Cultiver le scepticisme

Entre pensée critique et pensée magique, la ligne est parfois mince.

Les Sceptiques du Québec aiment bien réserver une table au Salon international de l’ésotérisme de Montréal. Les membres de cette association — dont la mission est de promouvoir la pensée critique — s’amusent alors à un petit jeu.

Depuis 15 ans, ils offrent 10 000 $ à quiconque peut prouver ses dons paranormaux. Certains candidats tentent de montrer qu’ils peuvent communiquer avec grand-maman, décédée il y a plus de 20 ans. D’autres se démènent pour illustrer comment la position des astres exerce une influence sur notre vie amoureuse. Heureusement pour la cagnotte des Sceptiques du Québec, personne n’a encore remporté le lot.

Les praticiens des arts divinatoires interrogés pour cet article ont tous admis que, «fort malheureusement», leur métier était contaminé par des charlatans. Les imposteurs, évidemment, ce sont les autres… jamais eux.

La science en sait déjà suffisamment sur le cerveau pour savoir qu’il est capable d’escroquerie.
– Pierre Cloutier, porte-parole des Sceptiques du Québec

Pour Pierre Cloutier, porte-parole des Sceptiques, les praticiens des sciences occultes sont soit des gens peu éduqués, soit des illuminés, ou pire, des escrocs. «Il y en a toujours qui viennent nous voir, mais qui n’ont aucune idée de ce que représente une méthode scientifique rigoureuse», raconte ce technicien en électronique à la retraite.

Un voyant a prédit avec justesse que vous êtes malheureux dans votre couple et que vous allez vous séparer? Il a simplement posé les bonnes questions et lu les indices sur votre visage, déduit Pierre Cloutier. Votre ulcère à l’estomac vous fait moins souffrir en sortant d’une séance de reiki? Vive l’effet placebo! Et que penser des sourciers? «C’est normal qu’ils trouvent de l’eau dans le sous-sol québécois. De l’eau, il y en a partout au Québec, rigole le Sceptique. Demandez-leur de trouver un endroit où il n’y a PAS d’eau. Vous verrez…»

Sociologue de la religion, professeur à l’Université Laval et au Cégep de Sainte-Foy, Alain Bouchard est plus nuancé. Il n’est pas vrai, dit-il, que croire dans les sciences occultes découle d’un manque d’éducation. «Plusieurs études ont révélé qu’il n’y avait aucune corrélation entre la scolarité, l’âge ou le statut socio-économique et l’intérêt pour ça», affirme-t-il. Après tout, Richard Nixon et François Mitterrand consultaient des astrologues pour connaître les journées favorables aux grandes décisions politiques. Mackenzie King, premier ministre du Canada, disait s’entretenir avec sa mère et son chien, tous deux décédés.

Selon Alain Bouchard, les Sceptiques invoquent parfois des arguments simplistes. «Ils disent que les voyants se limitent à faire des prédictions très générales dans lesquelles tout le monde peut se reconnaître. Or, il arrive que des personnes racontent qu’un voyant a fait des prédictions troublantes de vérité, qui sortaient de la sphère de l’anecdote. Certains “hasards” mériteraient qu’on s’y attarde.»

Le sociologue aurait-il un penchant pour le paranormal? «Pas du tout! Mais je n’ai pas la prétention d’affirmer que tout ça est de la foutaise.» Le rejet en bloc serait une forme de dogmatisme dont il faut aussi se méfier, selon lui. «La méthode scientifique stipule qu’il faut toujours remettre les choses en question.»

Alain Bouchard croit que la science finira par venir à bout des zones grises entourant le «pouvoir» de certains voyants. «Certains individus ont peut-être une sensibilité particulière qu’on comprend encore mal. On sait tellement peu de choses sur les mécanismes cérébraux.»

Pour sa part, Pierre Cloutier maintient qu’il faut avant tout protéger les clients naïfs qui se font plumer à coup d’appels aux lignes 1 900 ou dans les salons de l’ésotérisme. «La science en sait déjà suffisamment sur le cerveau pour savoir qu’il est capable d’escroquerie.»

Dans ce dossier

• Affaires paranormales
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