Place à l’information-spectacle!

Photo : cinemafestival / Shutterstock.com
Photo : cinemafestival / Shutterstock.com

Avec l’essor des différentes plateformes médiatiques et la concentration toujours plus grande des groupes de presse, le rôle du journaliste semble en perpétuel questionnement. Le chercheur de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques(IRIS) Simon Tremblay-Pépin s’est penché sur la question en proposant l’essai Illusions, petit manuel pour une critique des médias.

Le métier de journaliste devrait-il être régi par un ordre?

Je laisse ce débat aux professionnels du métier. La question n’est pas tellement l’éthique individuelle, mais bien la structure dans laquelle s’inscrivent les journalistes. Les exigences de profit des entreprises de presse, les contraintes qui pèsent sur la production journalistique pour la pousser vers le spectacle, la transformation de beaucoup de journalistes en courroie de transmission des communiqués de presse, tout cela ne pourra être réglé par un ordre professionnel. Il faut agir à d’autres niveaux, c’est bien plus urgent.

Trouvez-vous que le Conseil de Presse fait bien son travail?

Le problème du conseil de presse ce n’est pas la qualité de son travail, qui, sans l’avoir étudié dans le détail me semble relativement bonne. Ce qui est problématique avec cette organisation c’est qu’elle n’a plus aucun poids dans la vie quotidienne des médias. L’idée n’est pas d’obliger les médias à verser des amendes quand il y a blâme, mais on devrait les obliger à être membre du conseil de presse et à diffuser les décisions les concernant dans des espaces bien visibles. Ce serait le minimum.

Trouvez-vous que certains journalistes expriment trop leurs opinions sur les médias sociaux?

Ça ne me préoccupe pas beaucoup. Si les commentaires qu’ils et elles font dans les journaux et à la télé pouvaient être plus pertinents et nuancés, pouvaient amener des analyse plus fines, là nous y gagnerions. Ensuite, qu’ils parlent ou non de leurs idées personnelles sur Facebook ou Twitter n’est pas si important, il y a des limites à ne pas dépasser, bien sûr, mais l’important c’est qu’ils fassent bien leur métier dans l’espace public qu’on leur offre.

L’objectivité journalistique, plus précisément l’objectivité des journalistes, s’avère-t -elle un leurre?

L’objectivité pure ça n’existe pas. C’est de penser que les « objets » sur lesquels se penche le journaliste parlent d’eux-mêmes, qu’il n’y a pas besoin d’un sujet pensant et analysant pour bien les comprendre. Si c’était le cas, on aurait simplement plus besoin de journalistes, on aurait qu’à montrer les choses et à laisser la caméra rouler. Le ou la journaliste a une subjectivité. La question est : «est-il ou est-elle honnête sur ses prémisses ?» «Sait-on à partir de quel lieu sa parole s’inscrit dans l’espace public?» «L’écoutons-nous en toute connaissance de cause?» Voilà les questions importantes.

Dans votre livre, vous évoquez le temps d’antenne toujours réduits des intervenants dans les médias. On fait également davantage appel à l’information-spectacle plutôt qu’à l’intervention de spécialistes pour traiter de divers enjeux. Croyez-vous à un éventuel retour du balancier à la faveur de véritables entrevues de fonds et des traitements plus approfondis ou avons-nous franchi le point de non-retour?

Le retour du balancier est une thèse sociale très faible. Un genre de pente glissante inversée, au lieu de dire que ça ira de mal en pis on pense que la vie fonctionne par cycles. Comme si les choses s’équilibraient naturellement. Pourtant tous les jours nous nous rendons compte que certaines choses ne s’équilibrent jamais.

Cela dit, non, je ne crois pas qu’on ira vers des médias qui offrent de la meilleure information plus le temps avance si la société reste telle qu’elle est. Si on veut d’autres médias, il faut transformer la société. C’est un problème qui dépasse la volonté des journalistes. Les choses complexes et subtiles ne vendent pas, le spectacle, oui. Comme les entreprises médiatiques sont d’abord et avant tout des entreprises, elles tendront à préférer ce qui est profitable à ce qui fait penser. À préférer Le Banquier à Une heure sur Terre.

Illusions : petit manuel pour une critique des médias

Illusions : petit manuel pour une critique des médias
par Simon Tremblay-Pépin
Éditeur : Lux

ISBN : 9782895961703

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