Haute finance : placement risqué

bourse

Si l’achat de la Bourse de Montréal par celle de Toronto rend l’avenir de la haute finance montréalaise incertain, l’égide de l’Autorité des marchés financiers assurera à la métropole québécoise de ne pas être flouée par sa rivale ontarienne.

Entre consternation et confiance, l’âme des travailleurs du secteur de la haute finance québécoise balance! C’est qu’il est difficile d’évaluer les retombées de la fusion des Bourses torontoise et montréalaise, confirmée le 1er mai dernier.

Toutefois, avant d’approuver cette transaction qualifiée de «mariage de raison» par l’ex-premier ministre Bernard Landry, l’Autorité des marchés financiers (AMF) du Québec a posé des conditions (voir Les 5 commandements de l’AMF dans l’encadré plus bas) pour garantir le maintien dans la métropole d’une activité financière certaine. Comme concentrer à Montréal l’essentiel des activités dans le marché des produits dérivés. «Nous surveillerons de près les opérations de TMX [la nouvelle entreprise née de la fusion des deux Bourses] et nous nous assurerons du respect des conditions fixées», assure le porte-parole de l’AMF, Frédéric Alberro.

En cas de non-respect de ses engagements par TMX, l’AMF pourrait lui retirer sa reconnaissance et, dans le pire des scénarios, l’obliger à cesser ses activités au Québec. Autrement dit, les décideurs torontois, en achetant la Bourse de Montréal, se sont placés en partie sous le contrôle de l’État québécois, par l’entremise de l’AMF, qui pourraitau besoin montrer les dents. «À tout moment, nous pourrions imposer des conditions additionnelles à TMX, si nous le jugions nécessaire», ajoute Frédéric Alberro.

Chaque année, la Bourse montréalo-torontoise devra soumettre son plan stratégique de développement de ses produits dérivés à l’AMF, qui pourra bloquer d’éventuelles décisions nuisibles pour Montréal.

Même si l’AMF joue la police d’assurance pour la Bourse de Montréal, le parquet montréalais appartient désormais à celui de Toronto. «On parle de fusion pour embellir la réalité, qui est que la Bourse de Montréal a été achetée, que ses actionnaires l’ont vendue», s’indigne le président fondateur du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires, Yves Michaud.

L’égide de l’AMF pourrait également se révéler éphémère, croit Yves Michaud. «À court terme, il n’y aura pas de changements notables, dit-il. Mais qui a dit que le marché des produits dérivés ne connaîtra pas tôt ou tard des phases difficiles ou des ratés?» se demande-t-il.

L’avenir est si imprévisible que même les analystes favorables à la fusion n’excluent pas l’éventualité d’une marginalisation de la haute finance montréalaise… «Tout est possible, le meilleur comme le pire», relativise Nabil Khoury, titulaire de la Chaire Desjardins de gestion des produits dérivés de l’UQAM et partisan de la fusion.

Autre fusion à l’horizon?

Dans l’avenir, croit le professeur Khoury, une fusion de bien plus grande envergure que celle du 1er mai est possible. Des acheteurs étrangers pourraient vouloir s’offrir TMX. «Assez rapidement, des gros joueurs étrangers du monde de la finance vont convoiter la Bourse unie de Montréal et de Toronto, prévoit-il. Si TMX est achetée par des étrangers, la métropole pourra quand même espérer garder son expertise dans le domaine des instruments dérivés pourvu qu’elle soit suffisamment consolidée.»

Par consolidée, Nabil Khoury entend difficilement déménageable. Une expertise financière montréalaise encore plus nombreuse qu’aujourd’hui et jouissant, à force de succès, d’une réputation internationale, coûterait en effet très cher à délocaliser. La main-d’œuvre de la haute finance montréalaise demeurera donc fort probablement spécialisée.

Au-delà des conséquences de la fusion sur la haute finance montréalaise, il faut se questionner sur la viabilité et l’indépendance du marché boursier canadien, explique Nabil Khoury. «La tendance au regroupement des Bourses est très forte. Même la Bourse de Paris a été achetée par celle de New York!»

Les 5 commandements de l’AMF

1 La nouvelle entité fusionnée TMX concentrera à Montréal l’essentiel de ses activités dans le marché des produits dérivés, un domaine aujourd’hui florissant où la Bourse de Montréal prospère depuis près de dix ans.

2 La Bourse canadienne du carbone de TMX sera basée à Montréal.

3 Au moins le quart des administrateurs de TMX vivront et paieront leurs impôts au Québec.

4 Aucun actionnaire de TMX ne pourra détenir plus de 10 % des actions sans l’approbation de l’AMF.

5 Les services en français seront maintenus.

Et la Bourse de Paris n’était pas un moindre joueur… Elle avait déjà intégré quatre autres places boursières européennes, regroupées sous le nom d’Euronext. «Dans un contexte pareil, TMX risque d’être une proie facile, dit Nabil Khoury. Le marché boursier canadien ne représente qu’environ 2 % des actions dans le monde.»

Sur cette perspective, l’AMF se fait cependant rassurante. «Puisque aucun actionnaire ne peut détenir plus de 10 % des actions sans notre aval, aucune vente ne pourrait avoir lieu à moins que nous y consentions», dit Frédéric Alberro. Il rappelle que TMX s’est également fait imposer la condition de ne pas céder le contrôle de ses Bourses montréalaises des produits dérivés et du carbone.

La Bourse du carbone

L’arrivée à Montréal d’une Bourse climatique — communément appelée Bourse du carbone ou Bourse verte — réjouit tous les intervenants interrogés par le Magazine Jobboom. Son ouverture, annoncée en 2005, a eu lieu le 30 mai. Elle a pour partenaire la Bourse climatique de Chicago, propriétaire de la Bourse climatique d’Europe (basée à Londres).

L’engouement pour les Bourses vertes — où des droits d’émettre du gaz à effet de serre sont échangés en fonction de quotas de pollution fixés par les gouvernements — a gagné jusqu’aux détracteurs de l’Accord de Kyoto. Le candidat républicain à la présidence des États-Unis, John McCain, s’est déjà dit favorable à l’obligation pour les compagnies polluantes de s’inscrire à des Bourses climatiques.

Si la Bourse du carbone se révèle un succès, si les instruments financiers dérivés continuent de rapporter des profits et si TMX respecte ses engagements, la haute finance montréalaise a de beaux jours devant elle.

C’est ce que croit la présidente de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Isabelle Hudon, qui a salué l’accord de fusion. «On a obtenu l’assurance de l’AMF que la Bourse de Montréal va pouvoir croître au sein de TMX, juge-t-elle. La condition stipulant que le quart des décideurs des parterres fusionnés devront vivre et payer leurs impôts au Québec nous assure également que Montréal restera un centre de décision.»

Bourse de Montréal

Moments clés de son histoire

1832
Des actions sont informellement vendues et achetées à l’Exchange Coffee House, une ancienne taverne.

1849
Une première association de courtiers en valeurs mobilières voit le jour.

1874
Le statut de la Bourse est officialisé. Elle servira à financer la construction de chemins de fer.

1929
Krach boursier.

1965
La Bourse s’installe dans son édifice actuel au square Victoria.

1969
Le 13 février, un attentat à la bombe du Front de libération du Québec fait 27 blessés et précipite le départ de nombreux gros joueurs de la haute finance vers Toronto.

1977
La Bourse de Montréal fait ses premiers pas dans le domaine des produits dérivés.

1982
La Montreal Stock Exchange devient la Montreal Exchange. En éliminant le mot stock, la Bourse veut montrer qu’elle transige aussi des instruments dérivés.

1999
Entente de non-concurrence de dix ans entre Montréal et Toronto. Les produits dérivés deviennent la spécialité exclusive de Montréal. Toronto se concentre dans le marché des actions traditionnelles.

2007
L’entente de non-concurrence entre Montréal et Toronto tirera à sa fin dans deux ans. Toronto menace de se lancer dans les instruments dérivés. Montréal n’exclut pas d’émettre à nouveau des actions.

1er mai 2008
Achat de la Bourse de Montréal par celle de Toronto. La nouvelle Bourse se nomme désormais TMX.

30 mai 2008
Ouverture de la Bourse climatique de Montréal.