Les défis du sourire

10 M$. C’est le montant de la police d’assurance qu’Aquafresh a contractée pour protéger le sourire de l’actrice américaine America Ferrera (Ugly Betty) lorsque celle-ci est devenue porte-parole de la marque de dentifrice. Votre sourire ne vaut pas cette somme? Ne faites pas la moue. Sourire en société est toujours payant. Enfin, presque…

Il y a le sourire automatique de la caissière au dépanneur et celui qu’on réserve aux blagues douteuses du gars de l’informatique. Il y a le sourire du vendeur d’autos d’occasion, proche parent du sourire du politicien. Il y a le sourire mesquin, le sourire gêné, le sourire authentique.

Il y a les sourires d’enfants, bien sûr. À leur âge, ils en produisent jusqu’à 400 par jour! Les adultes? Pas plus d’une vingtaine.

Néanmoins, qu’on soit Canadien, Chinois ou Papou, le sourire signifie la même chose dans toutes les cultures. Il signale une intention cordiale. «Le sourire sert à entretenir de bons rapports entre les humains de manière à solidifier leurs liens de collaboration», dit Pierre Gosselin, professeur à l’École de psychologie de l’Université d’Ottawa et qui étudie l’expression des émotions.

Nombre d’experts comme lui ont consacré de sérieuses carrières à étudier ce curieux étirement des lèvres qui soude les coups de foudre et inspire les œuvres d’art. En analysant les photos de vieux albums de finissants sur une période de 30 ans, des chercheurs de l’Université Berkeley ont découvert que ceux qui souriaient avaient connu plus tard des mariages plus durables, des carrières plus fructueuses.

D’autres chercheurs de la Wayne State University (Michigan) ont récemment étudié d’anciennes cartes de baseball et ont remarqué que les joueurs qui ne souriaient pas avaient vécu moins vieux. Ainsi, l’air bête aurait eu une espérance de vie de 72,9 ans, alors que celui qui avait le sourire fendu jusqu’aux oreilles avait pu espérer durer jusqu’à 79,9 ans. Une autre étude, britannique celle-là, a même avancé que sourire exerce sur le cerveau la même stimulation mentale que si l’on recevait un chèque de 25 000 $!

Dale Carnegie, l’auteur américain du célèbre livre Comment se faire des amis (1936, 15 millions d’exemplaires vendus), avait l’habitude de dire : «Un sourire ne coûte rien, mais il crée beaucoup : il ne dure qu’un instant et le souvenir en persiste parfois toute une vie.» À son époque, il ignorait sans doute à quel point il avait raison. «Les sourires sont tous différents», dit Christine Gagnon, synergologue chez Turchet et associés, un cabinet-conseil en communication non verbale. «Personne n’a les mêmes dents, les mêmes lèvres, les mêmes fossettes. Plusieurs éléments entrant en interaction font en sorte que l’image d’un sourire est plus marquante que celle d’un visage neutre.»

Sourire lorsqu’on rencontre quelqu’un pour la première fois est donc un moyen de se démarquer, de s’imprégner dans sa mémoire… et d’être oublié moins vite! Cela dit, sourire est un art que l’on peut mal maîtriser. Sans rire.

Vrai ou faux

Guillaume-Benjamin Duchenne, un médecin français du XIXe, fut l’un des premiers à étudier les expressions du visage. À l’aide d’un faible courant électrique, il stimulait les muscles faciaux de ses cobayes. C’est ainsi qu’il découvrit que certaines mimiques étaient spontanées. C’est le cas du sourire authentique, que les experts nomment aujourd’hui «sourire de Duchenne».

«Le vrai sourire se caractérise par deux mouvements faciaux, explique Pierre Gosselin. Un premier muscle soulève les coins des lèvres et un autre, l’orbicularis oculi, forme des pattes d’oie dans le coin extérieur des yeux et relève les pommettes. Ce sourire-là, naturel, est à peu près impossible à reproduire de façon volontaire.» C’est même démontré scientifiquement. «Le sourire intentionnel implique le cortex [siège de la pensée, du raisonnement], poursuit Pierre Gosselin, alors que le sourire spontané implique des structures cérébrales sous-corticales [sièges des pulsions, des émotions].»

Si je fabrique un sourire, l’autre n’est pas dupe.
– Guy Bilodeau, formateur et conférencier en communication non verbale

Le sourire que l’on affiche la plupart du temps en société, que ce soit par bienséance ou par obligation, est en fait une contrefaçon du sourire de Duchenne. Cela se voit dans les yeux. «Plusieurs de nos sourires sont travestis : le bas du visage sourit, mais pas les yeux», dit Christine Gagnon.

Ces sourires de façade, même s’ils ne viennent pas du fond des tripes, peuvent toutefois être bénéfiques. Une récente étude menée par des chercheurs de la Penn State University a conclu que le sourire de courtoisie des serveurs de restaurant n’est pas vain. Il a des retombées positives sur la satisfaction de la clientèle, à condition que d’autres critères de satisfaction soient remplis.

Le syndrome Jack Layton

Trop sourire a été le premier reproche que les analystes politiques ont fait au chef du NPD, Jack Layton, lors du débat des chefs des élections de 2008. Depuis, il semble avoir retenu la leçon. «Il a appris à dé-sourire; il a laissé tomber le sourire automatique», indique Guy Bilodeau, formateur et conférencier en communication non verbale, qui a analysé les simagrées des chefs politiques. «Ses sourires passent mieux, parce qu’ils sont davantage habités par une émotion.»

Au cours des vingt dernières années, explique Guy Bilodeau, on a découvert que, lorsqu’on produit une expression faciale, certaines zones cérébrales s’animent. Or, les mêmes zones sont activées simultanément dans les cerveaux de ceux qui nous observent. Cette transmission de l’émotion émise par la communication non verbale se fait grâce à ce que l’on appelle nos neurones-miroirs. «Si je fabrique un sourire, l’autre n’est pas dupe. Sans même avoir à y réfléchir, il va ressentir la fausseté parce qu’il n’y aura pas de “contenu” émotionnel transmis par le sourire. Du coup, le contact avec l’autre risque d’être plus difficile à établir.»

«Habiter ses sourires»; jolie formule. Mais dans la réalité, comment fait-on? S’il vous faut toute votre petite monnaie pour hisser les commissures de vos lèvres, c’est peut-être parce que le cœur n’y est pas. Laissez tomber. De toute façon, vous ne tromperez personne.

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