L’avenir des fonds de retraite québécois

retraite

Si rien n’est fait, le fonds de retraite des Québécois sera vide dans moins de trois décennies. Pour préserver la part des travailleurs nés après les années 1960, des hausses de cotisations au Régime de rentes du Québec semblent inévitables. Mais d’autres solutions sont aussi dans l’air, comme hausser l’âge de la retraite. Dialogue entre des générations à la recherche d’un compromis.

Cynthia Paradis, une pharmacienne de Mont-Joli âgée de 32 ans, résume un sentiment qui habite de nombreux jeunes travailleurs à l’égard des baby-boomers. «C’est injuste. Ils l’ont eue plus facile que nous en matière d’emploi et de retraite. Si je participe aux cotisations, je devrais aussi recevoir ma part.»

Son inquiétude quant à ses vieux jours est fondée. Selon la Régie des rentes du Québec (RRQ), le régime public pourra assumer l’arrivée à la retraite de la génération du baby-boom, prévue de 2010 à 2030. Mais après 2037, compte tenu des pertes reliées à la crise économique, c’est le néant : les contributions des travailleurs ne permettront pas d’assurer un finan­cement stable à long terme, selon les actuaires de la RRQ.

Le fait que le taux de cotisation ait été gelé durant les 20 premières années d’existence du Régime a de quoi alimenter l’indignation des moins de 40 ans. «Ils ont totalement raison de dire qu’ils assument les abus des aînés, et qu’ils n’en auront pas pour leur argent», reconnaît René Delsanne, professeur de mathématiques à l’UQAM, spécialisé en finances et régimes de retraite, membre de plusieurs comités de retraite. «Les baby-boomers comme moi vont être gagnants, car ils auront cotisé au Régime un pourcentage plus bas tandis qu’ils recevront leur pleine rente», poursuit-il.

À la décharge des boomers, on pourrait arguer que la dégringolade boursière de 2008 aurait été bien difficile à prévoir dans les années 1960 à 1980. Or, le Régime de rentes du Québec, géré par la Caisse de dépôt et placement, a perdu neuf milliards dans la tourmente. Des 34,7 milliards en réserve, il n’en reste que 25,7. Et aurait-on pu deviner, à l’époque du réveil nationaliste, que le Québec se distinguerait un jour du reste du Canada par un vieillissement accentué de sa population?

Devant l’impasse qui se dessine, la RRQ propose, entre autres, d’augmenter le taux de cotisation. Actuellement de 9,9 % réparti entre l’employeur et le salarié, il grossirait de 0,1 % par an entre 2011 et 2016. Selon le porte-parole de la RRQ, Herman Huot, il serait étonnant que les travailleurs y échappent. «On ne peut attendre 10 ou 15 ans, sinon on prendrait le risque d’avoir un manque à gagner. Le projet de loi devrait être envoyé au gouvernement à l’hiver 2010; il pourrait être adopté en juin 2010 et son entrée en vigueur aurait lieu le 1er janvier 2011.»

Wo les moteurs!

L’idée d’augmenter les cotisations ne fait toutefois pas l’unanimité. «Une telle hausse nous permettra d’accumuler 10 autres milliards que l’on perdra à la prochaine crise financière», proteste Ruth Rose, professeure de sciences économiques à l’UQAM et membre du Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail. René Delsanne est du même avis. «C’est une solution facile, mais pas viable car temporaire, et qui augmente l’iniquité intergénérationnelle puisque le taux est déjà trop élevé.»

Pourtant, des organismes aux deux extrémités du spectre générationnel y voient du bon. «Cela permet de régler le problème de l’épuisement du fonds sans désavantager ceux qui sont à la retraite, et je ne pense pas que les jeunes soient lésés», explique Danis Prud’homme, directeur général de la Fédération de l’âge d’or du Québec (FADOQ). «Les baby-boomers ont tout mis en place, ils ont travaillé fort toute leur vie. Ils payent aussi pour les garderies malgré le fait qu’ils n’ont plus d’enfants.»
Jonathan Plamondon, le président de Force Jeunesse, un organisme voué à améliorer les conditions de travail de la relève, renchérit : «Nous sommes favorables à ce que ça se produise le plus rapidement possible, pour que les baby-boomers encore sur le marché du travail puissent contribuer et ainsi éviter des hausses à long terme aux jeunes générations.»

La FADOQ et Force Jeunesse s’entendent aussi sur un crédit d’impôt majoré selon l’année de naissance, en guise de dédommagement : plus le contribuable serait jeune, plus son crédit d’impôt serait élevé.

Solutions en vrac

Mais pour les actuaires Charles Lemieux et Jacques Lefebvre de la firme Towers Perrin, deux solutions doivent être combinées : la hausse des cotisations et celle de l’âge normal de la retraite, actuellement établi à 65 ans. «On est tous dans le même bateau, lance Jacques Lefebvre. Les baby-boomers, dont je suis, ont eu de bonnes années et je suis d’accord pour que ma génération paye plus, car je suis inquiet pour mes enfants.»

«Le coût des prestations de la RRQ augmente, car les gens vivent plus longtemps qu’avant, explique Charles Lemieux. Une hausse graduelle de l’âge de la retraite aurait pour effet de stabiliser la période moyenne de versement de la rente de retraite.»

René Delsanne abonde en ce sens. «La préretraite pourrait être à 62 ans et la pleine retraite à 67 ans.»

Pour sa part, la FADOQ est consciente que la société n’aura pas le choix de procéder ainsi pour s’adapter à l’arrivée massive des baby-boomers à la retraite. «Mais nous attendons que le gouvernement dépose une analyse avant de nous prononcer sur un âge», explique Danis Prud’homme.

Entre-temps, l’organisme suggère des mesures pour favoriser le travail des personnes de 50 ans et plus, comme la retraite progressive et la formation continue. Car, en travaillant plus longtemps, les plus âgés vont prolonger leur période de cotisation à la RRQ.

L’Institut canadien des actuaires propose quant à lui une indexation des prestations inférieure au coût de la vie. C’est-à-dire que si l’inflation est à 2 %, les rentes n’augmenteraient, par exemple, que de 1,8 %. «Ce serait l’une des méthodes pour faire participer les retraités», explique leur porte-parole, Michel St-Germain.

Une solution inadmissible pour la FADOQ. «La majorité des retraités ne sont pas très riches», soutient Danis Prud’homme. En effet, le revenu annuel moyen n’était que de 23 000 $ pour les hommes et de 18 000 $ pour les femmes en 2006, selon l’Institut de la statistique du Québec.

Abolition du régime public?

L’une des propositions les plus controversées vient d’Éric Duhaime, consultant en développement démocratique et ancien conseiller de Mario Dumont. Il préconise l’opting-out, c’est-à-dire l’abolition du régime public. Pour compenser, les citoyens seraient obligés de verser 10 % de leurs revenus dans des REER qu’ils géreraient eux-mêmes. «Ce ne sont pas les mesures que prend le gouvernement qui vont régler le problème, car elles ne sont pas suffisantes», dit-il.

Les voix s’élèvent toutefois à l’unanimité contre l’opting-out. «C’est un système basé sur l’individualisme», dénonce Michel St-Germain. «Tout le monde n’a pas la capacité de gérer son bas de laine. Ce sont les planificateurs financiers qui vont en bénéficier. Il faut un système public afin de garantir un minimum de revenu», renchérit René Delsanne. Même son de cloche du côté de Ruth Rose : «La Caisse de dépôt a eu un comportement irresponsable, mais ce n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain.»

La question, on le voit, interpelle des acteurs de tous les horizons. Même le milieu de l’environnement recèle des pistes de solutions. «Sur le modèle de la taxe sur le carbone, une écotaxe géné­rerait des recettes dont environ 80 % financeraient la RRQ», explique Jean-François Lefebvre, économiste, chercheur associé au Groupe de recherche appliquée en macroécologie et à l’UQAM.

Cynthia Paradis a aussi son remède. «Pourquoi ne pas imposer une taxe spéciale aux retraités les plus fortunés? Car à un moment donné, il va falloir que quelqu’un paye quelque part.»

Évolution des cotisations à la Régie des rentes

  • 1966 : création du Régime de rentes du Québec : taux de 3,6 % au total
  • 1966-1985 : aucune augmentation
  • 1987 : première hausse : le taux passe à 3,8 %
  • 1988-1998 : augmentation de 0,2 % chaque année
  • 1998 : le taux atteint 6,4 %
  • 1999 : l’augmentation accélère pour rattraper le retard : le taux passe à 7 %
  • 2000 : forte augmentation, à 7,8 %
  • 2001 et 2002 : le taux passe à 8,6 % puis à 9,4 %
  • 2003 : dernière augmentation, le taux passe à 9,9 %
  • Proposition de la RRQ pour 2011 à 2016 : augmentation de 0,1 % par année, pour passer à 10,4 %

L'équipe Jobboom

Jobboom est une source d’information indispensable sur le marché de l’emploi. Des experts du marché du travail québécois proposent des conseils et astuces pratiques afin d’aider les candidats dans leur recherche d'emploi et également afin d'aider les recruteurs à se tenir à jour sur les tendances et bonnes pratiques de leur domaine.