Startup : des erreurs qui payent

S’acharner, développer son humilité, s’entourer d’employés dégourdis. Ces principes peuvent sauver votre entreprise Web, si on en croit les entrepreneurs endurcis qui ont partagé leur expérience dans le cadre du Festival International du Startup, qui s’est tenu le mois dernier, à Montréal. Quelques leçons à retenir.

De son propre aveu, la Torontoise Sarah Prevette a fait des gaffes «effroyables» au cours de ses trois démarrages d’entreprise Web. Celle que le magazine new yorkais Inc. classe parmi les meilleurs entrepreneurs en Amérique du Nord a partagé son savoir chèrement acquis avec quelque 1 100 participants inscrits au Festival International du Startup, qui s’est tenu pour une première fois du 13 au 15 juillet dernier au Vieux-Port de Montréal.

En conférence, elle s’est surtout attardée au «plateau du désenchantement», soit cette phase critique où une entreprise Web ayant connu un départ fulgurant ne suscite plus la même effervescence. Les utilisateurs semblent déserter, les médias d’information jettent leur dévolu sur un nouveau joueur. «C’est un sentiment terrible», témoigne Sarah Prevette, qui donne aussi des conseils d’affaires sur son blogue. «On en perd le sommeil, on s’use l’émail des dents à force de grincements. Beaucoup d’entrepreneurs sabordent leur navire à ce moment pour se lancer dans une autre startup, qui échouera sans doute à son tour sitôt que les nuages s’installeront.»

Or, c’est quand la tempête se lève qu’il faut justement s’accrocher au gouvernail, croit-elle. «Les entrepreneurs à succès sont ceux qui persévèrent. Il faut tomber amoureux de ses problèmes et consacrer toutes ses ressources à les résoudre.»

Pour comprendre où le bât blesse, elle conseille aux créateurs de startup de faire un bilan de santé quotidien de leur entreprise sur un tableau de bord : flux de trésorerie, nombre de clients perdus, revenus, etc. «Il faut garder la tête froide, appliquer la méthode scientifique pour corriger les failles.» Certes, ces tâches peuvent paraître mornes, admet-elle, mais tout ce qui a été construit s’effondrera si l’entrepreneur ne solidifie pas la charpente. Il doit se démener comme un diable dans l’eau bénite. «Bâtir une entreprise exige une somme astronomique d’efforts. Si vous comptez vos heures, vous n’êtes pas à votre place», dit-elle sans détour.

Selon l’entrepreneure, l’ennemi numéro un du créateur d’entreprise est son propre égo – un égo surdimensionné qui l’empêche de reconnaître ses erreurs et de corriger le tir. En revanche, son meilleur ami est le client : il devrait être écouté avec la plus grande attention. «Ses questions vous aideront à comprendre en quoi votre produit, que vous estimiez pourtant génial, ne correspond pas en tous points à ses besoins. C’est difficile à accepter, mais ô combien payant… Après tout, c’est le client qui achète.»

En début de parcours, Sarah Prevette conseille aussi de rencontrer les clients soi-même plutôt que de déléguer cette tâche à un employé qu’on juge plus «sociable». «Beaucoup de créateurs de startup détestent se vendre. Ils préfèrent développer leur vision en tête à tête avec l’ordinateur. Pourtant, ils sont les mieux placés pour expliquer leur produit, car ils le connaissent à fond. Et ils ont tout intérêt à rencontrer ceux à qui il est destiné, histoire de l’améliorer en fonction de leurs préoccupations.»

Tisser serré

Certes, l’entrepreneur n’a pas le don d’ubiquité. Si la croissance est au rendez-vous, viendra le jour où il ne pourra à la fois raffiner son produit, le vendre, s’occuper de la comptabilité et laver le plancher. Se dessine alors une autre phase cruciale : bâtir son équipe. Firoz Patel, le Montréalais qui a fondé AlertPay, compétiteur de PayPal, s’est entouré de 100 employés depuis les débuts de son entreprise, en 2004. Lui aussi a témoigné de son expérience lors du Festival International du Startup.

«Une des erreurs les plus communes est d’embaucher ses amis parce qu’on leur fait confiance, alors que leurs habiletés ne complètent pas forcément les vôtres», dit-il. D’où l’importance de déterminer avec précision quels sont les talents dont l’entreprise a besoin pour croître. Par ailleurs, l’amitié n’est pas garante de relations professionnelles harmonieuses. «Si on décide d’engager son copain, il faut officialiser ses tâches et vos attentes par écrit, de manière formelle, comme ce serait le cas avec un étranger. Et veiller à ce qu’il ne profite pas de votre amitié pour arriver en retard ou prendre des pauses de trois heures le midi.»

Pour Firoz Patel, la solidité d’une équipe repose sur la capacité du chef d’entreprise à communiquer sa vision avec enthousiasme. «Les employés doivent sentir que cette compagnie est aussi la leur, que nous faisons partie d’une aventure commune.» Quand il a déménagé son entreprise dans des locaux plus spacieux, toute son équipe s’est mobilisée pour repeindre et décorer, se rappelle-t-il.

Ce sentiment d’appartenance fait qu’ils accepteront plus aisément des sacrifices salariaux en période de vaches maigres, par exemple. À condition, bien sûr, que leur loyauté et leurs efforts soient récompensés. Au début d’AlertPay, un programmeur talentueux a accepté de travailler pour l’entreprise moyennant 50 $ par semaine! «Aujourd’hui, sept ans plus tard, il est chef de la recherche et du développement. Il faut être reconnaissant vis-à-vis des gens qui se sont engagés à fond dans la réalisation de votre rêve.»

Chemin faisant, certains des employés les plus brillants de Firoz Patel sont allés voir si l’herbe était plus verte ailleurs. «Un conseil : s’ils veulent revenir, ne faites pas l’orgueilleux, reprenez-les! C’est flatteur : cela signifie que vous avez réussi à bâtir une ambiance de travail stimulante et agréable.»

Selon lui, la responsabilisation fait le bonheur des troupes. «Le plus beau cadeau qu’on puisse offrir à ses employés est de leur faire réaliser qu’ils sont assez compétents pour prendre leurs propres décisions.» Une tasse de psychologie ajoutée à une pinte de sang-froid et trois gallons de courage, et vous voilà sur les traces de Steve Jobs!

Festival International du Startup de Montréal

Ce n’est qu’un début

Avis aux ambitieux qui rêvent de créer le prochain Twitter : Montréal a désormais un festival du startup, qui rassemble des gourous influents de l’industrie des technologies numériques. L’événement s’est tenu pour une première fois en juillet dernier. Une initiative du Montréalais Philippe Telio, avec qui le Magazine Jobboom s’est entretenu.

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de créer cet événement?

Depuis 2008, je participe à l’organisation des Startup Camps, à Montréal. Ces forums, qui réunissent des entrepreneurs en démarrage et des investisseurs locaux des secteurs de la mobilité, du jeu et des réseaux sociaux, gagnaient en popularité, assez pour que nous osions donner plus d’envergure à l’événement. Nous voulions attirer des stars mondiales de l’industrie des technologies, des gens avec qui nombre d’entrepreneurs rêvent d’échanger. Parmi eux, David McClure et Chris Shipley. Les deux ont sauté à pieds joints dans notre projet. Ils nous ont aidés à attirer une quarantaine d’entrepreneurs technos chevronnés pour traiter, en conférence, des pièges à éviter en période de croissance, de l’art de bâtir une équipe et de la vente d’une entreprise, entre autres.

En parallèle, des centaines de créateurs de startup ont aussi l’occasion de présenter leurs projets à des investisseurs. On a même recruté des grands-mères pour siéger au jury du concours de projets dont le pitch est le plus facile à comprendre, suivant le principe que les meilleures présentations sont celles que votre grand-mère peut saisir…

En ce qui a trait aux technologies d’Internet, du mobile et du jeu, les entrepreneurs en démarrage ont le vent dans les voiles à Montréal. Les gens sont galvanisés par les destins spectaculaires des créateurs de Google et de Facebook, qui ont bâti des empires avec un financement de base négligeable. Dans ce secteur, avec une bonne idée et 50 000 $, on peut changer le monde!

Quel est le profil type du créateur de startup?

J’observe que les entreprises technos ayant du succès réunissent, à la base, un programmeur doué et un designer capable de concevoir une interface agréable pour l’usager. Ces spécialistes sont souvent de nature plutôt introvertie. C’est pourquoi l’entrée en scène d’un partenaire habile en vente est cruciale lorsque le produit est prêt à être lancé. Le maillage professionnel est la clé pour permettre aux entrepreneurs de se démarquer. Ils doivent se rencontrer, parler de leurs projets, explorer des partenariats possibles, apprendre des misères et des succès des autres. C’est d’ailleurs l’idée qui sous-tend le Festival International du Startup.

En quoi les startups sont-elles importantes pour l’économie du Québec?

Elles sont carrément fondamentales. Si, dans les prochaines années, on arrive à créer une entreprise sur 10 000 de la taille de Twitter, les retombées sur le plan de l’emploi et de la richesse au Québec seront remarquables.

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