En avion vers la mine

L’industrie minière a d’importants besoins en main-d’œuvre. Mais comment trouver les travailleurs nécessaires à la bonne marche des chantiers situés à des centaines de kilomètres des grands centres urbains? La solution : la navette aérienne, une formule qui gagne en popularité.

Il fut un temps où l’on construisait des villes entières autour d’exploitations minières. Schefferville, Murdochville et même Fermont sont les témoins de cette époque. Mais aujourd’hui, les besoins en main-d’œuvre ne justifient plus des investissements aussi colossaux, surtout lorsqu’on sait ce qu’il advient de certaines villes mono-industrielles une fois le principal employeur déménagé…

Le système de navette aérienne (qu’on nomme en anglais fly-in fly-out), qui permet de transporter les travailleurs vers les sites miniers pour une à deux semaines, puis de les ramener chez eux pour une période équivalente, apparaît donc comme une bonne solution de rechange.

Une formule indispensable

D’importantes compagnies comme ArcelorMittal Mines Canada, Cliffs Natural Resources, Xstrata Nickel et Goldcorp-projet Éléonore ont recours aux navettes aériennes. Marc-Urbain Proulx, professeur en économie régionale à l’Université du Québec à Chicoutimi et directeur scientifique du Centre de recherche sur le développement territorial, estime que cette formule est promise à un bel avenir. Selon lui, le caractère cyclique de la demande mondiale de matières premières, l’amélioration des moyens de transport et de communication de même que les coûts liés à la construction de villes et à leur maintien une fois les mines fermées, favorisent l’utilisation de travailleurs migrants. «C’est très coûteux de construire des villes et des villages à proximité de la ressource, et quand celle-ci s’épuise, les coûts sociaux sont énormes», souligne-t-il.

Autre aspect à considérer : la modernisation des exploitations minières, qui sont devenues de véritables «technomines», fait en sorte que la main-d’œuvre requise a considérablement diminué. «Par rapport aux années 1950, on calcule qu’il faut désormais de trois à six fois moins de travailleurs pour extraire la même quantité de minerai. Là où 1 000 employés étaient nécessaires, il n’en faut plus que 200», indique Marc-Urbain Proulx. Pas de quoi fonder une ville!

Un système éprouvé

Situé dans le Nord-du-Québec, à 350 km au nord de Matagami, le chantier Éléonore de Goldcorp en est à la phase de construction. L’exploitation de cette mine d’or, qui devrait être l’une des plus importantes au pays, débutera en 2014. Compte tenu de sa situation géographique, le recours à la navette aérienne est évidemment essentiel. «Tous les employés sont volants; la majorité a un horaire de 7/7 ou 14/14», explique Julie Lachapelle, conseillère en communication et porte-parole de la compagnie. C’est-à-dire, par exemple, 7 jours de travail consécutifs à raison de 12 heures par jour, suivis de 7 jours de repos à la maison. Seuls les employés des bureaux de Chibougamau et Rouyn-Noranda travaillent suivant un horaire classique de cinq jours.

Goldcorp nolise des avions d’une quarantaine de passagers au départ de ces deux municipalités ainsi que de Montréal et du village cri de Wemindji. À partir de Chibougamau, il faut compter environ 1 h 15 de vol jusqu’au site. Sur place, un camp temporaire a été aménagé, en attendant la construction de nouveaux édifices. «Mais attention, les employés ne sont pas logés dans des tentes! Ce sont des chambres confortables avec télévision, câble, Wi-Fi, réfrigérateur, etc.», précise Julie Lachapelle. Les employés prennent leurs repas dans une cafétéria où tout est préparé sur place avec des aliments frais.

Une solution qui vaut le coût

«C’est certain que pour la compagnie, ce mode de fonctionnement représente des coûts considérables, par rapport à un site minier localisé près d’une ville. Il faut loger et nourrir les travailleurs et payer les déplacements en avion», indique Julie Lachapelle. Mais il faut ce qu’il faut si on veut avoir de la main-d’œuvre… D’ailleurs, même certaines exploitations minières implantées à proximité d’une ville n’échappent pas pour autant au besoin de faire des déplacements par navette aérienne.

Les gens travaillent cinq mois et demi par année et sont payés pour douze… C’est quand même intéressant, d’autant plus que l’industrie minière offre d’excellentes conditions d’emploi. Plusieurs employés disent qu’ils se reposent ici, car tout est pris en charge.
– Sylvain Gagnon, directeur des ressources humaines, Cliffs Natural Resources

C’est le cas pour Cliffs Natural Resources et sa mine de fer du lac Bloom, située à quelques kilomètres de Fermont, sur la Côte-Nord. Certains employés demeurent dans la ville toute proche, mais d’autres, environ 350, viennent en avion nolisé depuis Val-d’Or, Sherbrooke ou Montréal. La majorité a un horaire de type 14/14, à raison de 12 heures de travail quotidiennes pendant 14 jours, suivis de 14 jours de repos. Ils sont logés dans des maisons de six ou sept chambres ou dans des bâtiments s’apparentant à de véritables hôtels; les employés sont nourris et bénéficient de tout le confort moderne, y compris un service de ménage quotidien! Coûteuse, la navette aérienne? «C’est quand même moins cher que de devoir construire 500 maisons», fait valoir le directeur des ressources humaines, Sylvain Gagnon.

Le complexe minier d’ArcelorMittal à Mont-Wright, situé à 17 km de Fermont, emploie environ 1 300 personnes. Sur ce nombre, de 10 à 15 % ont adopté la formule de la navette aérienne. Les horaires sont généralement de 12/12 ou 14/14 et les départs en avion se font de Gaspé, de Montréal et de Québec. Là encore, tout est pris en charge par l’employeur et le personnel est logé dans des appartements tout confort à proximité de la mine. «Sans la navette, nous souffririons d’une pénurie de main-d’œuvre», note Éric Tétrault, le directeur des ressources humaines.

Obstacle ou aide au recrutement?

En règle générale, les employeurs s’entendent pour dire que la formule facilite le recrutement, dans la mesure où elle permet d’aller chercher la main-d’œuvre là où elle se trouve, pour l’amener sur les lieux de travail.

Mais il y a mieux : «Quand on fait le calcul, on se rend compte que les gens travaillent cinq mois et demi par année [incluant les deux semaines de congé annuelles] et sont payés pour douze… C’est quand même intéressant, d’autant plus que l’industrie minière offre d’excellentes conditions d’emploi, souligne Sylvain Gagnon. Plusieurs employés disent qu’ils se reposent ici, car tout est pris en charge», ajoute-t-il.

Cette formule permet également de mettre la main sur des travailleurs qui, autrement, n’auraient pas été prêts à aller en région éloignée. «Prenons le cas d’une personne qui demeure avec sa famille en Gaspésie. Avec la navette aérienne, elle n’a pas besoin de déménager toute sa famille ni de convaincre son conjoint ou sa conjointe de la suivre», illustre Éric Tétrault.

Pour ceux qui ont de jeunes enfants, cela peut toutefois se révéler plus ardu. «Le parent qui reste a une double tâche pendant que l’autre part travailler», remarque Julie Lachapelle. Cela ne fait donc pas toujours le bonheur des conjointes. Mais certaines confessent qu’elles sont malgré tout bien contentes d’être tranquilles à la maison une semaine sur deux!

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