La famille tuée dans l’oeuf?

Photo : Maude Chauvin

Changer des couches n’a pas la cote au Québec. En témoignent le taux de fécondité anémique, le nombre élevé d’avortements et l’âge moyen du premier accouchement, qui approche maintenant les 30 ans. Sommes-nous trop égoïstes et matérialistes pour faire de la place aux enfants dans nos vies? Peut-être. Mais il semble surtout que le culte du travail fasse la vie dure aux berceaux.

(Texte tiré de nos archives et initialement paru en mai 2006.)

Hystérique. Il n’y a pas d’autre mot pour décrire l’état de Rachel lorsqu’un test de pharmacie lui a révélé qu’elle était enceinte, en novembre dernier. «C’est comme si on m’avait annoncé la fin du monde», raconte cette professionnelle des communications de 30 ans. «Dès cet instant, j’ai su que je n’allais pas garder l’enfant. Je n’ai pas hésité à me faire avorter.»

Cela en dépit du fait que son mari, avec qui elle forme un couple solide, souhaite fonder une famille. Et qu’ils ont tous deux un emploi stable, bien rémunéré. «Pour le moment, je ne me vois pas mère. Ça ne cadre pas avec ma vie», explique Rachel.

Sa carrière a été un des facteurs déterminants qui l’ont poussée à mettre un terme à sa grossesse. «Le boulot fait partie du rythme de vie auquel je suis attachée […]. Je suis ambitieuse et je rêve de travailler à l’international. Ensuite, je songerai aux enfants.»

Aucun chercheur québécois ne s’est encore penché sur les motifs qui se cachent derrière les 30 000 avortements pratiqués chaque année au Québec. Mais selon une recherche effectuée en 2004 par le Guttmacher Institute de New York, un organisme réputé qui se spécialise dans la santé sexuelle et reproductive, 74 % des Américaines sondées ayant subi un avortement évoquent, parmi d’autres raisons, que la naissance d’un enfant serait entrée en conflit avec leurs études ou leur travail.

Par ailleurs, cinq professionnels de la santé pratiquant dans quatre cliniques d’avortement québécoises ont confirmé au Magazine Jobboom que le travail est un motif régulièrement exprimé par les femmes qui veulent se faire avorter, bien que d’autres facteurs contribuent aussi à leur décision. La stabilité de leur couple joue un rôle de premier plan, notamment.

«Le pourquoi d’un avortement n’est jamais aussi clair qu’on le croit», nuance la Dre Marie-Josée Gaudreault, propriétaire de la clinique Fémina, à Montréal. «Et quelles que soient les raisons invoquées, elles ne peuvent être qualifiées de futiles. C’est toujours un drame épouvantable.»

Trop occupées, trop pauvres

Le Dr Jean Guimond, chef du Service d’interruption des grossesses au CLSC des Faubourgs, pratique des avortements depuis 30 ans à travers le Québec dans le réseau public et au privé. Il remarque que les études et le travail constituent des motifs d’interruption de grossesse plus fréquents qu’il y a trois décennies.

«Environ 50 % de mes patientes actuelles sont âgées de 20 à 25 ans. C’est d’ailleurs dans cette tranche d’âge qu’on retrouve le plus grand nombre de femmes qui se font avorter au Québec. Elles terminent leur formation ou viennent d’arriver sur le marché du travail. Pour elles, ce n’est pas le temps de partir en congé de maternité!» En outre, plusieurs sont accablées de lourdes dettes d’études, ce qui rend parfois les fins de mois difficiles.

Ce portait type colle parfaitement à Ariane, 26 ans, chargée de projet dans une agence de publicité. Elle était sortie de l’école depuis trois ans quand elle est tombée enceinte. «Je venais d’obtenir un emploi dans mon domaine et j’avais envie de me positionner, de prendre de l’expérience professionnelle. Je voulais aussi profiter de ma vie de jeune femme libre, sans enfant. Alors je me suis fait avorter.»

Mais il n’y a pas que les professionnelles accaparées par leurs responsabilités qui mettent un terme à leur grossesse à cause du boulot. «Il y a aussi un tas de femmes qui travaillent à forfait ou à faible salaire», remarque le Dr Jocelyn Bérubé, médecin à la Clinique de planning des naissances de Rimouski. «Elles n’ont tout simplement pas les moyens d’élever un enfant.»

Certaines femmes qui viennent se faire avorter nous disent qu’elles ont peur de perdre leur emploi en annonçant à leur employeur qu’elles sont enceintes.
— Dr Jean Guimond, CLSC des Faubourgs

Un choix douloureux dont peut témoigner Martine. Mère seule depuis deux ans, intervenante sociale dans le milieu communautaire, la précarité lui colle à la peau. «J’ai deux enfants, une voiture et une maison à payer. Avec mon petit salaire, j’ai du mal à joindre les deux bouts.» Or, depuis le début de l’hiver, elle est tombée enceinte à deux reprises. «Je ne pouvais vraiment pas me permettre de les garder. Pourtant, j’avais toujours dit que je ne me ferais jamais avorter. Ç’a été vraiment déchirant.»

«En fait, si le goût de mener une carrière et celui de faire des enfants entrent en conflit présentement, c’est parce que l’organisation du marché du travail est encore calquée sur le modèle traditionnel, qui suppose qu’une personne s’investit professionnellement, et qu’une autre s’investit dans les enfants. Toutefois, ce modèle est totalement rétrograde par rapport à la volonté des jeunes femmes et des jeunes hommes», explique Diane Lamoureux, professeure au Département de science politique à l’Université Laval et auteure de plusieurs ouvrages sur le féminisme.

«Il faut réfléchir socialement à la place qu’on fait à la famille», croit Monica Dunn, coordonnatrice à la Fédération québécoise pour le planning des naissances. «La rentabilité et la productivité en entreprise sont désormais les mots d’ordre. Les femmes qui ont des responsabilités familiales éprouvent de la difficulté à suivre le rythme que cela impose.»

Un monde de fous

Prisonniers d’un moule qui ne favorise pas la conciliation travail-famille pour les deux partenaires, les couples sont obligés de choisir entre boulot et bébés. Ou de s’astreindre à une gymnastique hallucinante qui les conduit souvent au burnout, après avoir tenté d’élever des petits tout en donnant leur 110 % au travail. Au secours!

D’ailleurs, le quotidien The New York Times a découvert cet automne, à l’occasion d’une enquête, que beaucoup de femmes inscrites aux meilleures universités américaines abdiquent : elles envisagent de devenir femmes au foyer plutôt que femmes de carrière après leurs études, avant même d’avoir décroché un premier poste. Elles ne voient tout simplement pas comment elles pourraient mener les deux de front, expliquait le quotidien.

«Le monde du travail n’est pas structuré pour permettre à une femme ou à un homme de maintenir un certain engagement professionnel tout en prenant soin de jeunes enfants, selon Diane Lamoureux. D’abord, il présuppose une très grande disponibilité pour l’univers du travail, souvent bien au-delà du temps réellement rémunéré. Ensuite, il manque de souplesse. Par exemple, il y a peu de mesures qui permettent de s’absenter quand les enfants sont malades.»

L’emploi à temps partiel est une solution, privilégiée d’ailleurs par une bonne portion de femmes, puisqu’elles occupent 63 % des postes à temps partiel au Québec (Institut de la statistique du Québec). Toutefois, ce type de travail les «appauvrit substantiellement», précise Diane Lamoureux. Et ce jusqu’à la retraite, puisque le cumul de leurs revenus sera moindre à la fin de leur vie active.

«Avant, j’étais certaine de vouloir des enfants, mais je commence à changer d’avis, dit Ariane. Plusieurs couples autour de moi qui ont une famille ne me semblent pas épanouis. Certaines de mes amies qui avaient du potentiel ont laissé tomber leurs études et mis leur carrière en veilleuse lorsqu’elles sont tombées enceintes. Elles se sont oubliées pour leurs enfants et n’ont pas l’air bien dans leur choix. D’autres vivent des difficultés de couple… Tout ça me fait peur.»

Sans cœur

À ces difficultés s’ajoutent les injustices dont sont parfois victimes les femmes enceintes au travail. Chaque année, la Commission des normes du travail enregistre entre 200 et 300 plaintes pour discrimination de la part de salariées enceintes. «Ces femmes soupçonnent d’avoir été congédiées, suspendues ou mutées parce que leur grossesse ne faisait pas l’affaire de leur employeur», précise Nathalie Bégin, responsable des relations de presse à la Commission.

Et certains employeurs ne se donnent même pas la peine de trouver un alibi. «Dans certaines très petites entreprises, il arrive encore qu’un employeur dise clairement à une candidate qu’il ne l’embauche pas parce qu’elle est enceinte», raconte Me Marcel Drapeau, avocat à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

D’autres employeurs offrent un cadre de travail si stressant que le désir de famille est tué dans l’œuf. «Je ne vois pas comment je pourrais travailler pour mon employeur actuel tout en ayant des enfants», dit Rachel, qui œuvre dans les arts et spectacles. «C’est trop fou! Je commence à 8 h et je ne rentre pas à la maison avant 19 h. De plus, je sens clairement que les départs pour les congés parentaux ne sont pas accueillis dans la joie par les patrons.»

«Les femmes qui travaillent dans des milieux très compétitifs ont peut-être plus tendance à retarder une première grossesse, affirme le Dr Jocelyn Bérubé. Les cadres supérieurs féminins, par exemple, veulent faire leur place sur le marché du travail et la conserver, sinon d’autres vont la prendre […]. Il y a même des patrons qui demandent en entrevue si la candidate prévoit devenir enceinte au cours des prochaines années. Ça met une pression incroyable. Si une grossesse survient par accident à ce moment-là, elle risque peut-être d’être interrompue.»

Le Dr Jean Guimond observe que la situation est aussi dramatique dans les milieux de travail à faible salaire ou dans ceux qui offrent peu de mesures de protection sociale. «Certaines femmes qui viennent se faire avorter nous disent qu’elles ont peur de perdre leur emploi en annonçant à leur employeur qu’elles sont enceintes.»

Les milieux de travail traditionnellement réservés aux hommes, comme les bureaux d’avocats, de comptables ou d’ingénieurs, seraient particulièrement arides au chapitre de la conciliation travail-famille, selon les observations de Julie Carignan, vice-présidente à la Société Pierre Boucher, une firme de psychologues industriels. «Bien sûr, il y a toujours des exceptions. Tout dépend de la culture d’entreprise. L’élément principal pour réussir la conciliation, à part le soutien du conjoint, c’est d’avoir un patron compréhensif. Un supérieur qui ne tolère pas les absences du bureau, même quand l’enfant d’un employé est malade, rend la vie d’un parent drôlement difficile.»

Remettre à plus tard

En somme, les milieux de travail d’aujourd’hui ne favorisent pas la famille. D’ailleurs, on n’a plus la marmaille qu’on avait : bien que le nombre de femmes qui décident d’avoir des enfants n’ait pas vraiment changé depuis les années 1950, on ne compte plus que 1,5 enfant par femme en 2005, comparativement à 4 en 1956.

Quant à l’âge moyen d’une première naissance chez la femme, en 2004, il a grimpé vers des sommets inégalés : 27,8 ans. En 1961, il était de 24,3 ans! Ce qui n’est pas sans conséquence, non seulement sur le plan démographique, mais aussi sur la santé des femmes. (Voir le texte Dur réveil.)

«L’évolution de la société, qui a amené les femmes à prendre plus de place sur le marché du travail, a modifié l’âge des premières grossesses et le nombre d’enfants par famille», soutient le Dr Jocelyn Bérubé.

Tout un chambardement, donc. Induit aussi par le fait qu’aujourd’hui, les jeunes femmes ne veulent pas être «juste une mère», comme le constate une étude portant sur les désirs des femmes âgées de 15 à 29 ans, publiée en 2002 par le Conseil du statut de la femme. Jouez les desperate housewives, comme les personnages névrosés de la série américaine? Non merci. Les enfants font désormais partie d’un «projet de vie complexe» qui inclut des réalisations professionnelles, les voyages, les loisirs, les amitiés et les amours.

«J’ai tant de choses à réaliser avant de tomber enceinte, confie Rachel. Je suis sur une lancée au travail, je fais des études de maîtrise, je suis des cours de langue et de danse… Comment intégrer la maternité à tout ça?»

Cette mentalité prévaut dans la génération Y, mais aussi chez les X, constate Julie Carignan. «Plusieurs femmes aujourd’hui à la fin de la trentaine ont retardé une première grossesse pour se consacrer à leur travail. Elles ont d’abord voulu se trouver un bon emploi, en se disant qu’elles avaient étudié si longtemps et fait tellement de sacrifices qu’il aurait été bien dommage de gaspiller ça. À 37, 38 ans, elles commencent à essayer d’avoir un bébé […]. Malheureusement, une femme est moins fertile à cet âge qu’à 25 ans.»

Une bande d’égoïstes?

Léa et Martin, 31 et 35 ans, réunissent toutes les conditions idéales pour fonder une famille. Ils s’aiment comme des fous depuis cinq ans, ils viennent d’acheter un grand condo à Montréal et ils jouissent d’une situation financière confortable. Des marmots, ils en veulent, c’est sûr. Alors qu’attendent-ils pour «partir la famille»?

«On veut encore profiter de notre vie de couple agréable. On fait beaucoup de plein air et on apprécie de pouvoir partir en voyage quand bon nous semble. Avec des enfants, certaines de nos activités ne seront plus possibles. On se dit parfois qu’on est trop égoïste pour faire des enfants tout de suite.»

Les Québécois seraient-ils devenus si obsédés par leur sacro-saint épanouissement personnel et leur collection de gadgets qu’ils en sacrifieraient leur descendance? Jean Bolduc, sexologue à la Clinique de planning des naissances de Rimouski, estime que la société actuelle ne valorise pas du tout la famille. «Les enfants sont vus comme des petits paquets de troubles!»

«On vit probablement dans un monde où le travail et les revenus sont plus importants que les enfants, ajoute le Dr Jean Guimond. Avant, c’était une carrière d’avoir 18 bébés!»

«Certains couples désirent fonder une famille, mais ne veulent rien abandonner dans leur vie quotidienne, constate Marie-Claude Argant-Le Clair, psychologue à Montréal. On vit dans une société de consommation. Nos cartes de crédit sont pleines à craquer. On veut tout avoir comme le voisin et on ne veut rien perdre de notre rythme de vie. Or, un enfant exige qu’on fasse certains sacrifices. Sacrifices que les gens ne sont pas toujours prêts à assumer.»

Retour aux fourneaux

Vrai que les Québécois sont plutôt individualistes. Diane Lavallée, curatrice publique du Québec (présidente du Conseil du statut de la femme jusqu’en avril dernier), le remarque aussi. Mais elle défend farouchement le désir des femmes d’avoir à la fois la carrière et les bambins, à leur rythme à elles.

Les femmes ne veulent pas se lancer dans la parentalité sans avoir assuré leurs arrières financièrement. C’est une attitude responsable.
— Diane Lavallée, présidente du conseil du statut de la femme

«Elles aspirent à se réaliser autant à travers leur profession qu’à travers la famille. Souvent diplômées, elles sont performantes sur le marché du travail, et c’est tant mieux [NDLR : elles occupent présentement 46,7 % des emplois au Québec, comparativement à 35,4 % en 1976]. À l’heure où le Québec fait face à de grands défis économiques et démographiques, la société a bien besoin de cette main-d’œuvre qualifiée. La solution n’est pas de ramener les femmes à la maison!»

Quant au fait qu’elles retardent de plus en plus leur première grossesse, Diane Lavallée y voit surtout une marque de sagesse. «Les femmes ne veulent pas se lancer dans la parentalité sans avoir assuré leurs arrières financièrement. C’est une attitude responsable.»

Car dans un monde où un couple sur deux éclate longtemps avant les noces d’argent, les femmes ne peuvent compter sur le mariage pour survivre. «Élevées par une génération de féministes, les filles ont bien intégré des valeurs d’autonomie, notamment sur le plan économique, ajoute Diane Lavallée. Elles négocient d’égal à égal dans le couple, de façon à ne plus vivre sous la tutelle d’un mari.»

De toute façon, à l’heure actuelle, peu d’hommes ont envie de jouer les pourvoyeurs uniques, remarque Diane Lamoureux de l’Université Laval. «On vit dans une société de consommation où, à moins d’avoir un emploi très bien rémunéré, il faut deux salaires pour vivre à l’aise.»

Pas fort, le Québec?

Bref, la décision de mettre au monde des bambins dépend également de motivations personnelles sur lesquelles les mesures de conciliation travail-famille ont peu de prise. «Mais si le Québec avait une politique familiale qui a du bon sens, je suis sûr que les gens feraient plus d’enfants!» croit le Dr Jean Guimond.

«Nos gouvernements ne mettent rien en place pour aider véritablement les parents à prendre soin de leur enfant», estime de son côté la psychologue Marie-Claude Argant-Le Clair. «Le Québec a fait des choix sociaux qui misent plus sur la performance et le travail, ajoute le Dr Jocelyn Bérubé. Si on veut que les Québécoises aient plus d’enfants, et ce dans la période la plus fertile de leur vie, il faut qu’il y ait des politiques sociales qui les y encouragent.»

En janvier 2006, Québec a bonifié le Régime québécois d’assurance parentale, en y ajoutant notamment un congé de paternité. «Mais ce n’est quand même pas suffisant», souligne Monica Dunn, de la Fédération québécoise pour le planning familial.

«Ici, le coût humain que représente le fait d’avoir des enfants est très largement individualisé, affirme Diane Lamoureux. Ce sont les parents qui paient pour presque tout. Pourtant, les enfants représentent une richesse et un bénéfice pour l’ensemble de la société. À ce titre, l’État devrait donc avoir la responsabilité de mettre en place une structure éducative et d’accueil pour les enfants. Or, il y a mieux que le Québec à ce point de vue-là! Notre seule structure universelle de prise en charge des enfants, c’est l’école, qui les accueille à cinq ans. En France, où le taux de fécondité est très élevé pour un pays occidental, l’école commence à deux ans.»

Selon les intervenants interrogés, le système québécois comporte plusieurs lacunes : le manque de places disponibles dans les centres de la petite enfance – surtout pour les enfants de moins de deux ans –, les heures d’ouverture des garderies mal adaptées aux horaires atypiques d’un nombre grandissant de parents, l’absence de structures pour prendre en charge les petits pendant les deux mois de vacances estivales et les heures de classe souvent décalées par rapport aux heures de travail des parents.

Des sous pour procréer

Pourtant, la politique familiale du Québec compte parmi les plus généreuses au Canada! N’empêche, elle fait figure de parent pauvre à côté du nord de l’Europe, soutient Diane Lavallée. «Dans ces pays, le taux de fécondité est plus important qu’au sud, et pourtant, c’est là où le taux d’emploi des femmes est le plus élevé. C’est en partie dû au fait que le rôle du parent est reconnu socialement. On doit s’inspirer de leurs mesures progressistes [voir encadré Dans la cour du voisin].»

Car en effet, au Québec, changer des couches, faire de la purée maison et jouer avec son petit ne sont pas les tâches les plus valorisées qui soient. Dominique Girard, qui tente de mettre sur pied une association québécoise pour les parents au foyer, a elle-même choisi de s’occuper de son fils à temps complet.

«Mettre de côté sa carrière pour se consacrer aux enfants devrait être un choix accepté, dit-elle. On ne devrait pas sentir qu’on vaut moins parce que ça fait quatre ans qu’on est à la maison. Mais les parents au foyer ont le statut d’un enfant : techniquement, sur une déclaration d’impôts, ils sont des dépendants. Ça donne l’impression qu’ils ne font rien. Alors qu’ils travaillent 24 heures sur 24!» En effet, une équipe de spécialistes de la rémunération a déjà calculé qu’une mère (ou un père) au foyer mériterait un salaire de 157 000 $!

L’idée de verser un salaire aux parents qui restent à la maison est d’ailleurs dans l’air du temps, comme en témoigne un sondage mené au printemps 2005 par le magazine L’actualité. Plusieurs lecteurs ont avancé cette solution pour augmenter le taux de natalité au Québec. Par ailleurs, l’Association féminine d’éducation et d’action sociale a abordé la question de la reconnaissance du rôle parental par l’État lors de son 39e congrès, en août dernier. Le gouvernement prêtera-t-il l’oreille à cette suggestion?

Car les temps sont durs pour les parents. Dans ce contexte, on ne s’étonnera pas de voir le nombre d’enfants péricliter. Ni de constater que les couples repoussent aux calendes grecques la naissance d’un premier rejeton. Une situation dramatique aux yeux de Julie Carignan, qui a elle-même réussi l’exploit de mettre au monde trois enfants tout en poursuivant sa carrière.

«Parce qu’on ne veut pas avoir l’air de blâmer les femmes, on est gêné de dire qu’on vit une crise au Québec. Le fait de ne plus faire d’enfants met en danger notre société. Ne serait-ce que par rapport au problème de relève dans les entreprises. C’est un casse-tête pour les employeurs qui approchent de la retraite et qui cherchent des gens pour prendre les rênes de leur compagnie. Nous ne sommes plus assez nombreux pour occuper tous les postes pour faire fonctionner notre société, et dans dix ans, ça va être pire!»

Reste à voir si ces enjeux convaincront les Québécois de se consacrer à l’agréable tâche de concevoir des bébés…

Carrière d’avenir?

Selon une étude de Salary.com, une entreprise spécialisée en gestion salariale, le salaire annuel que devrait mériter un parent à la maison serait de 157 000 $!

Pour en arriver à ce résultat, Salary.com a comparé les tâches d’une maman à la maison avec celles de différents métiers et professions apparentés : infirmière, cuisinière, chauffeuse, éducatrice, gardienne de maison… et même PDG. Pour établir un salaire, les analystes se sont basés sur la rémunération en vigueur aux États-Unis pour chacun de ces métiers ou professions et ont ensuite pondéré en fonction du temps et de l’importance qu’accordait la maman (ou le papa) à la maison à chacune de ces tâches. (É. G.)

 

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