La construction au féminin

Harcèlement, discrimination, blagues sexistes : le quotidien des travailleuses de la construction n’est pas rose. Certaines arrivent pourtant à s’y tailler une place.

Représentant à peine 1,3 % des travailleurs de la construction, les femmes ne font pas toujours le poids pour contrer les mauvais commentaires de certains collègues masculins. Plusieurs travailleuses vivent des expériences désagréables qui les amènent à quitter le secteur – 62 % abandonnent leur métier après cinq ans. C’est ce qu’a révélé un rapport publié en octobre dernier par le Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT). Selon l’étude, le harcèlement arrive en tête de liste des difficultés qu’éprouvent les femmes en construction. Cela prend la forme d’intimidation, de blagues dégradantes, de rejet des pairs et de manque de coopération.

Derrière ce sombre portrait se trouvent heureusement quelques femmes passionnées par leur métier qui persistent dans l’industrie. Elles partagent ici leur expérience.

Bâties solides

Violette Goulet peut toucher du bois. Les appréhensions qu’elle avait avant d’intégrer le milieu de la construction l’été dernier ne se sont pas avérées. Cette jeune charpentière et menuisière de 27 ans travaille pour une entreprise de finition intérieure de Vaudreuil-Dorion. Jusqu’à présent, l’attitude la plus irrespectueuse dont elle a été victime est attribuable à un commis de quincaillerie. «Je voulais acheter une lame de scie ronde, raconte-t-elle. J’étais habillée normalement, “en fille”, précise-t-elle. L’employé m’a traitée comme si j’étais une conne! Je ne vis pas ce mépris sur les chantiers.»

Bien entendu, le monde de la construction ne fait pas dans la dentelle. Les blagues à caractère sexuel, le langage grossier et le ton parfois dur y sont courants. De quoi rebuter bien des femmes. Mais pas Violette. Elle a l’habitude de côtoyer des hommes. Elle a été choriste dans un groupe rock composé essentiellement de gars, et elle était la seule fille parmi 20 garçons lors de son passage à l’École des métiers de la construction de Montréal. «Je sais leur répondre et je peux avoir beaucoup de caractère quand je le veux», lance celle qui tient un blogue sur son expérience dans la construction.

«Certains collègues me font des blagues, mais jamais rien de déplacé, précise-t-elle. Je réponds à leurs boutades, ce qui les déstabilise.»

Une façon de faire que partage Emmanuelle-Cynthia Foisy, une charpentière et menuisière qui compte près de 10 ans de métier. Âgée de 37 ans, cette mère de deux enfants croit qu’il faut savoir répliquer, tout en ayant un bon sens de l’humour.

Se faire des alliés

«C’est certain qu’il faut être tolérante pour travailler dans ce milieu», admet Sylvie Déraspe, responsable du Comité pour la défense des droits des femmes dans la construction. En près de 30 ans de carrière, cette opératrice de pelle mécanique en a entendu des vertes et des pas mûres. Mais il n’est pas question de tout tolérer, il faut se respecter.

C’est le conseil qu’elle donne aux débutantes qui veulent faire leur chemin dans la construction. «L’attitude vaut pour 80 % de la réussite de l’intégration des femmes. Pour imposer le respect devant les hommes, il faut se respecter. S’il le faut, on gueule plus fort qu’eux. J’ai toujours été friendly avec mes collègues et ça s’est bien passé», dit-elle. Si bien que plusieurs d’entre eux ont pris sa défense le jour où un entrepreneur, mécontent de voir une femme sur son chantier, a voulu la renvoyer. «Les gars lui ont dit : “Si elle part, on part aussi”, raconte-t-elle avec fierté. Il n’a pas eu le choix de me garder.»

Il est intéressant d’avoir une plus grande diversité chez les travailleurs [âge, sexe, origine] afin de varier les points de vue et les façons de fonctionner.
— Claude Maynard, propriétaire de Hors Série – Construction sur mesure

L’appui de l’équipe est primordial pour que les femmes se sentent bien dans le monde de la construction, croit aussi Claude Maynard, propriétaire de l’entreprise Hors Série – Construction sur mesure, le patron d’Emmanuelle-Cynthia Foisy. Cet entrepreneur général de Sainte-Adèle ne se gêne pas pour «mettre les points sur les i» avec certains employés sous-traitants. Il ne tolère aucun mépris envers les femmes. «Je n’ai pas eu à intervenir souvent, mais j’ai tout de même précisé que des phrases comme : “Qu’est-ce que tu fais sur un chantier?”, ça ne se dit pas. Pour le reste, je sais que Cynthia n’a pas la langue dans sa poche.»

Claude Maynard ne voudrait surtout pas perdre celle dont il apprécie les compétences. «Elle a une bonne dextérité, raconte-t-il. En menuiserie, les femmes se démarquent des hommes grâce à leur minutie et à leur souci du détail.» Il remarque également qu’elle est plus organisée que ses confrères. «Le chantier est mieux tenu avec elle!»

Du travail, s’il vous plaît!

Or, pour plusieurs travailleuses, la principale difficulté est de trouver l’employeur qui leur donnera leur première chance. Sylvie Déraspe s’est cogné le nez à quelques portes en début de carrière. «Jusqu’au jour où j’ai dit à l’employeur que ce n’était pas dans mon salon que j’apprendrais à faire de l’excavation et du déneigement!» Non seulement elle a eu l’emploi, mais elle n’a plus jamais manqué de travail. «Le truc est de ne pas leur laisser le temps de nous dire non», conseille-t-elle.

Violette Goulet pensait devoir aussi défoncer des portes à ses débuts, mais cela n’a pas été nécessaire. Conquis par son attitude de «gagnante», l’entrepreneur de construction Michel Lévesque lui a offert un emploi sur-le-champ. «Violette est vaillante et positive et elle veut apprendre», souligne-t-il. Pour lui, c’est l’essentiel. Peu importe si un candidat est un homme ou une femme, de bonnes compétences jumelées à une attitude positive sont les critères qui priment pour celui qui a embauché trois charpentières et menuisières depuis 15 ans.

Une place à prendre

Mais l’ouverture des employeurs ne suffit pas pour que les femmes accèdent au domaine. Elles doivent aussi être prêtes à composer avec un travail physique et exigeant. Ancienne manœuvre ayant évolué dans le domaine des grues, France Girard est directrice des opérations de l’entreprise de services d’arpentage Le Ruisseau Droit, dans la région de Québec. Elle est ouverte à l’embauche de travailleuses, mais en 32 ans, seulement deux femmes ont tenu le coup.

Il faut dire que les arpenteurs ont besoin d’une grande endurance physique en raison du poids de l’équipement qu’ils traînent et des distances à parcourir pour la cueillette de données topographiques. France Girard persiste néanmoins. «Un de ces jours, on va en trouver une qui sera capable de faire le travail», dit-elle.

Des mentalités à changer

Claude Maynard constate qu’il y a encore des préjugés chez les entrepreneurs. «Il y a beaucoup d’ignorance et de peur, note-t-il. Du machisme aussi.» Selon lui, certains employeurs croient que les femmes n’ont pas l’endurance ou la force nécessaires pour faire le travail, alors que d’autres ressentent un malaise à laisser entrer une femme dans leur milieu de «gars». Il estime que les employeurs doivent aussi être ouverts aux obligations familiales souvent inhérentes à la situation des femmes et qui les conduisent à s’absenter ou à arriver en retard à l’occasion.

Les trois employeurs interrogés s’entendent pour dire que les femmes ont beaucoup à apporter à l’industrie de la construction. «Il est intéressant d’avoir une plus grande diversité chez les travailleurs [âge, sexe, origine] afin de varier les points de vue et les façons de fonctionner», croit Claude Maynard. «Les femmes apportent un côté plus humain aux relations dans ce milieu, ajoute France Girard. C’est un aspect très positif.»

Sylvie Déraspe milite d’ailleurs pour la mise en place d’un programme visant à assurer l’embauche d’un minimum de 4 % de femmes sur les chantiers de projets publics majeurs, tel que recommandé dans le rapport du CIAFT.

Chose certaine, Sylvie Déraspe ne veut pas faire peur à la relève. «Oui, il y a des choses à améliorer, mais des travailleuses de la construction heureuses et de bons employeurs, ça existe!»

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