Les dangers de la procrastination au travail

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Pourquoi faire aujourd’hui ce qu’on peut remettre à demain? C’est la devise du procrastinateur chronique. Mais tout le monde l’a déjà prononcée, avec des conséquences parfois désastreuses. Anatomie d’un mal répandu.

Marie-France est une virtuose de la procrastination. Du plus loin qu’elle se souvienne, cette trentenaire qui œuvre dans le milieu de la mode à Montréal a toujours reporté ses obligations à la dernière minute. «Comme je m’en sortais toujours assez bien, j’ai fini par me sentir invincible et les retards sont devenus la norme, raconte-t-elle. J’étais devenue la championne des excuses. Je disais, par exemple, que j’avais cherché du tissu à carreaux partout et que personne ne m’avait rappelée, alors que j’avais fait un seul appel.»

Sa procrastination chronique a fini par la rattraper et les conséquences ont été dures  contrats perdus, dettes et problèmes financiers importants, angoisse, crises de panique et tutti quanti. Aujourd’hui, elle tente de changer ses habitudes, une journée à la fois.

Problème commun

Marie-France est loin d’être la seule à faire de la procrastination un mode de vie. Selon le chercheur Joseph R. Ferrari, professeur de psychologie à l’Université DePaul, à Chicago, presque tout le monde procrastine à divers degrés.

Environ 20 % de la population adulte souffre de procrastination sévère ou chronique, qui s’étend à tous les aspects de la vie. «Nous avons mené des études aux États-Unis, mais aussi au Royaume-Uni, au Pérou, au Venezuela et ailleurs : la proportion est la même globalement. Et ça touche aussi bien les femmes que les hommes», affirme- t-il.

Si la procrastination ne discrimine pas selon le sexe ou la nationalité, Joseph R. Ferrari précise que le phénomène est plus présent chez les cols blancs que chez les cols bleus. «On peut supposer qu’il est plus difficile de procrastiner sur une chaîne de montage que lorsqu’on gère soi-même son temps», explique-t-il. Le chercheur ajoute que ce trait de caractère est plus fréquent chez les employés que chez les professionnels indépendants, et plus courant chez les vendeurs que chez les gestionnaires.

Sans parler des nouvelles technologies, censées accroître la productivité, mais qui font également office d’armes de distraction massive.

«Autrefois, les travailleurs s’agglutinaient autour de la machine à café pour discuter. Aujourd’hui, ils procrastinent devant leur écran d’ordinateur. En 2001, une étude américaine a révélé que 50 % du temps que les travailleurs passaient sur Internet au travail était en fait de la procrastination. Imaginez, Facebook n’avait même pas encore vu le jour!» fait valoir Timothy Pychyl, professeur en psychologie et spécialiste de la procrastination à l’Université Carleton, à Ottawa.

Satisfaction immédiate

«La procrastination est un échec de l’autorégulation. Essentiellement, on éprouve un sentiment désagréable par rapport à une tâche et on succombe à l’envie de se sentir mieux en repoussant cette tâche, explique Timothy Pychyl. Nous avons évolué depuis l’âge de pierre et il est aujourd’hui possible de prévoir les choses à très long terme, mais le cerveau humain est ainsi fait qu’il préfère la gratification immédiate.»

Selon Joseph R. Ferrari, trois types de motivation se cachent derrière la procrastination. L’excitation anime ceux qui carburent à l’adrénaline et aiment le sentiment d’urgence de l’heure limite. Ils sont convaincus qu’ils travaillent mieux sous pression, même si c’est faux. «Les recherches montrent que le travail effectué à la dernière minute est systématiquement de moins bonne qualité que le travail fait à temps ou à l’avance par les mêmes individus», affirme-t-il.

D’autres remettent leurs tâches aux calendes grecques afin d’éviter à tout prix l’échec (ou la réussite, de peur que davantage soit attendu d’eux dans le futur). Enfin, certains procrastinent pour contourner l’angoisse créée par la prise de décision.

Attention : la procrastination et la paresse ne sont pas à confondre. «Les procrastinateurs travaillent très fort à ne pas faire ce qu’ils devraient, estime Joseph R. Ferrari. Ils trouvent mille autres tâches (faire du lavage, réorganiser leurs tiroirs) pour reporter celle qui leur répugne.»

En revanche, le paresseux n’est pas forcément un procrastinateur. «Il peut accomplir toutes ses tâches, mais il prend des raccourcis», explique Timothy Pychyl.

Autosabotage

Continuellement remettre les choses à plus tard n’est pas sans conséquence. Stress inutile, sentiment de culpabilité, estime de soi diminuée, conflits interpersonnels, congédiement et même problèmes de santé peuvent être au rendez-vous.

Pour les organisations, les effets se comptent en espèces sonnantes et trébuchantes. «Chaque année, les entreprises rapportent des millions de dollars en pertes liées à l’absentéisme ou à la faible productivité et je crois qu’il y a un lien à faire avec la procrastination», souligne Joseph R. Ferrari.

Il ajoute que les coûts de la procrastination sont énormes sur le plan des relations au travail. «Parce qu’ils sont souvent en état d’urgence ou de crise, les procrastinateurs nuisent aux efforts d’équipe et peuvent causer beaucoup de détresse à leurs collègues.»

Chassez le naturel…

À une époque où les employeurs prônent la productivité à tout crin, la procrastination est bien mal vue. Mais faut-il absolument l’enrayer? «Je ne milite pas pour l’obsession du travail et il faut un équilibre entre le travail et la détente, précise Timothy Pychyl, mais les procrastinateurs n’ont pas d’équilibre. Ils font TOUT à la dernière minute.»

Josée Blondin, psychologue du travail et fondatrice de la firme-conseil InterSources, à Laval, hésite à condamner d’emblée les procrastinateurs. «On a parfois l’impression qu’un individu procrastine parce qu’il ne termine pas le travail rapidement, mais il faut voir si les attentes et l’échéancier qu’on lui a présentés étaient clairs, si les délais étaient réalistes et s’il avait les outils pour effectuer ces tâches.» Le procrastinateur a parfois de bonnes raisons de remettre les choses à plus tard.

Ce qui n’empêche pas Joseph R. Ferrari de se désoler de la propension de bon nombre d’entre nous à tout faire à la dernière minute. «Nous vivons dans une culture qui valorise la procrastination, comme en témoignent la frénésie du shopping et les soldes de dernière minute à la veille de Noël.»

Or, il estime que la société ne reconnaît pas l’ampleur des problèmes occasionnés par cette mauvaise habitude, comme la détresse psychologique et les pertes financières. «Il faudrait récompenser ceux qui font les choses à l’avance. Ne croyez-vous pas que les gens paieraient leurs impôts plus rapidement, par exemple, s’ils étaient récompensés monétairement en soumettant leur déclaration à l’avance?»

Bonne question.

Comment arrêter de procrastiner

Commencez tout de suite! Il suffit parfois de s’atteler ou de s’obliger à faire une tâche qui nous répugne pendant 15 minutes pour partir sur une lancée, se sentir mieux et s’apercevoir que ce n’était pas si terrible après tout.

Assumez vos émotions négatives. On procrastine pour éviter une tâche qui déplaît ou qui fait peur. N’essayez pas de faire autre chose pour vous sentir mieux et gardez le cap sur votre objectif à long terme.

Soyez honnête envers vous-même. Les procrastinateurs sont des champions quand vient le temps de trouver excuses et faux-fuyants. Cessez de dire que vous travaillez mieux sous pression ou que vous aurez davantage envie de faire quelque chose demain : les experts ont démontré que c’est faux.

Établissez vos priorités et respectez-les. Faites des listes de tâches et commencez par ce qui est le plus important, voire le plus désagréable. Ne faites pas l’erreur de passer plus de temps à dresser des listes qu’à faire les choses inscrites sur les listes.

Essayez la méditation. Elle apprend à garder son attention sur un objet précis (sa respiration, par exemple), et à la ramener calmement vers cet objet quand l’esprit s’égare. Utile lorsqu’on est facilement distrait.

Acceptez le fait que la bataille sera souvent à recommencer. Changer ses habitudes est un processus qui exige de la patience. Prenez les choses un jour à la fois.

Demandez de l’aide. Si la procrastination a envahi plusieurs sphères de votre vie, qu’elle nuit à votre emploi, vos finances et vos relations, consulter un psychologue peut se révéler salutaire.

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