Spéculer sur le sens des mots

capitalisme

La mort de Viviane Forrester m’avait échappé complètement en avril dernier. La dame poétesse, qui a toujours su remuer les discours économiques consensuels de manière habile et élégante, a mené son dernier combat à l’âge vénérable de 87 ans.

Dans La promesse du pire, Viviane Forrester décortique le détournement du langage et la prédominance du capitalisme spéculatif sur l’économie marchande.

Cette plaquette inachevée devait servir de suite à L’horreur économique, son «best-seller» paru en 1996. Jusqu’aux dernières heures de sa vie, elle envoyait des bribes de textes à son éditeur : «Nous savons tous les deux (vous et moi) à quel point le public a besoin de ces livres.»

Un anachronisme «nous maintient persuadés de vivre encore à l’ère de l’économie de marché».

Il lui était essentiel, malgré sa santé chancelante, de continuer d’écrire cette suite. De poursuivre le combat jusqu’à son dernier souffle. Car si L’horreur économique date de 1996, l’actualité des crises récurrentes nous en ramène cruellement toute la pertinence. Surtout lorsqu’il est question de dénoncer le despotisme de la haute finance.

Car celle-ci a la primauté sur le politique. Ainsi, alors que les politiciens parlent de l’emploi comme d’une priorité en campagne électorale, Viviane Forrester martèle cette réalité : depuis longtemps, ce n’est pas du ressort des politiciens de déterminer les embauches. Le sort des travailleurs est lié plus étroitement aux décisions de l’élite économique. D’ailleurs, quand cette dernière utilise le vocable «plan social» pour le substituer à «licenciements», il y a lieu de se demander si les mots possèdent encore un sens.

Viviane Forrester renchérit : «Restructuration», «plan social», «création de richesse», le discours osant (c’est vraiment remarquable, chapeau, messieurs!) présenter les événements ravageurs comme des apports structurants. Détourner le langage, c’est s’approprier bien davantage que de simples mots.

Viviane Forrester traite aussi d’un dépassement du capitalisme. Ce dernier ne représente plus un échange de marchandises par l’intermédiaire de la main-d’œuvre qui les produit. Non, l’agressivité des marchés se déploie dorénavant dans les derniers retranchements du capitalisme spéculatif le plus volatil qui soit. Sans s’annoncer, elle s’infiltre dans notre quotidien : consommation, impôt, travail.

Un anachronisme «nous maintient persuadés de vivre encore à l’ère de l’économie de marché (quand ce n’est pas à celle de l’ère industrielle qui la précédait)». Pourtant, l’économie de marché «s’efface chaque jour davantage, submergée par le déferlement d’une spéculation vorace dont il n’est guère tenu compte officiellement, sinon comme un phénomène adjacent, presque anecdotique – tandis que s’instaure sous nos yeux l’ère du virtuel, c’est-à-dire la spéculation». Ce n’est pas stimuler l’économie que d’encourager toujours les mêmes forces en présence à spéculer sur nos vies. Au contraire.

La promesse du pire

La promesse du pire
par Viviane Forrester
Éditeur : Seuil

ISBN : 9782021092066

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