Engagez-vous, qu’ils disaient

S’engager dans son travail peut rendre plus heureux, en autant que ces efforts soient reconnus et encouragés.

Vous a-t-on déjà reproché de trop en faire au travail?

Dans une chronique intitulée Les périls de l’idéalisme parue en mars 2010 dans le Magazine Jobboom, j’aborde la frustration des travailleurs qui s’investissent à fond dans leur boulot, mus par la volonté de fournir un produit ou un service qui correspond aux idéaux qu’ils endossent.

Mais voilà, il arrive que leur ardeur coûte cher à l’employeur, qui leur rappelle alors de s’en tenir aux standards préétablis. Une situation qui peut causer un tort psychologique important chez ces employés.

L’idée de ce sujet m’était venue en lisant le livre Suicide et travail : Que faire? du psychanalyste Christophe Dejours et de la psychologue du travail Florence Bègue. L’ouvrage, écrit en réaction à la vague de suicides sur les lieux de travail en France, traite notamment de ces salariés dont l’identité s’appuie fortement sur le métier qu’ils exercent. Dans leur cas, le travail bien fait, c’est l’expression d’eux-mêmes en quelque sorte.

Reconnaissance négligée

Les employeurs ne tiennent pas nécessairement compte de cet aspect, dit Christophe Dejours :

«[…] lorsqu’un travailleur bénéficie de la reconnaissance, il peut en tirer des avantages dans le registre de sa construction de la santé mentale. En revanche, lorsque cette reconnaissance lui est refusée ou retirée, se profile le risque d’une déstabilisation de l’identité et du plaisir éprouvé dans le rapport de soi à soi, dans l’amour de soi (narcissisme).[…]

«Ce risque est d’autant plus grand que l’individu s’implique ou s’engage dans son travail et offre généreusement sa compétence à l’entreprise. En effet, si pour des raisons liées à un durcissement de l’environnement, le salarié est sanctionné (pour des raisons qui ne relèvent donc pas de la qualité de son travail), les conséquences sur l’identité peuvent être dramatiques.»

Des entrevues avec Christophe Dejours figurent régulièrement dans le blogue Et voilà le travail, d’Elsa Fayner. Celle intitulée Quand l’obstination est reconnue, la souffrance se transforme en plaisir prolonge la réflexion sur l’engagement au travail et la reconnaissance.

Conséquence néfastes

Dans la même veine, la blogueuse fait aussi intervenir Philippe Davezies, enseignant-chercheur en médecine et santé du travail à l’université Claude-Bernard Lyon I. Lui aussi croit que les employés qui tirent une grande satisfaction de leur travail ont tendance à déborder des consignes, ce qui peut leur être néfaste.

En résumé, s’engager dans son travail peut rendre plus heureux en autant que ces efforts soient reconnus et encouragés. S’ils ne le sont pas, on peut bien sûr se contenter d’offrir le service minimum. Mais à force de se dire «prends ça à l’heure, prends pas ça à cœur», on risque de sombrer dans le cynisme ou pire, de tomber malade.

Devenir indispensable

Ceux qui ne peuvent dormir tant que leur ouvrage n’est pas parfait trouveront du réconfort dans les propos de l’auteur américain Seth Godin. Son essai Devenir indispensable (Transcontinental, 2010), traduction de Linchpin- Are You Indispensable? (Penguin, 2010), met de l’avant l’idée que s’ils veulent garder leurs emplois, les travailleurs n’auront d’autre choix que d’en donner plus que le client en demande. En effet, puisque bien des tâches sont devenues tellement codifiées qu’elles peuvent désormais être délocalisées ou automatisées, c’est là la meilleure manière de se rendre indispensable.

Dans une entrevue accordée au Magazine Jobboom, Godin se dit convaincu que les employeurs, même s’ils prétendent rechercher des employés qui rentrent dans le moule, veulent en fait des travailleurs exceptionnels qui rendront leurs organisations exceptionnelles.

Alors, on s’engage ou pas?