L’informatique dans les nuages change les habitudes

Avec Google Documents, SharePoint et autres outils collaboratifs, les équipes de travail peuvent désormais partager des documents «dans les nuages», ce qui rend obsolètes les envois de pièces jointes par courriel, entre autres. Si quelques habitudes s’en trouvent bousculées, les gains en efficacité n’en sont pas moins appréciables.

On l’a tous vécu : dans le cadre d’un travail d’équipe, on inscrit nos commentaires dans un fichier Word qu’on envoie ensuite à un collaborateur. Ce dernier y ajoute son grain de sel, mais se trompe de version au moment de réexpédier le document à quelqu’un d’autre, et c’est la confusion. Il faut retracer l’information perdue et on accumule du retard. C’est sans parler du traditionnel «je suis incapable d’ouvrir votre fichier» de la part du collègue dont l’ordinateur n’est pas tout à fait à jour…

Mais avec les outils collaboratifs, ces désagréments sont chose du passé. Au lieu d’enregistrer un document sur leur ordinateur personnel pour ensuite le modifier et le réexpédier, les personnes concernées peuvent y accéder au moyen d’un fureteur Internet. Le fichier demeure à un seul endroit, et quiconque en a l’autorisation peut y apporter sa contribution.

On qualifie d’infonuagiques (traduction de cloud computing) les applications permettant de travailler de cette façon. La suite Google Documents, qui offre l’équivalent de Word, Excel et PowerPoint, est la plus connue. Parmi celles qui gagnent en popularité, on trouve SharePoint (de Microsoft) et plusieurs applications dites «libres», c’est-à-dire qu’elles sont gratuites et que n’importe qui peut en modifier le code pour y ajouter des fonctions. Les applications libres accolent généralement à leur nom le terme «wiki», par exemple TikiWiki. Wikipédia s’inscrit dans le même courant de pensée.

Popularité croissante

«Les outils collaboratifs tels qu’on les connaît aujourd’hui ont commencé à être développés dans les années 1980. Ils se sont d’abord implantés dans les entreprises liées aux technologies, mais ils se propagent maintenant dans tous les autres secteurs d’activité», observe Luz-Maria Jimenez-Narvaez, auteure d’un mémoire de maîtrise déposé à l’École Polytechnique sur la collaboration à distance. Elle poursuit actuellement ses recherches à l’École de technologie supérieure.

Une fois un texte approuvé par les personnes concernées, il suffit de cocher une case pour le rendre public. La mise en page se fait alors automatiquement.

Constatant l’importance que prend le travail dans les nuages, la firme AFI Expertise, qui aide notamment les entreprises à augmenter leur efficacité, a créé le poste de directrice du travail collaboratif. Marie-Claude Bélanger a été l’heureuse élue. Beaucoup de ses clients sont des organismes gouvernementaux, mais des entreprises de tous les secteurs font également appel à ses services; tant des compagnies d’assurance que des pépinières. «En posant le pied dans une organisation, je m’aperçois souvent que des employés ont déjà mis en place des moyens pour effectuer du travail collaboratif [wikis ou comptes Google Documents, par exemple]. Dans ces cas-là, je mesure leur efficacité pour voir s’ils ne pourraient pas être utilisés dans toute l’entreprise.»

4 000 employés interreliés

Le Groupe Dynamite, dont le siège social est situé à Montréal, vend des vêtements pour dames dans 275 boutiques situées dans plusieurs pays. Il a adopté l’application TikiWiki en 2009, afin de partager des documents de travail, des formulaires et des nouvelles entre les employés du siège social et des boutiques. En tout, 4 000 personnes sont branchées sur la même plateforme, selon différents types d’accès déterminant qui peut lire ou modifier quelle page.

Cette technologie a changé la vie de Heidi Chapson, rédactrice et éditrice dans l’entreprise. «Avant, les opérations de mise en ligne de l’information étaient extrêmement longues, se rappelle-t-elle. Maintenant, c’est fait en quelques secondes.»

Les employés avaient jadis recours à plusieurs logiciels pour mettre à jour leur intranet. Par exemple, un logiciel de traitement de texte pour rédiger, un autre pour la mise en page et un dernier pour la diffusion. Maintenant, chacun peut travailler dans une application qui permet de tout faire, directement dans un fureteur Internet. Une fois un texte approuvé par les personnes concernées, il suffit de cocher une case pour le rendre public. La mise en page se fait alors automatiquement, selon les paramètres définis pour l’ensemble de l’intranet.

Le directeur des technologies de l’information de l’entreprise, Mike Giannoumis, calcule que Groupe Dynamite a réalisé des économies de temps grâce à ce nouveau mode de fonctionnement. «Les employés attendent beaucoup moins les uns après les autres, dit-il. Ils peuvent voir qui travaille sur quoi, où chacun est rendu dans l’accomplissement de sa tâche et ainsi mieux gérer leur temps.»

Cette plus grande transparence entraîne-t-elle des comparaisons gênantes entre les contributions de chacun? Mike Giannoumis dit ne pas l’avoir remarqué, quoiqu’il reste à l’affût de cette possibilité. Marie-Claude Bélanger non plus n’a rien observé de tel. «La comparaison a plutôt pour effet d’augmenter la motivation à se dépasser», constate-t-elle.

L’insécurité et la nouveauté

Le seul inconvénient relevé par Heidi Chapson depuis l’avènement de la nouvelle plateforme, c’est l’insécurité manifestée par plusieurs employés, au début. D’ailleurs, toutes les personnes interrogées pour ce dossier expliquent que la transition suscite des inquiétudes.

De prime abord, certains utilisateurs sont déstabilisés de voir les modifications de leurs collègues apparaître en temps réel dans les documents. De plus, consulter l’historique des révisions ne fait souvent pas encore partie des habitudes, ce qui peut engendrer de la confusion quand vient le temps de se référer aux versions antérieures.

Or, ce trouble s’estompe rapidement si on adapte les méthodes de travail. Par exemple, lorsqu’on intervient dans un document, il est bon d’en aviser ses collègues – le courriel et le téléphone ne sont donc pas encore tout à fait inutiles. Au besoin, des avis de modification peuvent même faire l’objet de courriels automatisés. Lorsque chacun croit que le document est terminé, une dernière lecture par tous permet d’éviter les mauvaises surprises. Bref, «une fois que tout le monde s’est adapté, rares sont ceux qui regrettent l’ancien mode de fonctionnement», confirme Heidi Chapson.

Un nouvel utilisateur pourrait aussi craindre que son apport personnel perde en visibilité ou que certains équipiers laissent les autres travailler à leur place. «Pour éviter ces situations, chaque membre de l’équipe doit avoir des tâches bien définies», conseille Luz-Maria Jimenez-Narvaez. Par exemple, plusieurs personnes peuvent se répartir la rédaction du contenu, une autre se charge de réviser le français et une dernière effectue la mise en page. «Donc, si quelqu’un ne fournit pas sa part du travail, le document ne peut s’achever.» Une fonction de l’outil doit également permettre de vérifier quelles sont les contributions individuelles, ajoute la chercheuse. «La reconnaissance du travail accompli est un facteur important de motivation.»

Marie-Claude Bélanger voit dans les outils collaboratifs l’avantage de mieux intégrer de nouveaux employés. «Ils permettent tous de visualiser l’historique des travaux, c’est-à-dire leur évolution, les prises de décisions, les personnes qui ont collaboré aux différentes étapes de réalisation. Une recrue peut donc prendre connaissance de ces informations sans devoir interroger ses collègues. De cette façon, elle comprend rapidement son rôle pour les prochaines étapes.» Encore du temps de gagné!

Une PME plus productive
Il n’y a pas que les grosses organisations qui gagnent en efficacité avec les outils collaboratifs. Une PME peut s’épargner beaucoup de va-et-vient grâce à des applications gratuites comme Dropbox et Google Documents. La Boutique Flö, qui vend des accessoires pour la maison rue Saint-Hubert à Montréal, en profite grandement.

Flö publicise tous ses produits sur son site Internet, lequel est géré par une entreprise tierce. Il serait fastidieux pour la propriétaire, Floriane Gegout, de se servir du courriel pour envoyer à son fournisseur les photographies des nouveaux produits à mettre en ligne. Elle utilise donc Dropbox, qui consiste en un simple dossier sur son ordinateur, dans lequel tout ce qu’elle dépose apparaît sur l’ordinateur de son webmestre, dans sa propre copie du dossier.

Floriane Gegout utilise également Google Documents pour créer les infolettres destinées à ses clients. À l’aide d’un équivalent du logiciel Word, un de ses employés peut rédiger directement dans un document situé «dans les nuages». Un autre peut le relire et le modifier lorsqu’il reçoit une alerte automatisée par courriel. «Dès que des modifications sont faites, je suis mise au courant par une alerte. Je vais alors vérifier le travail effectué, je le corrige et j’envoie l’infolettre aux clients», explique Floriane Gegout. Pour rien au monde elle ne reviendrait aux anciennes méthodes.

 

Les outils collaboratifs les plus utilisés
Sauf de rares exceptions, les outils collaboratifs offrent toujours la possibilité aux créateurs de documents de permettre à certaines personnes de lire ou de modifier leur travail, et ce, en temps réel, grâce à un fureteur Internet – le plus recommandé est Google Chrome. Voici un aperçu de ce qui distingue trois outils parmi les plus connus.

Google Documents / On y trouve l’équivalent de la suite Office : Word, Excel et PowerPoint. L’application offre en plus la possibilité de créer des formulaires de sondage, des dessins et des bases de données. Elle est surtout utilisée dans les PME et par les travailleurs autonomes.

SharePoint / Destinée aux entreprises de toutes les tailles, cette application de Microsoft permet de partager l’équivalent des documents de la suite Office, mais aussi des agendas, des contacts et des liens. C’est l’idéal pour faire le saut vers le travail collaboratif tout en étant rassuré par une plateforme dont l’apparence est en continuité avec les outils du XXe siècle.

TikiWiki / Cette application libre (open source) offre tous les outils nécessaires aux communications d’une entreprise : calendrier, forums de discussion, infolettres, traitement de texte et chiffrier. À première vue, la plateforme semble moins conviviale que SharePoint, mais elle a l’avantage d’être modifiable par le technicien qui sait jouer dans le code source, contrairement à l’application du géant américain.

En rafale / Si vous êtes curieux d’explorer d’autres outils, tapez dans votre moteur de recherche favori l’un des noms suivants : Central Desktop, SkyDrive, Dropbox, Teambox, Zimbra, Lotus Note ou Alfresco.

 

commentez@jobboom.com