Développer l’entrepreneuriat à l’école

Stimuler la relève entrepreneuriale dès l’école est un thème populaire en politique québécoise. En 2004, Jean Charest lançait le Défi de l’entrepreneuriat jeunesse. Lors de la campagne électorale de 2012, François Legault parlait d’un cours obligatoire d’entrepreneuriat en 4e secondaire. Or, voilà 15 ans que des initiatives scolaires tentent d’insuffler le goût des affaires aux jeunes de la province. Mais les retombées n’ont rien de miraculeux.

N’eût été du club d’entrepreneurs étudiants de l’Université Laval, qui sait si la boîte d’effets visuels ESKI existerait aujourd’hui. «J’avais déjà une franchise de peinture depuis mes études au cégep, raconte le cofondateur, David Parent. Mais le club a renforcé mon désir d’être entrepreneur. Assister à des conférences, pouvoir rencontrer des entrepreneurs et voir passer des occasions sont tous des facteurs qui contribuent à nous donner envie de se lancer en affaires.» Fondée en 2006, ESKI compte maintenant parmi ses clients le Cirque du Soleil, Loto-Québec, Arcade Fire et Microsoft.

Prétendre que le Québec ne fait pas grand-chose pour répandre la culture entrepreneuriale à l’école serait faire preuve de mauvaise foi. Écoles entrepreneuriales, clubs d’entrepreneurs, Concours québécois en entrepreneuriat… Des initiatives prennent racine dans la province depuis 15 ans.

Elles seraient même en train de porter quelques fruits. L’indice entrepreneurial québécois, mesuré par la Fondation de l’entrepreneurship depuis quatre ans, montre une progression en 2012 par rapport à l’an dernier : 8 % des Québécois ont l’intention de se lancer en affaires (ils étaient 7 % en 2011).

Mais cela reste nettement sous les 11,8 % (et les 11,1 % en 2011) observés chez les Canadiens des autres provinces.

«Il manque malgré tout de fondateurs et d’entrepreneurs pour prendre la relève des entreprises existantes», tranche Alain Aubut, qui préside la Fondation de l’entrepreneurship. Celle-ci estime que d’ici 2020, le déficit québécois de releveurs atteindra 38 000. Peut-on vraiment compter sur l’école pour renverser la tendance?

Expérience prometteuse

L’environnement scolaire peut faire une différence, s’il faut en croire une expérience menée en 2012 auprès de 109 élèves du centre de formation professionnelle Carrefour Formation Mauricie, de Shawinigan.

En février, lors d’une conférence-échange sur les enjeux économiques de la région, un agent de développement en entrepreneuriat leur a fait prendre conscience que leurs possibilités de carrière ne se limitent pas au salariat. Se lancer en affaires est aussi une option, a-t-il fait valoir, à la condition que l’on possède les compétences clés communes aux entrepreneurs : créativité, solidarité, confiance en soi, autonomie, responsabilité et leadership.

Sondés en juin, 41 % de ces élèves songeaient à démarrer une entreprise. «C’est très élevé», estime Denis Morin, coordonnateur du Forum sur les retombées de l’entrepreneuriat éducatif en Mauricie et directeur-conseil en entrepreneuriat à la Commission scolaire de l’Énergie. «Nous allons les suivre durant les trois prochaines années pour voir combien passeront de l’idée à l’action.»

Dans les années qui viennent, l’établissement ajoutera d’autres activités de sensibilisation à l’entrepreneuriat : ateliers, projets, stages et rencontres avec des entrepreneurs.

Une espèce rare

«Devenir entrepreneur, ce n’est pas une technique, ça ne s’apprend pas vraiment», croit cependant Alain Aubut. Rien d’étonnant à ce que les entrepreneurs accomplis tiennent de tels propos. À leur époque, on ne parlait pas de ça en classe. N’empêche, s’y mettre aujourd’hui ne peut pas nuire. «L’école peut fabriquer de très bons gestionnaires. Elle peut aussi faire germer une vocation d’entrepreneur, pour peu qu’on ait la graine en nous», ajoute Alain Aubut.

Or, tout le monde n’est pas fait pour se lancer en affaires. «Peu d’individus ont ce qu’il faut pour faire l’acrobate sans filet tous les jours», illustre Mario Lampron, un entrepreneur-né qui brasse des millions en vendant des accessoires de piscine, avec 11 employés à Blainville et 10 en Chine. Pour lui, ça ne s’apprend pas à l’école, mais plutôt au contact d’autres entrepreneurs.

La passion anime sans exception les nombreux entrepreneurs qu’il a rencontrés. «Ils ont mis en moyenne 3 000 heures d’ouvrage avant d’avoir un salaire décent et ont supporté une pression financière énorme sans se détourner de leur objectif.»

Dites “entrepreneuriat”, au Québec, et la plupart des gens entendent “capitalisme sauvage”.
– Natacha Jean, présidente et directrice générale du Concours québécois en entrepreneuriat

Tête dure. Marginal. Non conformiste. Visionnaire. Créateur. Passionné. Chef d’orchestre. Rebelle. Voilà les mots qu’utilisent à peu près tous les experts pour définir la bibitte rare qu’est l’entrepreneur. Pas tellement ce que valorise l’école, où il faut surtout se plier à des règles.

D’ailleurs, les élèves qui aiment moins l’école ou qui y éprouvent des difficultés sont un bon bassin de futurs entrepreneurs, réalisent les experts.

C’est pourquoi le Concours québécois en entrepreneuriat a conçu le programme Valoris, pour soutenir les projets d’élèves issus des milieux défavorisés dans les écoles primaires et secondaires. «Les retombées sont percutantes chez ces jeunes-là, affirme Natacha Jean, qui préside l’événement. Même leur posture change à mesure qu’ils prennent des responsabilités, selon ce que nous disent certains profs. Ils arrivent à l’école la tête haute, contents parce qu’ils sentent qu’ils ont aussi leur place.»

Le choc des cultures

Concilier la culture scolaire avec celle des affaires demeure toutefois un défi, estime Natacha Jean. «Dites “entrepreneuriat”, au Québec, et la plupart des gens entendent “capitalisme sauvage”. Les parents accusent l’école de virer à droite lorsqu’elle promeut l’entrepreneuriat. Ce genre de commentaire m’inquiète un peu. Il serait temps de revoir notre conception d’un entrepreneur.»

Une conception probablement à l’origine du peu d’individus animés par le goût du risque dans la province. Au sein des familles québécoises, on valorise plus souvent le job à salaire fixe que l’entrepreneuriat, générateur d’instabilité. «Si on encourageait les enfants à entreprendre autant qu’on les pousse vers le salariat, ça pourrait faire une différence», croit Claude Ruel, directeur général du Réseau québécois des écoles entrepreneuriales et environnementales.

Il faudrait aussi rappeler que les débuts des grands ont souvent été très modestes, question de ne pas mettre la barre trop haut, croit Mario Lampron. «Quand on pense aux entrepreneurs, on imagine des Alain Bouchard [le pdg d’Alimentation Couche-Tard] et des chiffres d’affaires dans les milliards. Or, les PME sont aussi le fait d’entrepreneurs.»

Les coopératives, les théâtres ou les organisations à but non lucratif sont également des entreprises, fait valoir Alain Aubut. «Il faut permettre l’accès à des modèles et démystifier le domaine entrepreneurial. Pourquoi les écoles ne font-elles pas plus de visites dans les entreprises? Il n’y a pas que les musées!»

Pour lui, le rejet de l’échec, le mépris du risque et le dédain de la richesse étouffent l’entrepreneuriat au Québec. Pourtant, d’autres cultures valorisent l’échec. Les Américains, par exemple, le prennent comme une expérience formatrice dont on se relève pour mieux repartir. Il serait temps, selon lui, qu’on examine nos valeurs.

Mais dans l’ensemble, sommes-nous plus sensibles à l’entrepreneuriat aujourd’hui que nous l’étions il y a 30 ans? «La réponse est oui», conclut Alain Aubut.

Pépinières de pdg

    Réseau québécois des écoles entrepreneuriales et environnementales

  • Compte 81 écoles primaires et secondaires partout au Québec.
  • Applique une pédagogie par projets depuis la fin des années 1990. «Il faut que les jeunes apprennent moins passivement et plongent dans des projets qui les rendent créatifs, responsables, débrouillards et confiants en eux-mêmes», résume le directeur général de ce réseau, Claude Ruel.
  • Cours d’aérobie, vente de maïs soufflé, restaurant santé ou savonnerie sont des exemples d’initiatives.

    Clubs d’entrepreneurs étudiants

  • Présents dans 35 cégeps, 5 universités et 6 centres de formation professionnelle.
  • 20 000 élèves y ont participé depuis 1991.
  • «Ils organisent toutes sortes d’activités reliées à l’entrepreneuriat, même des missions économiques à l’étranger», dit Pierre Touzel, le directeur général de l’Association des Clubs d’entrepreneurs étudiants du Québec.

    Programmes spécialisés

  • Le programme Lancement d’une entreprise est offert dans des centres de formation professionnelle partout au Québec.
  • La plupart des universités ont mis sur pied des programmes consacrés à l’entrepreneuriat.
  • L’École d’entrepreneurship de Beauce (privée) offre du perfectionnement conçu par et pour des chefs d’entreprise.

    Concours québécois en entrepreneuriat

  • Récompense les meilleures initiatives de la province depuis 1997.
  • Environ 4 000 projets soumis chaque année viennent des écoles primaires et secondaires.
  • Quelque 250 candidatures proviennent des cégeps et des universités.

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Une série web sur FounderFuel et l’entrepreneuriat à Montréal