La consommation de cannabis et le travail avant et après la légalisation

« Je suis une jeune diplômée et je vais entrer en fonction dans 1 mois pour un travail de conseillère en marketing avec de grandes responsabilités.  Je fume du cannabis tous les soirs.  Est-ce que l’examen médical d’entrée va déceler cette consommation?  Mon employeur va-t-il savoir que je consomme du cannabis fréquemment? Que va-t-il en penser? »

« J’ai un diplôme d’études collégiales en électricité et 3 ans d’expérience comme monteur de ligne. Je fume du cannabis toutes les fins de semaine, parfois aussi le jeudi après le travail, avec quelques collègues. Est-ce que mon employeur peut demander des tests? Que peuvent-ils déceler? Quelles seraient les conséquences sur mon emploi? »

« Je suis un travailleur de la construction et parfois quand la journée me semble trop longue,  je me roule un petit joint sur l’heure du dîner. Juste un. Personne ne le sait. »

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Ces questions importantes nous amènent à rappeler que la légalisation de cannabis ne modifiera pas les obligations des entreprises d’assurer un milieu de travail sain et sécuritaire ni celles de l’employé d’effectuer son travail avec prudence et diligence, ni les conséquences pour tous de ne pas répondre à ces obligations.

Mais cette légalisation sera encadrée de mesures de prévention et d’accompagnement de la consommation à risque et de problèmes de dépendance en milieu de travail. Ces mesures seront détaillées dans une politique du milieu de travail claire et connue.

La prévalence de la consommation de cannabis avant et après la légalisation

Les données québécoises (2014-2015), nous indiquent que 41,7% des 18-24 ans et 21% des 25 à 44 ans auraient consommé du cannabis pendant l’année.  Si on tient compte de tous les groupes d’âge, 15% de la population mentionnait avoir pris du cannabis dans la dernière année.  Parmi ces consommateurs,

  • 52 % des consommateurs font usage de cannabis moins d’une fois par mois;
  • 15 % en consomme de 1 à 3 fois par mois;
  • 8 % en font usage 1 fois par semaine;
  • 13 % en font usage plus d’une fois par semaine;
  • 11 % en font usage à tous les jours.

Chez les 18-24 ans, 9,6 % des consommateurs en prennent tous les jours, mais chez les 25-44 ans ce sont  12 % des consommateurs qui en prennent quotidiennement. Les hommes sont plus nombreux que les femmes à consommer.

En ce qui concerne l’occupation de ces personnes, peu de données sont disponibles pour le Québec. On observe que les étudiants affichent la prévalence la plus élevée de consommation de drogues au cours des 12 derniers mois, soit plus de 35%. La proportion est de 17% chez les travailleurs, de 17% chez les personnes sans emploi et de 2,9% chez les retraités. La prévalence de la consommation de cannabis est également plus importante chez les étudiants (34%) que chez les personnes des autres catégories.

L’imminence de la légalisation du cannabis au Canada

La légalisation du cannabis au Canada est imminente, probablement que ce sera chose faite en juillet 2018.  Et personne ne peut vraiment, pour le moment, prédire l’impact réel de cette nouvelle réalité sur la consommation des québécois.

Une analyse comparée des expériences de régulation du cannabis (Octobre 2017), au Colorado, dans l’état de Washington et en Uruguay conclu, avec plusieurs bémols liés à la nature même de la régularisation, que :

  • la consommation récente des mineurs n’a pas augmenté
  • celle des 18-25 ans aurait connu une légère hausse au Colorado, mais une légère baisse dans l’état de Washington
  • celle des 26 ans et plus a connu une augmentation significative au Colorado.

Et en milieu de travail?  Se basant sur le Quest Diagnostics Drug Testing Index, l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréées indique que, suite à la régularisation du cannabis, le taux de tests positifs au cannabis en entreprise aurait augmenté de 20% au Colorado et de 23% dans l’état de Washington comparativement à 5% dans les états où le cannabis n’avait pas été régularisé. Cet indicateur est-il le bon? Et que se passera-t-il chez nous?

Selon ces chiffres, la consommation de cannabis, déjà bien présente chez les jeunes principalement pourrait augmenter chez les adultes.

Les effets positifs du cannabis sont donc appréciés par une grande proportion de la population

Parmi les effets positifs, les consommateurs décrivent une sensation de bien-être, de gaité, d’insouciance, une certaine altération de la perception du temps et de l’espace, des sons… Une expérience agréable, le plus souvent en compagnie, mais aussi en solitaire, puis d’une certaine torpeur, d’un ralentissement physique et mental.

D’autres parlent d’effets positifs sur leur santé par la prise de cannabis agissant sur une douleur chronique, des nausées, des vomissements, certains symptômes de la sclérose en plaques. Il y aussi ceux qui consomment du cannabis pour être en mesure de travailler, par exemple pour diminuer leur stress face à une demande trop forte de l’emploi, pour se – désennuyer – d’une tâche trop répétitive, pour prendre moins au sérieux un environnement ou une équipe de travail difficile.

… Mais les risques associés à la consommation demeurent

En milieu de travail, les effets nocifs du cannabis sur la mémoire à court et à moyen terme, l’attention, la concentration, l’affaiblissement des réflexes, le ralentissement du temps de réaction et l’abaissement des facultés à conduire un véhicule moteur peuvent nuire à la réalisation efficace des tâches mais aussi, à la sécurité des acteurs de l’entreprise.

Des secteurs ou des tâches sont particulièrement à risque, on le comprendra : le transport, les soins de santé. L’application de la loi, où les symptômes liés à l’affaiblissement des facultés – mobilité, coordination, perception ou sensibilisation réduites – peuvent accroître les risques de dangers, de blessures et de décès.  La mémoire du travail, celle qui se rappelle des tâches apprises pour les répéter, mais aussi pour faire mieux de fois en fois serait aussi affectée.

Au-delà des effets immédiats, la consommation régulière peut provoquer des problèmes à plus long terme.  Certaines études tendent ainsi à démontrer la perte de motivation au travail. L’association de problèmes mentaux et de consommation de substances psychotropes est également reconnue. Pas seulement les symptômes psychotiques, mais aussi les problèmes d’anxiété, de dépression sont souvent associés à la consommation régulière de cannabis. Il y a aussi possibilité de trouble d’utilisation de cannabis (dépendance).

La légalisation du cannabis offre peut-être une bonne occasion de vérifier ses choix face à la consommation de cannabis et le travail.

Au-delà de ce que peut ou pas exiger un employeur,  la légalisation est peut-être une bonne occasion pour chaque travailleur de penser à ce qui est important et à faire des choix personnels et professionnels en matière de consommation de cannabis.  Des choix qui ont trait à la qualité de vie personnelle et professionnelle plutôt qu’à la légalisation. Des décisions qui portent sur les contextes, les quantités, le moment et la fréquence, la composition du cannabis que vous souhaitez ou non consommer.  Qui portent aussi sur la consommation simultanée de plusieurs produits (par exemple, alcool + cannabis) qui provoquent souvent des effets surprenants et inattendus et multiplient les risques.

En quoi votre emploi est-il important? Quel niveau de performance voulez-vous atteindre? Quelles sont les fonctions mentales dont vous avez besoin pour accomplir efficacement votre travail? Ce travail comporte-t-il des risques pour votre sécurité ou celles de vos collègues?  En quoi la consommation de cannabis peut-elle vous aider? En quoi peut-elle vous nuire?

Quelles sont vos responsabilités face à votre travail? Quelles sont les obligations de votre employeur à l’égard de votre consommation de cannabis? Qu’en pensez-vous?

Que retirez-vous de votre consommation de cannabis? Qu’est-ce qu’il vous en coûte si c’est le cas? Est-ce que cela répond toujours bien à votre besoin? Où pourriez-vous trouver les mêmes avantages…sans les désavantages?

Que se passerait-il de mauvais si vous tentiez de vous assurer que votre consommation de cannabis n’est jamais un risque pour votre travail? Que se passerait-il de bien?

Pour vous aider dans votre réflexion et peut-être vous orienter dans votre décision et sa mise en application, vous pourriez voir l’application Stop-Cannabis qui vous permet en toute intimité et confidentialité d’évaluer votre consommation et de voir ce que vous allez en faire de mieux pour vous-même.  Stop-cannabis.ch

Par Candide Beaumont, Directrice clinique,  Association des Intervenants en dépendance du Québec (AIDQ).

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Candide Beaumont

L’Association des intervenants en dépendance du Québec (AIDQ) est un organisme à but non lucratif qui regroupe les intervenants de tous les milieux intéressés au domaine des dépendances au Québec, soit les milieux publics, communautaires et privés, ceux de la santé publique, de l’éducation, ainsi que les milieux universitaires, de la recherche, de la sécurité publique et du monde du travail. Elle a pour mission de valoriser et de soutenir l’intervention dans la prévention, le traitement et la réinsertion sociale des personnes aux prises avec une dépendance et celles à risque de le devenir, par le développement des compétences, la concertation et la mise en commun des expertises. Pour plus d'informations, rendez-vous sur aidq.org