’ordinateur dans les bureaux lumineux de la boîte Moment Factory, à Montréal, ce diplômé en génie informatique titulaire d’une maîtrise en génie électrique contribue à l’industrie des arts numériques, scéniques et du multimédia. Un domaine en plein essor au Québec depuis deux décennies, même s’il demeure difficile d’évaluer le nombre d’entreprises qui y évoluent.

C’est un boulot à la fois très créatif et très scientifique.
Richard Hachem, ing. jr, Moment Factory

Les ingénieurs y jouent un rôle clé, concevant des scènes et des décors complexes (dans le cas des arts scéniques) ou des effets visuels au moyen d’ordinateurs (arts numériques et multimédia).

Pourtant, le secteur demeure encore mal connu. Richard Hachem lui-même n’en avait jamais entendu parler avant d’arriver chez Moment Factory, au détour d’un contrat pour un artiste visuel, il y a trois ans. Depuis, il est comblé. «C’est un boulot à la fois très créatif et très scientifique», raconte ce jeune homme au crâne rasé, qui travaille en t-shirt plutôt qu’en complet.

Concevoir du rêve

C’est notamment grâce à la présence d’artistes d’envergure internationale comme Céline Dion, Robert Lepage ou les gens du Cirque du Soleil que l’ingénierie des arts de la scène a pris son envol. «Pour qu’une expertise se développe, il a fallu qu’il y ait des projets intéressants. C’est l’oeuf et la poule!» explique Hélène Demers, directrice générale de Scène Éthique. Cette compagnie de Varennes fabrique du «rêve de qualité industrielle», comme le dit sa devise, c’est-à-dire des scènes et des éléments de décors pour des opéras, des pièces de théâtre ou des spectacles musicaux. Parmi ses faits d’armes : l’imposante machine de 45 tonnes qui sert de décor mouvant aux quatre opéras du Ring de Wagner, mis en scène par Robert Lepage et présentés à New York depuis 2010.

La compagnie emploie deux ingénieurs juniors en mécanique. «Ils travaillent avec les chargés de projet pour la conception et les essais», dit Hélène Demers. Les structures sont ensuite vérifiées par un ingénieur-conseil.

Je suis là pour mettre les limites. Parfois, les scénographes me trouvent un peu casseux de party!
Pierre Rodrigue, ing., GENIVAR

Et ce n’est pas la seule entreprise à avoir poussé au Québec. En effet, l’utilisation de technologies spécialisées est de plus en plus fréquente dans les spectacles en tous genres pour en mettre plein la vue au public. «Les installations multimédias sont très demandées », confirme Vincent Pasquier, directeur de la section technologie et innovation de Moment Factory. La transformation éclair du terrain de football en gigantesque écran de projection pour le spectacle de Madonna à la mi-temps du dernier Super Bowl, c’est eux.

Casser le party

Pierre Rodrigue est directeur des projets scénographiques à la firme de génie-conseil GENIVAR. Ingénieur civil spécialisé en structures, il a d’abord travaillé chez Stageline – chef de file en conception et fabrication de scènes mobiles. Son boulot? Assurer la sécurité du public et des artistes. «Je suis là pour mettre les limites. Je m’assure que les soudures sont au bon endroit, que le trapèze pourra supporter le poids nécessaire, que le lustre va tenir. Parfois, les scénographes me trouvent un peu casseux de party!»

Dans ce domaine, l’ingénieur-conseil doit d’ailleurs trouver les bons mots pour expliquer les faiblesses des structures et autres éléments scéniques d’un spectacle sans heurter les sensibilités des concepteurs. Il doit également proposer des solutions créatives qui respectent le projet artistique.

Sans compter que les délais sont parfois serrés, un défi qui s’ajoute aux contraintes souvent nombreuses et complexes. Par exemple, certains dispositifs scéniques doivent pouvoir être transportés par avion et montés en quelques heures à peine. Le tout, en respectant le budget de la production!

Innovateurs recherchés

Pour travailler dans ce domaine, il faut être passionné par la création et, comme Pierre Rodrigue, être fasciné par la «magie» du spectacle. «On veut des gens qui souhaitent innover. On n’a pas besoin de quelqu’un qui veut réinventer le bouton à quatre trous!» explique de façon imagée Hélène Demers.

En arts numériques aussi, on cherche des candidats audacieux. «Ce sont les ingénieurs qui résolvent des grosses problématiques liées à des obstacles technologiques, comme faire fonctionner plusieurs projecteurs en même temps sur un écran en gardant une bonne qualité d’image», dit Vincent Pasquier. Le tout, pour le plus grand plaisir du public.

Un certificat tout neuf

En 2010, l’École Polytechnique Montréal a créé la toute première formation en génie scénique au Québec. Offert de soir et à raison de deux cours par session, le certificat Technologies des arts de la scène se veut une introduction au monde du spectacle. Il est proposé tant aux diplômés en génie (technologues ou ingénieurs) qu’aux techniciens formés en production théâtrale.

Devant la croissance du domaine des arts de la scène au Québec, il fallait transmettre aux travailleurs de l’ingénierie le vocabulaire et les rudiments du fonctionnement technique du monde des arts. «En gros, on touche à la mécanique et à l’électricité pour la conception et la réalisation d’éléments scéniques, comme les décors, la machinerie et les effets visuels», explique André Simard, coordonnateur du programme. Le programme comprend aussi une présentation de l’histoire des arts de la scène.

Pour exceller dans le domaine, une bonne capacité à travailler en équipe est nécessaire, car le diplômé exercera son métier avec des artistes, des metteurs en scène et des directeurs artistiques. La minutie et la rigueur sont aussi essentielles, selon André Simard. «Quand il y a un mouvement d’équipement sur scène, tout est calculé au millimètre près. Il faut préserver la sécurité du public, si une structure est accrochée au-dessus d’eux, par exemple, et celle des artistes suspendus dans les airs.» Une vingtaine d’étudiants sont admis par année à ce programme de 30 crédits.

Cet article est tiré du guide
Les carrières de l’ingénierie 2013