Travailleur autonome et propriété intellectuelle : plantez vos jalons

George Lucas, créateur de la série de films Star Wars, est génial. Cependant, si son œuvre cinématographique a redéfini le cinéma, son habileté en matière de propriété intellectuelle reste généralement peu connue du grand public.

La façon dont l’auteur a manœuvré avec son producteur vers 1975, lors de la réalisation du premier Star Wars, relève pourtant du génie. Les deux hommes ne s’entendaient pas sur le cachet de Lucas. «Très bien», a fini par dire ce dernier. «J’accepte ce cachet, mais je garde les droits sur la musique, les dérivés, le nom de la série et sur les suites éventuelles.» Des «pinottes» que le producteur, se croyant malin, lui a concédées avec joie. Grossière erreur de sa part, puisque Lucas a par la suite fait fortune avec la musique et les figurines inspirées de son œuvre, en plus de produire lui-même les autres films de la série…

Soulignons d’entrée de jeu que la loi sur la propriété intellectuelle ne protège que ce qui existe sous une forme organisée et définitive. Une idée brute dans votre ciboulot ne peut être protégée. Quand vous aurez donné à votre idée une forme concrète et intelligible, elle pourra enfin être protégée si, elle n’appartient pas déjà à un autre! D’où l’intérêt de conserver tous les documents prouvant la genèse de votre création ou invention.

Des propriétés insoupçonnées…

Peu de gens soupçonnent les possibilités commerciales du ©, du ®, du TM et du MC, des petits sigles à première vue insignifiants. Pourtant, tout travailleur autonome gagnerait, comme le producteur de Star Wars I, à comprendre de quoi il en retourne.

Il faut tout d’abord savoir que la propriété intellectuelle ne touche pas seulement l’écrit : un sigle, un type d’emballage, un slogan, une photo, un CD peuvent devenir votre propriété exclusive. Presque tout ce qui se trouve sous vos yeux est susceptible d’être une forme ou une autre de propriété intellectuelle. Comme dans le secteur minier, la fortune appartient à ceux qui plantent leurs jalons aux bons endroits.

Prenons l’exemple de Paul Gallant. Travailleur autonome, il se spécialisait dans la vente de produits dérivés de séries télévisées. Or, un beau jour, il invente un casse-tête et crée la compagnie Wrebbit, qui l’a rendu multimillionnaire. Rançon de la gloire : des copieurs n’ont pas tardé à pirater son idée. Heureusement, il a pu faire respecter sa propriété en poursuivant ces copieurs, qui ont dû lui verser une compensation monétaire.

Trois belles patentes

La propriété intellectuelle revêt trois formes différentes, selon la nature de l’œuvre que vous voulez protéger.

Le droit d’auteur : Voilà l’outil commercial le plus simple, le plus courant et… le plus négligé. Il protège toute création, aussi bien un cahier de formation qu’un roman, une photo, un dessin, un logiciel, un cédérom, un film ou même une chorégraphie! Pas besoin d’enregistrer votre droit d’auteur : il est automatique dès la création de votre œuvre, en plus d’être gratuit, héréditaire pour 50 ans après votre décès et reconnu dans la plupart des pays.

Le brevet : Donne l’exclusivité d’une invention (gadget, médicament, appareil, technique nouvelle). L’inventeur doit prouver la nouveauté de son invention à l’Office de la propriété intellectuelle, et les démarches sont complexes.

La marque de commerce : Protège une formulation précise, c’est-à-dire quelques mots, un concept visuel, et même la forme d’un produit. L’enregistrement à l’Office de la propriété intellectuelle n’est pas nécessaire, mais préférable.

Droits multiples

Les possibilités commerciales de la propriété intellectuelle n’ont pratiquement pas de limites. Par exemple, dans le cadre du cours en calcul mental que vous donnez, vous ne pouvez pas breveter la formule «2+2=4», mais vous avez un droit d’auteur sur le contenu écrit de votre cours et les exemples que vous utilisez. Le titre du cours peut faire l’objet d’une marque de commerce. Ce qui vous permet d’imprimer votre cahier et de le vendre exclusivement. Vous pourriez en tirer des cassettes ou même une série télévisée.

La propriété intellectuelle présente des ressources commerciales fantastiques parce qu’elle permet de jouer sur divers plans. On peut négocier, simultanément et séparément, le droit d’utiliser, de publier, de diffuser, de reproduire, de présenter, d’interpréter, d’exhiber, de traduire, d’adapter. En tant que propriétaire, vous avez le droit de fractionner votre propriété comme vous le voulez : pour un territoire X, une période Y, une langue Z.

Pensez à une armoire : ce n’est pas parce qu’un tiroir est ouvert que les autres le sont, et il y a de fortes chances que chaque tiroir en contienne de plus petits, comme les poupées russes. Votre limite, c’est votre imagination et les techniques de diffusion connues à ce jour. Ces droits d’utilisation sont des privilèges octroyés par le titulaire du titre de propriété et par nul autre.

Valeur relative

La valeur commerciale de votre propriété intellectuelle dépend de la demande et de l’intérêt : vos photos de famille, sur lesquelles vous avez un droit d’auteur, ne valent probablement rien – sauf si votre nièce s’appelle Céline Dion. Vérifiez ce qui a cours dans votre milieu, et demandez un peu plus.

Les acheteurs ont toujours le défaut d’exiger des droits au-delà de leur compétence. Pourquoi l’éditeur d’un livre voudrait-il les droits de cinéma s’il n’a aucun contact dans ce milieu? Pourquoi ce distributeur demande-t-il des droits valables dans le monde entier s’il ne parle pas un mot d’anglais? De même, pourquoi allouer à tel magazine un droit exclusif de six mois sur vos photos, si ce magazine ne reste en kiosque qu’un mois?

Lors de la signature du contrat, soyez attentif à la formulation, notamment au mot «cession». Un droit d’utilisation est une autorisation temporaire. Une cession de droit, partielle ou totale, signifie que vous renoncez à votre propriété intellectuelle en permanence. Et ça se paye.

Drôle de protection

La protection légale de votre propriété intellectuelle comporte un gros défaut : elle repose sur la bonne foi des parties. L’utilisateur doit «penser» à vous demander la permission avant de reproduire ou de vendre votre produit ou votre ouvrage. L’État n’a pas de police pour faire respecter la propriété intellectuelle : il vous appartient d’être à l’affût.

Par contre, une propriété intellectuelle établie a un avantage : vous n’avez pas de permission à demander pour facturer une utilisation non autorisée. Et rappelez-vous : le prix est toujours proportionnel aux privilèges que l’utilisateur s’est donnés. Après tout, c’est vous le proprio!

Note : Le contenu de cette chronique témoigne des expériences et des connaissances de l’auteur. Toute référence à des dispositions légales ne peut servir qu’à titre indicatif et ne constitue en aucun cas un avis juridique.

Jean Benoît Nadeau est l’auteur du Guide du travailleur autonome, publié aux Éditions Québec/Amérique.

 

[Pour en savoir plus]

Ressources :
Office de la propriété intellectuelle du Canada
Place du Portage
50, rue Victoria
Hull (Québec) K1A 0C9
Tél. : (819) 997-1936

Invention Québec
4101, rue Jarry Est, bureau 307
Montréal (Québec) H1Z 2H4
Tél. : (514) 728-4561

2750, rue Einstein, bureau 300
Sainte-Foy (Québec) G1P 4R1
Tél. : (418) 657-5963

À consulter :
Canadian Copyright Law (3e édition),
par Lesley Ellen Harris, 2001, 332 pages,
éditions McGraw-Hill Ryerson.

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