À table avec Jacques Duval, chroniqueur automobile

Photo : Bocman1973 / Shutterstock.com
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À table avec Jacques Duval, chroniqueur automobile.

Les gens possèdent une voiture pour plein de bonnes raisons. Et moi, pour des raisons tout aussi valables, je n’en ai jamais eu. Jusqu’à maintenant : après 40 ans de bonheur à marcher et à covoiturer, je viens d’acheter ma toute première auto. Pour comprendre quelle folie soudaine s’est emparée de moi, et dans quel pétrin je viens de m’enliser, j’ai invité à ma table l’auteur et chroniqueur Jacques Duval, le monstre sacré de l’automobile au Québec.

Il a lui-même créé un monstre : Le Guide de l’auto, l’original, un grand succès commercial paru pour la première fois en 1967, et qui depuis fait des petits dans le milieu de l’édition. Mais à l’époque, lorsque ce jeune coureur automobile intrépide s’est improvisé «essayeur de voitures» à la télévision, à la radio et à l’écrit, il était seul en piste. «Je suis peut-être responsable de l’amour inconsidéré des Québécois pour l’automobile : j’ai semé un engouement chez les boomers qui se perpétue depuis de père en fils», explique-t-il, après m’avoir rejointe au restaurant italien La Diva, à Montréal.

Vrai que les Québécois sont «en amour» avec leur bagnole, «surtout les hommes». Malgré des pressions environnementales et financières de plus en plus aiguës, personne n’est prêt à conduire sa voiture à la dompe. Loin de là. Pendant que fond la calotte polaire, les ventes de véhicules neufs ne dérougissent pas, même s’ils sont polluants ou gourmands. Depuis une dizaine d’années, ça roule pour les véhicules utilitaires sport (VUS). Mais depuis cinq ans, c’est la «folie furieuse». «En 1965, il y en avait seulement quatre modèles sur le marché, contre 65 aujourd’hui. Ils en ont fait le véhicule à tout faire de la famille, remplaçant les familiales», relate Jacques Duval.

Selon lui, les VUS doivent leur popularité à l’espace qu’ils offrent et au fait qu’ils semblent plus sécuritaires. «Mais c’est une fausse perception. Ils sont juste plus lourds, moins aérodynamiques et consomment énormément alors que l’essence est chère! On dirait que l’hommerie est plus forte que toute logique», dit-il.

Je dirais que la femme perçoit moins les dangers de la route.

Précisons que l’hommerie s’applique ici aux deux sexes, car ce sont surtout les femmes qui achètent des VUS. Ces dames ont d’ailleurs créé tout un émoi quand elles ont pris d’assaut les routes du Québec dans les années 1970. Ô surprise, la femme au volant était alors source de blagues «à la douzaine», se rappelle Jacques Duval. Mais il se souvient surtout du flop de son guide rédigé spécialement pour les femmes au volant en 1974. «Il y a eu un genre de refus global : les femmes ne voulaient pas être traitées différemment des hommes. Résultat? On a vendu seulement quatre exemplaires et on a perdu 10 000 piastres

Au fait, les femmes et les hommes conduisent-ils de la même façon? Il se montre prudent… «En général, je dirais que la femme perçoit moins les dangers de la route, simplement parce qu’elle teste moins les limites de son véhicule. Alors quand un problème survient, elle est un peu plus lente dans ses réactions. Elle tend aussi à être plus distraite. Pas par faiblesse, mais à cause de ses nombreuses obligations familiales et professionnelles.» À preuve, souligne-t-il, la récente publicité montrant un motocycliste fonçant à toute vitesse dans un véhicule à une intersection. Qui est au volant et ne le voit pas venir? Une femme. «Ce n’est pas fortuit.»

Mais en matière de publicité, il ne faut pas tout gober! Surtout les pubs de chars, qui sont souvent un «tissu de mensonges», dit Jacques Duval. Notamment en ce qui concerne les cotes de consommation d’essence annoncées par les fabricants, qui, au Canada, ne reflètent pas la réalité d’une conduite normale. «Les cheveux me dressent sur la tête. Du moins, ceux qui me restent!»

Il faut dire qu’il connaît certains vices de l’industrie pour les avoir vus de l’intérieur. Entre 1985 et 1993, il a quitté le métier de chroniqueur automobile pour devenir le «conseiller spécial» de Ford. «J’avais accepté ce poste avec l’espérance de pouvoir changer les choses. Mais cette institution est tellement inébranlable : même si tu as des bonnes idées, elles ne se rendent pas où elles doivent aller. Mes recommandations sont restées lettre morte.» De «conseiller spécial», Jacques Duval s’est transformé en simple «publicitaire»… «J’ai été un peu trahi par Ford», dit-il, pensif.

Aujourd’hui âgé de 78 ans, Jacques Duval ne se définit pas comme «gars de chars», bien qu’il ait dépucelé plus de 2 500 voitures neuves lors d’essais routiers. En matière de bagnoles, il n’est pas comme un homme à femmes, qui les aiment toutes. «J’ai plutôt des goûts distincts.» Depuis toujours, il craque pour les allemandes «robustes» et «bien boulonnées», car il n’endure aucun bruit dans une auto. «Il n’y a rien de pire qu’une voiture qui fait des bruits de caisse. Là-dessus, les américaines s’améliorent, mais encore…»

Il conduit aujourd’hui une Mercedes. Mais ce père de famille a possédé une vingtaine de véhicules au cours de sa vie, entre autres une Porsche et même une ronflante familiale… pour traîner sa voiture de course! Au final, il conduit surtout les milliers de voitures qu’on lui prête pour les essais routiers. Pour les tester, il se balade «comme tout le monde» par temps sec ou pluvieux, le jour comme la nuit. Mais pour vérifier la tenue de route, il va chauffer les pneus sur les circuits de course automobile de Mirabel ou de Saint-Hyacinthe. Là, il pèse sur le gaz : 200, 210 km/h, voire plus.

Avez-vous déjà pris le clos avec une voiture flambette? L’ex-pilote rigole. «Oui, mais compte tenu du nombre de voitures essayées, pas tellement. Et je n’ai jamais abîmé une voiture au point où elle ne pouvait pas retourner là d’où elle était venue! Mais je touche du bois!»

Au cours de sa carrière de conducteur, un seul accident l’a marqué. Il avait 25 ans, c’était l’hiver. En revenant de voir sa blonde à Thetford Mines, il a dérapé et dans l’impact, il s’est charcuté la langue. «Or, ma langue, c’est mon gagne-pain! Je travaillais alors comme animateur radio et télé dans le milieu artistique. Ils m’ont recousu ça, je n’ai pas eu de séquelles, mais j’ai eu une frousse sévère de perdre ma carrière.»

Parlant de vitesse, une question me brûle les lèvres. À quoi ça sert d’avoir un gros moteur puissant quand, de toute façon, on ne peut rouler sur nos routes à plus de 100 km/h? «Ça ne sert absolument à rien! Sinon qu’à flatter l’égo de ceux qui ont ces véhicules!»

Ah! l’orgueil, c’est fort! Jacques Duval remarque d’ailleurs que peu d’hommes de son entourage lui demandent conseil avant d’acheter une voiture. «Les hommes ont une certaine vanité. Ils se disent : ce n’est pas lui qui va me dire quoi acheter. Par contre, ils me le disent après, pour savoir ce que j’en pense! Même mes fils font à leur tête. Ils ont acheté des voitures que je ne recommandais pas du tout!»

Les femmes, par contre, font souvent appel à son expertise. Par exemple, sous ses conseils, la fille de sa conjointe a acheté une voiture hybride. «Mais je ne conseillerais à personne d’acheter une voiture uniquement électrique aujourd’hui. C’est dangereux de tomber en panne. Le plus grand échec de l’industrie automobile, c’est d’avoir été incapable, en 100 ans, de produire une batterie donnant une autonomie respectable à un moteur électrique. Ils sont capables d’envoyer des hommes sur la Lune, mais pas de faire ça? C’est très mystérieux…»

Et moi, en tant que femme et parfaite néophyte en matière de bagnoles, que pensez-vous de mon achat? C’est une petite coréenne. Hyundai Accent 2011. Pas pire?

«C’est très bien. Surtout pour s’emmerder, c’est l’idéal! Bonne route!»

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