Guillaume Vigneault, de romancier à scénariste

clap

Je fais partie de ces drôles de personnes qui louent encore des films au club vidéo.

J’ai récemment déterré Tout est parfait, un film québécois sorti en 2008, qui a récolté les honneurs dans les festivals de cinéma sur la planète. Il dissèque le pacte de suicide de cinq jeunes dans une ville minière, dont l’un d’eux survit à l’hécatombe. Casse-gueule, le scénario regarde la mort par le trou du canon. Puis, bang! Le spectateur n’est pas épargné.

C’est le premier scénario de long métrage écrit par le romancier Guillaume Vigneault.

«Quand j’ai su que le film était financé et qu’il allait être tourné, je n’ai pas dormi pendant deux nuits», explique-t-il, en attaquant son beignet de crabe. Nous sommes attablés dans un carré de soleil au restaurant de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec, à Montréal.

«J’étais nerveux parce que c’est un sujet lourd envers lequel je me sentais une responsabilité, poursuit-il. J’ai eu la chance que tout le monde comprenne le même scénario que moi.»

Succès instantané

Comme tout le Québec, j’ai découvert Guillaume Vigneault en 2000 avec son premier roman, Carnets de naufrage (Boréal), qui raconte avec esprit «la fuite vers l’avant» d’Alex, un jeune barman largué par son amoureuse. Une grosse peine d’amour et d’égo qui l’a vite mis sur la carte. «Je me disais que j’allais être content si mes droits d’auteur me permettaient de réparer mes brakes de char. Mais les ventes ont vite décollé, on a dû réimprimer après dix jours!»

Une raison pour laquelle je suis fier de mes livres, c’est qu’ils ont été faits comme on assemble patiemment une chaise. J’ai travaillé fort.

Puis, en 2001, est né Chercher le vent (Boréal), un road book qui nous conduit jusque dans les marécages de Louisiane. Ce bouquin a aussi fait sonner les tiroirs-caisses des libraires, attisant du coup les railleries.

«On laissait entendre que mon succès était dû à mon nom de famille. Mais ça s’est arrêté quand mes romans ont été traduits à l’étranger, en Russie notamment, où personne ne connaît Gilles Vigneault.»

Artisanat

Selon lui, un roman est le fruit d’une éthique de travail inspirée de l’artisanat : on met un mot devant l’autre et le mot juste à la bonne place. «Une raison pour laquelle je suis fier de mes livres, c’est qu’ils ont été faits comme on assemble patiemment une chaise. J’ai travaillé fort.»

Début trentaine, alors que la célébrité lui tombe dessus, ce diplômé en études littéraires de l’UQAM bosse à temps partiel dans un bar du Plateau-Mont-Royal. En travaillant vingt heures par semaine, il gagnait autant que ses amis devenus profs de cégep.

Mais surtout, ce travail lui laissait du temps pour écrire. Entre deux shifts, il a trimé sur un troisième roman, une histoire familiale. Au bout de cent vingt pages, il a abandonné son manuscrit. «Il y a un bon germe dans cette histoire. Mais je ne garderais que mes dix premières pages.»

Qui sait. Le filon pourrait bien se transformer en film ou en série télé. Car un jour de 2005, le téléphone a sonné. La productrice Nicole Robert (Québec-Montréal, Horloge biologique, 1981) cherchait une plume pour fignoler une histoire de pacte de suicide qui trottait dans la tête du réalisateur Yves Christian Fournier. C’est ainsi que Guillaume signa le scénario du film Tout est parfait.

Un autre univers

«C’est une écriture très différente, c’est juste du visuel. Je ne peux pas décrire des choses invisibles, comme l’intériorité des personnages d’un roman. Je ne peux pas faire des figures de style ou employer des adjectifs bizarres.»

Depuis quelques années, Guillaume travaille à divers projets, dont un film français depuis… sept ans. «Comme Tout est parfait a été financé presque à la première ronde, ça m’a donné une fausse impression. Parce que d’habitude, c’est plus long. En scénarisation, si 25 % de ce que tu écris finit par être tourné, c’est bon. Ça décourage un peu, des fois.»

N’empêche, un de ses projets vient de recevoir le feu vert des organismes subventionnaires. Glace noire, la dernière Chasse Galerie sera réalisé par Jean-Philippe Duval, capitaine d’Unité 9, et sera tourné à l’automne.

Rentabiliser sa plume

Guillaume bosse aussi sur une série pour Radio-Canada, une bonne façon de rentabiliser une plume. «Si tes affaires roulent, tu peux gagner ta vie comme un médecin», explique-t-il. Un scénario de long métrage peut facilement rapporter 100 000 $ à son auteur. Et une série de dix épisodes qui voit le jour à l’écran : plus.

Plus payant que des romans? «Ouais… Quoique mes livres m’ont aidé à vivre.»

Il me révèle combien d’exemplaires de ses opus ont été vendus au fil des ans, mais me demande de taire le nombre. «Un best-seller, c’est 2 500 exemplaires vendus. À 5 000, on se roule à terre. À 10 000, on ne se peut plus. Plus que ça, tu fais chier bien du monde.» Et il n’aime pas faire chier.

D’autant plus qu’un jour, il reviendra jouer sur ce terrain pour retrouver son premier amour, la prose. Après tout, le livre est souvent meilleur que le film.

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