Des efforts qui rapportent

Gros plan sur le visage d'un homme en réfléxion
Photo : Rido/Shutterstock

Quand on change de pays, il faut consentir beaucoup d’efforts pour relancer sa carrière. L’obtention d’un titre comptable québécois est un défi pour les comptables immigrants, mais c’est surtout un véritable tremplin professionnel.

Serge Emmanuel Démétrius a travaillé pendant quatre ans comme comptable au sein de la Société financière haïtienne de développement avant de débarquer dans la Belle Province, en 2002, pour réaliser une maîtrise en sciences de la gestion à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fort de son titre de comptable professionnel en Haïti et de ses études de deuxième cycle en sol québécois, il était certain de dénicher facilement un emploi de gestionnaire dans une entreprise. Mais, surprise, les portes restaient fermées… «Chaque fois que je contactais un employeur, on me disait que l’expérience en dehors du Canada ne comptait pas, ou encore que j’étais surqualifié pour le poste. J’étais incapable de trouver un poste de gestionnaire», raconte-t-il.

C’est finalement grâce à une séance d’information de l’Ordre des comptables généraux accrédités (CGA) du Québec que le vent a tourné pour M. Démétrius. En effet, dès qu’il a commencé les démarches pour s’inscrire à l’Ordre en 2005, il a déniché un emploi de vérificateur dans un cabinet comptable à Montréal. Quatre ans plus tard, il décrochait le titre de CGA au Québec, et fondait son propre cabinet à Laval.

Marché du travail exigeant

Ce parcours ressemble à celui de nombreux comptables étrangers qui ont immigré au Québec. Malgré une expérience solide et un titre comptable acquis dans leur pays natal, ils sont difficilement reconnus sur le marché du travail québécois.

«Quand les immigrants arrivent ici, ils se rendent compte que pour accéder à des postes de direction, un titre comptable est demandé, indique Steeve Massicotte, CMA, vice-président, Formation et qualité à l’Ordre des comptables en management accrédités (CMA) du Québec. Les employeurs sont de plus en plus exigeants envers les candidats, et avant de leur confier des responsabilités, ils s’assurent qu’ils possèdent réellement les compétences requises», explique-t-il.

Dans un tel contexte, devenir membre d’un ordre comptable québécois est une étape obligée pour les nouveaux arrivants qui souhaitent faire carrière en tant que gestionnaires ou comptables professionnels.

Le chemin comporte toutefois des embûches. «Le processus peut se révéler frustrant, parce qu’on a le sentiment d’avoir déjà traversé toutes ces étapes pour décrocher un titre comptable dans notre pays. Mais il faut le faire afin de s’intégrer à notre nouvel environnement. Ainsi, on s’assure que notre statut professionnel sera respecté, que l’on sera placé sur un même pied que ceux qui ont eu leur titre ici», estime Stephen Moore, CA, qui est originaire du Royaume-Uni et qui pratique aujourd’hui à Toronto.

Persévérance!

La quantité d’énergie nécessaire pour mener à bien les démarches qu’exige l’obtention d’un titre comptable peut être énorme. «L’un des défis est de concilier le travail et les études», mentionne Younes Alami, CMA, MBA, immigré du Maroc en 2001. Il habitait à Sherbrooke, mais a dû accepter un poste d’analyste financier dans une entreprise manufacturière à Stanstead, alors même qu’il suivait le Programme exécutif CMA-MBA. «Je faisais 100 kilomètres par jour pour aller travailler, et les fins de semaine je me rendais à mes cours à Montréal. Pendant un an et demi, le seul moment dont je disposais pour me reposer était le samedi entre 20 h et 22 h…», se souvient le comptable.

Younes Alami est aujourd’hui contrôleur financier chez Bonduelle Amérique du Nord, en Montérégie. Il lui a fallu faire plusieurs sacrifices pour finir sa maîtrise et devenir membre de l’Ordre des CMA. Tout comme son épouse, qui jusqu’alors consacrait son temps à s’occuper de leur jeune fils et qui a dû intégrer le marché du travail. Diplômée en droit au Maroc, elle a accepté de prendre un petit emploi bien en deçà de ses compétences afin de permettre à son mari de s’installer avant de songer à sa propre carrière.

Le saviez-vous?

Un comptable étranger intéressé à devenir CMA au Québec peut effectuer une autoévaluation de sa formation et de son expérience gratuitement. C’est ce que permet un module d’évaluation des acquis de formation en ligne, créé par l’Ordre des CMA avec l’aide du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles.

Pour en savoir plus aller sur le site cma-quebec , puis cliquer sur «Devenir CMA», «Étudiants», «Cheminement».

Diane Messier, FCA, vice-présidente Formation professionnelle et relève à l’Ordre des comptables agréés (CA) du Québec, souligne qu’il faut beaucoup de courage et de détermination aux comptables étrangers afin de ne pas abandonner en cours de route. «Pour se motiver, il est important de ne pas s’isoler. On peut se joindre à une cohorte d’étudiants qui chemine vers un titre comptable ou participer aux activités des comités étudiants», conseille-t-elle.

Les coûts des cours et des examens, qui s’élèvent à plusieurs milliers de dollars, sont aussi un enjeu, mais les employeurs peuvent venir à la rescousse de leurs employés. «Plus de 60 % des candidats qui suivent le programme exécutif sont soutenus par leur employeur», dit M. Massicotte. De plus, tous les stages menant aux titres comptables sont rémunérés.

S’adapter à la culture

Pour les comptables comme pour tous les nouveaux arrivants, l’intégration au marché du travail québécois passe par la maîtrise du français et la capacité à s’adapter aux habitudes de vie d’ici. Les similitudes du travail de comptable d’un pays à l’autre facilitent toutefois les choses.

«Il faut être ouvert d’esprit, et ne pas s’attendre à retrouver les mêmes habitudes dans la culture professionnelle que celles de son pays», témoigne Tewfik Atia, CMA, MBA, originaire d’Algérie et directeur administratif chez Dessau. À son entrée en poste, il a notamment dû s’habituer à ce que ses collègues ne le saluent pas tous en arrivant le matin, alors que c’est une règle de base de politesse dans le monde du travail en Algérie. Un peu choqué par cette froideur au début, il a compris grâce à l’observation que ses collègues québécois agissaient plutôt ainsi par discrétion et respect pour les autres travailleurs.

Comme plusieurs comptables étrangers qui ont traversé les différentes étapes nécessaires pour accéder au titre, M. Atia est fier de sa réussite. Il a d’abord accepté une baisse de salaire de 40 % pour son premier emploi au Québec, en tant que responsable du service de comptabilité de High Point Media, une PME en expansion. Aujourd’hui, il gagne cependant bien au-delà de ce qu’il recevait chez lui, même s’il travaillait alors pour la firme internationale Schlumberger. «Je savais que je devais faire un pas en arrière pour en faire dix en avant. Il s’agissait d’établir un lien de confiance avec une entreprise qui ne me connaissait pas et à y reconstruire mon réseau. Mais une fois que nos preuves sont faites, nous sommes reconnus à notre juste valeur», conclut-il. Le jeu en vaut donc la chandelle!

Entente entre la France et le Québec

Quitter la France pour venir pratiquer ici, ou vice-versa, sera bientôt beaucoup plus facile. En effet, à l’automne 2008, le gouvernement du Québec signait avec la France une entente visant à favoriser la mobilité de la main-d’œuvre pour différentes professions. Les ordres des CA et des CGA du Québec se sont engagés à signer des ententes de reconnaissance mutuelle avec leurs homologues français le plus tôt possible. «Le 27 avril 2009, l’Ordre des comptables agréés du Québec a signé un arrangement de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles avec l’Ordre des experts-comptables de France. En ce qui concerne la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, l’Ordre poursuit les discussions avec ses homologues français afin de définir les modalités d’application de cette entente», indique Diane Messier, FCA, vice-présidente Formation professionnelle et relève à l’Ordre des comptables agréés du Québec.

Dès 2009, les équivalents français des CA et CGA pourraient donc être accrédités plus facilement ici. Déjà, grâce à une entente de réciprocité entre les ordres comptables québécois et français, il n’est pas nécessaire de recommencer des études de premier ou de deuxième cycle et d’effectuer un stage pour passer d’un pays à l’autre. Mais grâce à la reconnaissance mutuelle qui sera entérinée sous peu par le gouvernement, certains des quelques examens encore imposés aux comptables français et québécois qui s’exilent seront remplacés par de la formation continue intensive.

«Le but de l’entente France-Québec est de faciliter les procédures et de permettre le traitement accéléré des dossiers», indique Danielle Hébert, FCGA, présidente sortante du Conseil de l’Ordre des CGA.

Seul l’Ordre des CMA n’a pas pris part à cette entente. «Nous n’avons pas signé avec la France tout simplement parce qu’on n’y trouve pas d’équivalent des CMA. Cette profession n’existe pas comme telle là-bas», explique François Renauld, FCMA, président-directeur général de l’Ordre des CMA du Québec. L’Ordre sera toutefois prêt à signer ce type d’accord de reconnaissance mutuelle dès que le Canada conclura des ententes de mobilité de la main-d’œuvre avec d’autres pays de la Communauté européenne où on trouve des CMA, notamment la Grande-Bretagne.

Choisissez votre parcours

La première étape à franchir est la reconnaissance de ses diplômes et de l’expérience acquise à l’étranger, afin d’entreprendre le processus d’accréditation de l’un des trois ordres comptables québécois.

En contactant ces organismes à leur arrivée ou même avant de quitter leur pays d’origine, les comptables étrangers apprennent quels cours, examens et stages ils auront à faire au Québec. Danielle Hébert, FCGA, présidente sortante du Conseil de l’Ordre des CGA, conseille d’ailleurs d’établir ce premier contact le plus rapidement possible. «Il faut s’assurer de posséder tous les documents nécessaires : diplômes, relevés de formation du pays d’origine et preuves de l’expérience de travail afin de compléter le dossier ici.»

Des comités d’évaluation au sein des différents ordres et des universités québécoises analysent ensuite le profil des candidats étrangers, en collaboration avec le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec. L’objectif? Trouver le parcours le mieux adapté à chaque individu, afin de lui donner les outils nécessaires pour pratiquer au Québec.

Devenir CA

Selon le pays d’origine, la formation et le nombre d’années d’expérience des comptables étrangers, le parcours pour être accrédité au Québec peut varier de quelques mois à plusieurs années.

À l’Ordre des CA, des ententes de réciprocité permettent aux membres de 13 organismes comptables étrangers d’emprunter une voie rapide vers l’accréditation. C’est notamment le cas avec l’Angleterre, la Belgique, la France, les États-Unis, le Mexique, le Japon et l’Australie. Les CA de ces pays n’ont qu’à réussir un examen de réciprocité concernant les normes comptables, la fiscalité, la déontologie et le droit des affaires québécois, afin d’obtenir le titre de CA. «L’examen vise à vérifier les connaissances du candidat en vue d’avoir une pratique au Québec ou au Canada. La personne peut suivre des cours offerts par l’Ordre ou se préparer par elle-même. Nous fournissons aussi des listes d’ouvrages de référence», indique Diane Messier.

Pour les autres candidats étrangers au titre de CA, le processus d’équivalence des diplômes mène à un cursus minimal d’une dizaine de cours universitaires permettant d’acquérir des connaissances sur la pratique au Québec. Un programme de formation professionnelle de deuxième cycle d’un an et un stage de 24 mois en cabinet complètent la préparation. La dernière étape consiste enfin à passer l’épreuve uniforme nationale pour obtenir le titre de CA.

Devenir CGA

Pour devenir membres de l’Ordre des CGA, les candidats doivent obtenir un baccalauréat en sciences comptables ou l’équivalent. Ils peuvent ensuite suivre le programme court de deuxième cycle en expertise professionnelle (15 crédits) tout en faisant leur stage de 24 mois et les examens nécessaires (quatre au total, avec deux possibilités d’exemption).

L’Ordre des CGA a aussi des ententes de réciprocité, par exemple avec l’ACCA en Angleterre, le CPA en Australie et l’Irlande. L’Ordre préconise une approche d’évaluation cas par cas des dossiers. Selon leurs acquis, les comptables étrangers sont exemptés de certains cours et examens. Ainsi, s’ils viennent d’un pays qui n’a pas d’entente de réciprocité, ils ne sont pas nécessairement pénalisés et obligés de faire tout le programme.

Les cours universitaires que les immigrants doivent suivre, notamment pour se familiariser avec la fiscalité canadienne et le droit des affaires, sont offerts les soirs et les fins de semaine, et les examens peuvent être étalés dans le temps. «Notre programme de formation est très souple. Une personne qui arrive de l’étranger peut donc travailler tout en suivant la formation pour obtenir son titre de CGA», souligne Danielle Hébert.

Devenir CMA

Pour sa part, l’Ordre des CMA se distingue en offrant un cheminement exécutif de deuxième cycle universitaire qui évite aux comptables titulaires d’un diplôme de premier cycle universitaire qui travaillaient depuis plusieurs années comme cadres supérieurs ou intermédiaires dans leur pays, de repartir à zéro.

Les nouveaux venus qui possèdent au moins cinq ans d’expérience comme cadres sur le marché du travail peuvent décrocher simultanément le titre de CMA et le diplôme de MBA en seulement deux ans et demi. «Environ 50 % des étudiants des programmes exécutifs CMA et CMA-MBA proviennent de l’extérieur du Québec, affirme Steeve Massicotte. Les professionnels venant d’ailleurs ont vite compris que ces programmes permettent de reconnaître leur expérience tout en leur donnant accès à un titre comptable convoité, leur ouvrant ainsi les portes du marché du travail au Québec.»

Les autres candidats doivent obtenir la reconnaissance d’équivalence d’une partie de la formation qu’ils ont déjà acquise à l’étranger et qu’ils devront compléter au Québec de manière à atteindre le même niveau de connaissances qu’un diplômé d’un programme de premier cycle universitaire. Ensuite, les candidats étrangers peuvent entreprendre soit le Programme de leadership stratégique de l’Ordre des CMA, parallèlement à un stage de 24 mois, ou encore un diplôme de deuxième cycle et un stage de 12 mois. Trois examens de l’Ordre doivent enfin être réussis afin de devenir comptable en management accrédité.

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