Dur, dur pour les immigrants de s’intégrer au boulot

Les immigrants qui refont leur vie au Québec ne vivent pas un conte de fées : en 2009, leur taux de chômage était presque deux fois plus élevé que celui des travailleurs natifs d’ici. Et même si plus de la moitié sont titulaires d’un baccalauréat, leur intégration économique est plus cahoteuse ici qu’en Ontario, entre autres.

La barrière linguistique est notamment en cause : malgré des avancées dans la francisation au cours des décennies, 35 % des résidents permanents ne connaissent que l’anglais ou, pire, aucune des deux langues officielles. Pourtant, certains économistes et démographes estiment qu’il serait justifié d’accueillir toujours plus d’immigrants pour contrer les manques de main-d’œuvre et le vieillissement de la population active.

Pour Marie Mc Andrew, professeure à l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’Éducation et les rapports ethniques, il n’y a pas de chiffre magique au-delà duquel le Québec ne pourrait plus accueillir d’immigrants. Mais avant d’en recevoir davantage, il faudrait s’assurer de mieux intégrer ceux qui sont déjà arrivés.

Q › Qu’est-ce qui bloque l’intégration professionnelle de nos immigrants?

R › Plusieurs facteurs sont en cause. D’abord, des immigrants francophones qui ont des lacunes en anglais s’installent massivement à Montréal, où le marché du travail est bilingue. Aussi, le Québec sélectionne maintenant davantage les immigrants en fonction de l’employabilité plutôt que des pénuries de main-d’œuvre. Et même dans les cas de pénuries, les besoins sont parfois surestimés, comme cela s’est produit en informatique, par exemple. Plusieurs immigrants spécialisés dans ce domaine tentent maintenant de se réorienter.

De plus, la fonction publique québécoise, qui est située surtout dans la région de Québec, de même que les PME, qui forment un bastion canadien-français, tardent à devenir plus inclusives. Et finalement, comme nous n’échappons pas au contexte post-11 septembre, il y a des préjugés à l’égard des immigrants, entre autres envers les Nord-Africains musulmans. Il faut dire qu’au cours des dix dernières années, conséquence de la sélection de francophones, le Québec a accueilli plus de musulmans que les autres provinces, soit majoritairement des Africains et des Maghrébins.

Q › Plusieurs immigrants ont du mal à faire reconnaître leurs diplômes par les ordres professionnels. Cela freine-t-il leur intégration?

R › Ça n’explique pas toutes leurs difficultés, car ce n’est qu’une faible proportion des 30 000 à 35 000 immigrants adultes qui arrivent chaque année qui ont une profession régie par un ordre professionnel – médecin ou ingénieur, par exemple. Mais la reconnaissance des diplômes reste une question importante. Si les plus qualifiés n’arrivent pas à trouver de travail, c’est révélateur des difficultés d’intégration vécues par les immigrants en général.

Q › Certains employeurs associent les musulmans aux demandes d’accommodements raisonnables. Sommes-nous racistes?

R › Sans que ce soit de la discrimination consciente, il y a une tendance naturelle à embaucher des gens qui nous ressemblent. Mais c’est difficile à quantifier, car un employeur qui rejette un candidat parce qu’il est musulman ne s’en vante pas et les gens instruits s’autocensurent pour avoir l’air politiquement corrects. C’est bien que le gouvernement tente de valoriser la diversité, mais on a une côte à remonter. Beaucoup de Québécois qui habitent loin des grands centres ne côtoient pas d’immigrants au quotidien et les images médiatiques peuvent les insécuriser. Ils ne distinguent pas l’ensemble des immigrants de certains groupes radicaux ou orthodoxes.

Q › Le gouvernement québécois prend-il de bonnes mesures?

R › C’est un chantier social complexe. Bien que le discours économique soit favorable à l’immigration, il y a aussi une crainte face à celle-ci lorsqu’on aborde les questions linguistiques et identitaires. Le gouvernement n’a annoncé aucune mesure depuis que la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables a déposé son rapport en 2008. Il n’y a aucun leadership pour contrer la peur de l’immigration vécue par la population. Quelqu’un doit mettre ses culottes sur cette question.

Q › Pourquoi les immigrants ont-ils plus de mal à trouver du travail au Québec qu’ailleurs au Canada?

R › En matière d’intégration, le Québec a 20 ou 30 ans de retard sur le reste du Canada. À partir des années 1950 et 1960, les communautés d’immigrants de Toronto, de Vancouver et de Calgary qui souffraient de chômage ont revendiqué des entreprises plus inclusives. Au Québec, cet enjeu n’existait pas alors, car les immigrants s’intégraient à la minorité anglophone. La réflexion du Québec s’est plutôt amorcée dans les années 1970 et 1980, avec la création de la loi 101, entre autres, qui a forcé les enfants d’immigrants à fréquenter l’école francophone. À la même époque, le Québec a aussi commencé à participer à la sélection de ses propres immigrants – autrefois choisis par le gouvernement fédéral –, dans le but de les intégrer à la majorité francophone.

Q › Nos travailleurs immigrants sont-ils heureux de leur situation professionnelle?

R › D’un côté, beaucoup d’immigrants scolarisés sont très mécontents du processus d’intégration. À l’opposé, des immigrants non sélectionnés – qui représentent environ 40 % des entrées annuelles et qui sont des réfugiés, par exemple – pourvoient des emplois bas de gamme et n’ont souvent que du bien à dire du Canada ou du Québec. À nos yeux, leurs conditions de vie sont difficiles, mais pour eux, elles sont meilleures que dans leur pays d’origine. Il demeure que les immigrants ont aussi leur part de responsabilité dans leur intégration. Plusieurs retournent aux études pour se perfectionner. J’ajouterais que les immigrants qualifiés ne devraient pas craindre de quitter Montréal pour trouver du travail. Les élus régionaux et les organismes communautaires ont d’ailleurs un rôle à jouer pour mieux les accueillir dans leur coin de pays.

Q › Est-ce vrai que l’intégration sociale des immigrants est meilleure ici qu’en Europe?

R › Oui, parce qu’il y a des immigrants dans toutes les sphères de notre société, pas seulement dans les emplois mal rémunérés. Sélectionner uniquement des immigrants peu éduqués pour les parquer dans des banlieues, c’est la recette parfaite de l’explosion. Il ne faut pas créer une société où l’origine détermine la classe sociale. Mais je m’inquiète quand même des répercussions à moyen terme sur les enfants de nos immigrants qualifiés qui ont des difficultés. Ça peut être déprimant pour eux de voir leurs parents traverser cette épreuve. Il faut s’assurer que cette génération ne subira pas les conséquences des erreurs commises auprès de la première génération d’immigrants.