La formation continue se porte mal au Québec

Paul Bélanger, professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM et directeur du Centre interdisciplinaire de recherche et développement sur l’éducation permanente.
Photo : Patrice Lamoureux

Au Québec, chaque année, un travailleur sur trois suit une formation en rapport avec son emploi. C’est plus qu’il y a 20 ans, mais il reste du chemin à faire pour rattraper les États-Unis et l’Europe, où jusqu’à 50 % des travailleurs se perfectionnent.

Mais encore faut-il enseigner les bonnes choses! La formation offerte dans nos entreprises ne sert souvent à rien, déplore Paul Bélanger, professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM et directeur du Centre interdisciplinaire de recherche et développement sur l’éducation permanente. D’un côté, les besoins des travailleurs sont mal diagnostiqués; de l’autre, l’offre de formation est «constipée».

Rien pour aider nos entreprises à prospérer!

JOBBM   Pourquoi la formation continue ne donne-t-elle pas toujours les résultats escomptés?
Paul Bélanger Nos programmes gouvernementaux financent la formation en entreprise, mais pas l’analyse des besoins réels en la matière. À défaut d’avoir de l’aide en ce sens et des professionnels pour le faire, les entreprises donnent souvent de la formation inadaptée et concluent, après coup, que la formation n’est pas utile. C’est une erreur!

Il faut aider les entreprises à mieux cerner les carences des travailleurs. Par exemple, quelqu’un qui travaille dans le domaine des exportations utilise constamment la règle de trois pour convertir des mesures du système impérial au métrique. Il est donc inutile de la lui enseigner. Par contre, il pourrait avoir besoin de combler des lacunes en communication écrite ou en informatique. Pour un autre travailleur, ce sera le contraire.

Comment des employeurs en arrivent-ils à conclure que la formation ne sert à rien?
PB Les employeurs font généralement peu de suivi après les formations. Si une entreprise forme ses employés à l’utilisation d’un nouveau logiciel, vérifie-t-elle, par la suite, s’il est bien exploité dans le contexte de travail? Les employés rencontrent-ils des difficultés ou des situations qui n’étaient pas apparues durant la formation? Il faut assurer un suivi afin que les apprentissages soient vite et bien mis en pratique. Sinon, au premier problème, les travailleurs retourneront à leurs anciennes méthodes, et l’investissement n’aura rien donné.

À quoi devrait servir la formation continue?
PB On n’a pas besoin de formation «bonbon» pour récompenser les travailleurs, mais de formations qui augmentent la capacité d’action des employés et la productivité à long terme de nos entreprises. Et, comme la productivité passe inévitablement par l’innovation, la formation doit aussi y être liée. Malheureusement, les politiques d’innovation et de formation sont déconnectées au Canada; au fédéral et au provincial, quatre ministères différents s’occupent de ces politiques!

En Allemagne, le gouvernement finance la recherche et le développement plutôt que la formation dans les entreprises. Je suis d’accord avec cette approche, parce que c’est l’innovation qui crée la demande de formation continue, et non l’inverse…

Ici, le système est constipé! Il permet peu de formations courtes et flexibles, notamment en raison de la réticence syndicale du personnel enseignant.

La main-d’œuvre est de plus en plus scolarisée. Pourquoi les travailleurs ont-ils besoin de formation continue?
PB Le gros défi, c’est le changement fréquent d’emploi au cours du parcours professionnel. Ce changement n’est pas seulement lié aux fermetures d’entreprises, mais aussi à la transformation des modes de production. Prenez, par exemple, un travailleur étranger hispanophone qui, pendant 20 ans, n’a qu’à saluer ses collègues le matin avant d’aller à son poste. Un jour, on lui demande de travailler en équipe. Oups… Il doit alors mieux maîtriser la langue d’usage. Le problème de la communication orale et écrite est fréquent pour les travailleurs en général.

La formation continue permet, notamment, de rafraîchir les compétences essentielles que sont lire, écrire et compter, mais aussi de mieux maîtriser l’informatique. L’idée n’est pas d’alphabétiser les gens : au Québec, 85 % de la population a au moins 11 ans de scolarité. Mais si tu n’as pas pratiqué ta règle de 3, ta grammaire et ton calcul mental pendant 15 ans, tu ne les possèdes plus.

Certains travailleurs ont-ils plus de difficultés à se former que d’autres?
PB Le défi est particulièrement important pour les travailleurs âgés de plus de 45 ans, qui ont encore 20 ans de travail devant eux, voire plus. On peine à les convaincre de se former, car ils ont souvent peur d’échouer. Je me souviens d’un cas, dans une entreprise manufacturière : sur 50 employés, seulement 5 avaient accepté d’être formés sur une nouvelle machinerie.

Or, les études prouvent que les travailleurs vieillissants sont aussi capables d’apprendre que les plus jeunes. Il faut juste agir sur les peurs qui les bloquent. D’autant plus que bien des employeurs devront compter sur leurs travailleurs vieillissants parce qu’il y aura de moins en moins de jeunes sur le marché du travail.

Dans une société vieillissante comme le Québec, doit-on aussi former les aînés?
PB Les aînés, dont environ 15 % continuent de travailler, sont laissés pour compte. En Angleterre, au moins 40 % des personnes de 65 ans et plus participent à des activités de formation; ici, on est autour de 10 %. C’est un enjeu qui touche le bien-être économique et psychologique des individus.

Notre système d’éducation actuel facilite-t-il la formation continue?
PB En formation professionnelle, par exemple, 60 % des élèves ont plus de 20 ans et 50 %, plus de 25 ans; beaucoup sont donc susceptibles d’occuper un emploi. Pourtant, le système les force encore à suivre une formation à temps complet, de jour, la semaine! Aux États-Unis, le président Obama a mis en place des prêts et des bourses qui encouragent les travailleurs à étudier les soirs et les fins de semaine. Et c’est un succès fou! En Ontario, les community colleges (NDLR : ils offrent l’équivalent de la formation professionnelle et technique du Québec) sont surtout fréquentés hors des heures normales de travail.

Ici, le système est constipé! Il permet peu de formations courtes et flexibles, notamment en raison de la réticence syndicale du personnel enseignant. C’est inacceptable. Pourtant, les syndicats industriels poussent les syndicats d’enseignants à bouger là-dessus, mais ils n’y arrivent pas…

Plusieurs travailleurs du secteur manufacturier ont perdu leur emploi au cours des dernières années. Comment la formation pourrait-elle les aider à réintégrer un marché du travail qui ne leur est plus propice?
PB Il y a quelques années, en Gaspésie, on avait recyclé des travailleuses du textile en tailleuses de diamants, en 160 heures de cours! Il faut s’inspirer de ce genre d’exemple. Il faut oser! Durant les deux dernières années d’existence de General Motors au Québec, les employés avaient demandé, par une espèce d’intuition extraordinaire, une formation en électricité transférable dans le domaine domiciliaire. Et ils l’avaient obtenue. Ce n’était pas bête…

Au Québec, la majorité des emplois est au sein des PME. Sont-elles bien outillées pour former leurs employés?
PB Non, et c’est un grave problème! Depuis 2002, les entreprises qui ont moins d’un million de dollars en masse salariale ne sont plus tenues par la loi d’offrir de la formation à leurs employés. Pourtant, les petites entreprises ont les mêmes défis que les grandes : elles doivent innover et souvent exporter. Toutefois, elles n’ont généralement pas de gestionnaires de ressources humaines dans leur rang pour organiser des formations ou assez de personnel pour remplacer des employés partis se former.

Il faut concevoir des façons de les soutenir. Aux États-Unis et en Angleterre, le gouvernement paie des courtiers qui aident les entreprises sans personnel en ressources humaines à définir leurs besoins et à mettre des activités de formation sur pied.

Au Québec, l’initiative des mutuelles sectorielles et régionales de formation permet aux petites entreprises de s’unir pour offrir des formations à leurs employés. C’est fort pertinent. Toutefois, le financement ne dure que trois ans, selon le principe que ces mutuelles pourront s’autofinancer par la suite. Or, nos recherches à l’international démontrent que ces regroupements de PME ont besoin d’un soutien permanent. Un réajustement s’impose.

Vous affirmez qu’il faut repenser la formation continue au Québec. Comment fait-on cela?
PB Entre autres en formant plus d’«ingénieurs» de la formation continue, capables d’analyser les besoins des travailleurs, de produire une stratégie de développement des compétences et de vérifier que les apprentissages sont bien appliqués dans le contexte de travail par la suite. En plus des programmes de premier cycle et de deuxième cycle existants en ingénierie de la formation, l’UQAM offrira bientôt une maîtrise dans ce domaine. En France, «ingénierie de formation» est une expression consacrée. Ici, c’est encore tout nouveau…

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