La conciliation travail-famille pour les avocats

Illustration : Katrinn Pelletier, colagene.com
Illustration : Katrinn Pelletier, colagene.com

Le travail d’avocat est exigeant. Soit. Mais il est possible d’avoir une carrière intéressante sans mettre une croix sur sa vie personnelle. En effet, de plus en plus de cabinets se mettent à l’heure de la conciliation travail-famille.

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En pratique privée, les horaires sont traditionnellement très chargés. Et plus encore dans l’univers des grands cabinets. «Il s’agit d’un milieu très compétitif. Les clients peuvent être tellement exigeants qu’ils s’attendent, de la part de leurs avocats, à une disponibilité presque constante», affirme Me Francine Larouche, présidente du Comité sur la conciliation travail-famille du Barreau du Québec.

Mais les temps changent! Il est maintenant possible d’avoir une carrière intéressante sans tout sacrifier. «Mes responsabilités à l’égard de mes enfants de 6 ans et de 18 mois ne m’empêchent pas de pratiquer la profession que j’adore, le litige au sein d’un grand cabinet. Je suis même devenue associée alors que j’étais enceinte!» témoigne Me Marie-Ève Dufresne, avocate chez McCarthy Tétrault à Montréal.

Même son de cloche de la part d’Annie Tremblay, 31 ans, avocate et mère d’un jeune enfant de 2 ans. Et elle souhaite en avoir au moins un autre, tout en vivant pleinement sa carrière d’avocate en litige chez Cain Lamarre Casgrain Wells à Chicoutimi.

Horaires allégés et travail d’équipe

Autant Me Tremblay que Me Dufresne se font un point d’honneur d’aller chercher leurs enfants à la garderie et de prendre leurs soupers en famille. «Il est rare que je sois au bureau après 17 h 15. Par contre, je commence mes journées à 7 h 30», précise Me Tremblay.

L’horaire de Me Dufresne lui permet également de passer du temps en famille. Elle est au bureau vers 8 h 30 et repart autour de 18 h. «En revanche, il n’est pas rare que je travaille très tôt le matin avant le réveil des enfants, ou le soir une fois qu’ils sont couchés», ajoute l’avocate de 36 ans.

Mais comment parviennent-elles à tout concilier? Elles ont négocié des horaires allégés et elles travaillent en équipe, ce qui permet de répartir les dossiers et les urgences, au besoin. Elles peuvent aussi travailler à distance, par exemple lorsque les enfants dorment.

Un sondage effectué en 2009 pour l’Association du Jeune Barreau de Montréal relevait qu’aux yeux d’un jeune avocat sur deux, le fait d’avoir un enfant nuirait à son avancement professionnel.

C’est ainsi qu’avant la naissance de son premier enfant, Me Dufresne devait générer de 1 900 à 2 000 heures facturables, annuellement. Aujourd’hui, l’objectif est plutôt de 1 400 heures. «Je peux aussi refuser de prendre de nouveaux dossiers si je m’aperçois que je vais manquer de temps», dit-elle.

Quant à elle, Me Tremblay a un objectif de 1 500 heures facturables. Toutefois, comme le dit Me Dufresne, «en pratique privée, ce type d’arrangement n’a rien d’une évidence». Car ce milieu, et plus particulièrement encore celui des grands cabinets, est réputé pour être très exigeant. Les heures facturables peuvent atteindre 2 400 par an, observe Me Caroline Haney, qui dirige sa propre firme de recrutement, Recrutement Juridique Haney.

Un sondage effectué en 2009 pour l’Association du Jeune Barreau de Montréal (AJBM) relevait d’ailleurs qu’aux yeux d’un jeune avocat sur deux, le fait d’avoir un enfant nuirait à son avancement professionnel. Une proportion qui atteint neuf femmes sur dix exerçant en grand cabinet!

La conciliation progresse

Les mentalités évoluent, affirme la présidente de l’AJBM. Au point où les histoires réussies de conciliation travail-famille se multiplient, témoigne Me Marie Cousineau. «L’attitude des dirigeants a beaucoup changé au cours des trois ou quatre dernières années. On voit bien plus d’ouverture sur la conciliation travail-famille.»

Par exemple, davantage de bureaux acceptent de diminuer le nombre d’heures facturables de leurs jeunes avocats, qu’ils soient ou non déjà parents. «Et je vois même apparaître, ici et là, des semaines de quatre jours de travail, ce qui était impensable il y a quelques années à peine», ajoute Me Cousineau.

Certains bureaux d’avocats, surtout de petite taille, ont déjà attrapé la balle au bond. Le cabinet Welch Bussières, par exemple, a remporté des prix et des distinctions du ministère de la Famille et des Aînés et du Barreau du Québec, pour son approche innovatrice en matière de conciliation travail-famille. Dans ce cabinet, le nombre d’heures facturables est limité à 1 400. De plus, Welch Bussières assigne quatre ou cinq avocats par dossier d’importance, afin de partager l’expertise et de limiter les risques qu’un avocat ne puisse pas être joint en cas de nécessité.

À cause des horaires de travail, je constate que beaucoup d’avocates en cabinet, une fois devenues mères, veulent changer de milieu et devenir conseillères juridiques en entreprise. Si ce n’est pas au premier enfant, c’est au deuxième, presque à coup sûr.
Me Caroline Haney

«Si je veux attirer des talents, je n’ai pas d’autre choix que d’offrir des conditions de travail synonymes de qualité de vie, car la compétition pour les talents est très vive», dit l’avocat Jean-François Welch, associé du bureau de Québec. Cofondateur du cabinet créé en 2007, Me Welch constate que les demandes de stage ne cessent d’augmenter. «On ne fait pas de publicité et on reçoit les candidatures des meilleurs étudiants. Nos conditions de travail y sont pour beaucoup», croit-il.

Le cabinet montréalais Delegatus est aussi un ardent partisan de l’équilibre travail-famille. La présidente fondatrice de ce cabinet, Pascale Pageau, dit recruter des avocats d’expérience au profil entrepreneurial qui recherchent une «meilleure qualité de vie».

«Il revient à chaque avocat de décider du nombre d’heures qu’il fera. Cela peut être aussi peu que trois jours par semaine», explique Me Pageau, qui se dit «surprise» du nombre élevé de CV qu’elle reçoit. Démarré en 2005, Delegatus compte 17 avocats et affirme avoir triplé son chiffre d’affaires au cours des deux dernières années.

Tout n’est pas gagné

Chose certaine, les cabinets d’avocats sont loin d’avoir tous appuyé sur la touche «conciliation». «À cause des horaires de travail, je constate que beaucoup d’avocates en cabinet, une fois devenues mères, veulent changer de milieu et devenir conseillères juridiques en entreprise. Si ce n’est pas au premier enfant, c’est au deuxième, presque à coup sûr», observe Me Caroline Haney.

Que faire si l’on souhaite mener une carrière en cabinet tout en ayant une vie de famille? «Si on vise ces deux objectifs, on aura alors tout intérêt à bien magasiner son futur employeur. Car en matière de conciliation travail-famille, les cabinets ne sont pas tous égaux. Même si de plus en plus d’employeurs se penchent sur la question, il reste beaucoup de chemin à faire…», constate Me Larouche.

Conseils pour joindre l’utile à l’agréable

Voici quelques suggestions pour réussir à allier carrière et vie de famille.

  • Donnez-vous à fond pendant vos cinq ou six premières années de pratique afin de «prendre de la valeur». «Accumulez le plus d’expérience possible. Approfondissez vos connaissances, vos contacts. Faites vos preuves. C’est ensuite – seulement – que vous pourrez demander à diminuer la charge de travail», soutient Me Pascale Pageau, présidente du cabinet Delegatus.

  • Osez. Les dirigeants de cabinet sont souvent prêts à accommoder les jeunes avocats performants devenus parents. «Prenez votre courage à deux mains et n’hésitez pas à cogner à la porte», dit Me Dufresne, de McCarthy Tétrault.

  • Faites-vous aider. Prévoyez des solutions au cas où vous devez rester au bureau plus longtemps que prévu. «Par exemple, entendez-vous d’avance avec quelqu’un, un conjoint, un parent ou un ami, pour aller à la garderie en cas de besoin. Faites appel à une aide ménagère pour préparer des repas d’avance», suggère Me Tremblay, de Cain Lamarre Casgrain Wells.

Cet article est tiré du guide
Les carrières du droit 2013