Santé psychologique : par où commencer?

Les déséquilibres dans la tête de certains salariés sont en train de devenir toute une épine au pied des employeurs. Selon le Conference Board, les troubles comme la dépression et l’anxiété ont privé les entreprises canadiennes du potentiel de 450 000 travailleurs en 2012, amputant le produit intérieur brut de 20 milliards de dollars. La note croît au rythme de 2 % par année, ce qui pourrait porter le manque à gagner à près de 30 milliards en 2030.

Les employeurs ont raison de s’inquiéter. Après tout, il leur faut une main-d’œuvre en santé et motivée pour atteindre leurs objectifs d’affaires.

Les plus bienveillants se sont mis à offrir toutes sortes de palliatifs, tels un gym en milieu de travail ou des formations en gestion du stress. Toutefois, des voix s’élèvent pour réclamer des changements plus profonds, alléguant que c’est au boulot que les gens passent le plus clair de leur temps.

Ainsi, l’Organisation mondiale de la santé fait la promotion d’approches systématiques pour préserver la santé psychologique en milieu de travail. Chez nous, des entités comme l’Association canadienne pour la santé mentale ont publié des guides dans le même esprit. Il n’en fallait pas davantage pour qu’une norme pancanadienne intitulée Santé et sécurité psychologiques en milieu de travail voie le jour en janvier dernier.

Les milieux de travail ne sauraient être tenus responsables de toute la misère du monde.

Enfin une bonne nouvelle? C’est loin d’être l’avis du Conseil du patronat du Québec (CPQ), qui a fait savoir son malaise lors d’un colloque qu’il a tenu en février dernier. «Ce n’est pas le principe qu’on met en cause, précise Carmel Laflamme, vice-présidente santé et sécurité du travail au CPQ. Mais au Québec, 95 % des entreprises ont 50 employés et moins. Il faut arrêter de leur en mettre sur le dos!» La démarche a beau être volontaire, nos patrons craignent de se la voir un jour imposer.

Les milieux de travail ne sauraient être tenus responsables de toute la misère du monde, renchérit le CPQ. Sur ce point, l’organisme a raison. Selon une recension de la littérature scientifique effectuée par Alain Marchand, professeur agrégé à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, près de 40 % des facteurs de détresse psychologique viendraient du travail. Le reste concerne des aspects comme la situation familiale ou les traits individuels. Quarante pour cent, c’est beaucoup, mais ce n’est pas tout. Se pose alors la question à plusieurs milliards : jusqu’où les employeurs doivent-ils intervenir?

Améliorer la santé psychologique au travail ne s’improvise pas. Cela suppose entre autres de faire un état des lieux en bonne et due forme. Ainsi, dans telle organisation, les cas de détresse psychologique peuvent être liés à une trop grande charge de travail, alors qu’ailleurs, il se peut qu’une forte proportion d’employés souffre d’isolement, ce qui nécessite des approches très différentes.

Une erreur fréquente est de prescrire à tout le monde des séances de relaxation ou de méditation, souligne Alain Marchand. «Ce sont des stratégies qui touchent la réduction des symptômes et non pas la cause. Si on est aux prises avec un problème de violence, ce n’est pas en offrant des massages que l’on va changer quoi que ce soit.» Pas le choix, donc, d’agir là où ça fait mal.

Selon le professeur, les interventions portant sur des caractéristiques objectives, comme la flexibilité des horaires ou la diminution des heures supplémentaires, sont généralement efficaces.

À condition que l’employeur puisse se les permettre, pourrait-on ajouter. Dans une petite entreprise comme un atelier de carrosserie, illustre Carmel Laflamme, on ne peut pas laisser chacun libre d’arriver à l’heure qu’il veut. «Si le préposé au sablage arrive une heure en retard le matin, peut-être que les autres employés ne pourront pas travailler.»

Enfin, la charge de travail semble constituer la principale pierre d’achoppement, comme le signale un rapport daté de 2007, mais toujours pertinent, publié par l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail : «… dans plusieurs cas, diminuer la charge de travail revient à baisser les rythmes de production, contrôler les demandes externes, ajouter des employés, modifier l’offre de service, etc. Ces éléments sont très sensibles et il a rarement été possible d’agir sur ceux-ci», peut-on y lire.

Ce n’est là qu’un aperçu de la complexité avec laquelle les milieux de travail devront composer au cours des prochaines années. Je nous souhaite bonne inspiration.

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