Le ver contre le retard mental

Sarah Jenna
Sara Jenna, Généticienne, Université du Québec à Montréal
Photo : David Simard

À l’aide de cobayes invertébrés, la généticienne Sarah Jenna cherche une cure à la déficience intellectuelle.

Depuis quatre ans, la généticienne Sarah Jenna fait la vie dure aux nématodes, une sorte de vers microscopiques. Gardés bien au frais dans les réfrigérateurs d’un laboratoire du Pavillon de Chimie et Biochimie de l’Université du Québec à Montréal, engraissés à la bactérie E. coli, les lombrics se multiplient, sans doute dans la joie, inconscients du sort que leur réserve la titulaire de la Chaire de recherche du Canada en génomique intégrative et signalisation cellulaire.

«On en sacrifie quelques milliers par jour dans le cadre de nos expériences génétiques», admet la chercheuse de 39 ans, Française d’origine mais Montréalaise de cœur depuis 1999. Ces massacres servent néanmoins une cause : trouver le moyen de renverser certaines formes de retard mental chez les humains.

Jusqu’à il y a environ cinq ans, la communauté scientifique croyait cette condition irréversible. «Or, des scientifiques réalisent peu à peu que certains cas ne sont pas imputables à une mauvaise structure du cerveau, mais à une dysfonction qui pourrait être traitée au même titre que la dépression grâce à un médicament.»

«Je suis heureuse dans l’inconfort de la création, quand il me faut déblayer des voies nouvelles.»

Sarah Jenna et son équipe étudient les gènes mutés des personnes touchées en utilisant le ver comme modèle. Certes, le nématode n’a pas de problèmes d’apprentissage, précise-t-elle. Il est fait d’à peine 900 cellules, comparativement à des milliards chez notre espèce. «Mais ce ver partage 40 % de nos gènes, ce qui est suffisant pour comprendre certaines mutations génétiques chez l’homme.»

Prenons, par exemple, les voies de signalisation, qui permettent aux cellules de communiquer entre elles. Certaines voies du nématode sont similaires aux nôtres, bien qu’elles ne contrôlent pas forcément les mêmes fonctions biologiques. Ainsi, les voies de signalisation impliquées dans la maturation des ovules chez le ver sont très semblables à celles participant à l’apprentissage chez l’homme. 

Autre avantage : le ver est hermaphrodite, donc il enfante des clones parfaits. Cela facilite les manipulations génétiques. «Ceci dit, il faudra faire un jour des tests avec des organismes plus complexes, comme la souris, afin de mieux comprendre les mécaniques en cause dans le retard mental», précise-t-elle.

Pour l’heure, histoire de raffiner sa compréhension des mécanismes de signalisation entre les cellules du ver, Sarah Jenna a déterré ses talents en programmation informatique. Avec un collaborateur informaticien, elle a mis au point un simulateur qui permet de prédire les comportements d’organismes soumis à diverses mutations génétiques grâce à des calculs de probabilité.

«Jusqu’à présent, ce système nous a permis d’identifier des gènes qui pourraient être ciblés par des médicaments dans le cas de 2 000 maladies génétiques, dont certaines formes de retard mental», dit-elle. Cette approche novatrice, appelée bio-informatique, lui a d’ailleurs valu une subvention du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, accordée à seulement 5 % des chercheurs du pays.

La généticienne attribue cette reconnaissance à l’originalité et à l’audace de sa démarche scientifique, mais précise que ces qualités lui jouent des tours par moments. «Cela m’amène à prendre des risques énormes qui ont déjà mis en péril la survie de mon laboratoire», dit-elle. Son projet de guérir le retard mental, par exemple, suscite encore de la perplexité dans son milieu. «La responsable d’un fonds de recherche m’a déjà dit que cette idée était une aberration!»

D’ailleurs, elle n’a pas encore réussi à obtenir des fonds spécifiques pour cette étude. «Je finance mon laboratoire grâce à des travaux plus classiques en génétique, notamment sur le développement embryonnaire, mais je carbure surtout aux entreprises comportant un grain de folie», dit celle qui se qualifie de bulldozer, modèle «hyper persévérant».

Cette passionnée de swing, de bandes dessinées, de yoga et de photographie compare sa vie de chercheuse à celle d’un artiste. «Je suis heureuse dans l’inconfort de la création, quand il me faut déblayer des voies nouvelles.» Gare aux vers de terre qui s’y trouvent…

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