Vétérinaires recherchés

On connaît les débordements des urgences. Mais saviez-vous que les besoins de services de santé sont aussi criants dans le règne animal? Le Québec aurait besoin de quatre à cinq fois plus de diplômés en médecine vétérinaire pour répondre à la demande.

Bon an, mal an, la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal à Saint-Hyacinthe, la seule à offrir cette formation au Québec, reçoit plus de 500 demandes d’admission. Sur le lot, seuls 80 à 90 élus sont accueillis dans ses murs pour en ressortir avec un diplôme.

Mais sur le terrain, on a besoin de bien plus que cette poignée de diplômés pour satisfaire à la demande. «Il y a un manque important de médecins vétérinaires», indique Christine Girard, vice-doyenne aux affaires étudiantes et à la vie facultaire. «La pratique avec les petits animaux [chats, chiens, oiseaux, etc.] se développe beaucoup et il y a aussi un manque de relève dans la pratique avec les grands animaux [chevaux, bœufs, vaches, porcs, etc.]», dit-elle.

Par ailleurs, l’Agence canadienne d’inspection des aliments et le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec embauchent aussi des vétérinaires, notamment pour inspecter les viandes et lutter contre les maladies animales contagieuses.

«Nous aimerions accueillir davantage d’étudiants pour répondre à la demande, mais nous n’avons pas les ressources nécessaires, soutient Christine Girard. Il faut de l’équipement, le nombre de professeurs est limité et nous ne voulons pas alourdir les classes afin de préserver la qualité de l’enseignement.»

Manque de médecins en région

Chaque année, environ 50 des nouveaux diplômés en médecine vétérinaire choisissent la pratique auprès des petits animaux. Mais cela reste insuffisant, note le Dr Joël Bergeron, président de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec. «Les besoins grandissent, car les gens sont prêts à donner de plus en plus de soins à leurs animaux de compagnie. La demande de vétérinaires est particulièrement forte en région. En dehors des grands centres urbains, il faut souvent plusieurs mois à une clinique pour recruter un jeune vétérinaire.»

Le Dr Michel Pépin, directeur général de l’Académie de médecine vétérinaire du Québec, qui regroupe 900 vétérinaires spécialisés dans les petits animaux, confirme que le manque est criant dans des régions comme la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et l’Abitibi-Témiscamingue. «Dans les grandes villes, il existe des centres d’urgence vers lesquels les cliniques peuvent diriger leur clientèle en dehors des heures de bureau. Cela n’est pas possible en régions éloignées. Là-bas, les vétérinaires doivent être de garde 7 jours sur 7, 24 heures sur 24», illustre-t-il. De telles conditions sont peu attrayantes pour les jeunes diplômés qui préfèrent se cantonner dans les centres urbains.

Un problème de génération?

Le fait que les nouveaux diplômés consacrent moins de temps au travail contribue également à accentuer la demande de vétérinaires. Le Dr Pépin constate que les générations X et Y accordent une plus grande importance à leur qualité de vie que les baby-boomers. «Ils travaillent 40 heures semaine et non 60 heures comme leurs prédécesseurs, dit-il. La féminisation de la profession a également changé les règles.» Les femmes vétérinaires se soucient en effet davantage de la conciliation travail-famille, et ne sont pas prêtes à tout sacrifier sur l’autel de la carrière.

Le Dr François Lubrina, propriétaire de la clinique l’Ambulante vétérinaire de Côte-des-Neiges, à Montréal, constate également que de nombreux jeunes diplômés optent plutôt pour le travail à temps partiel, ce qui diminue l’offre de services à la population. Il est d’avis toutefois que l’entente sur la mobilité de la main-d’œuvre avec la France, qui permettrait aux vétérinaires français de pratiquer au Québec d’ici quelques mois, pourrait régler une partie du problème.

Aux grands animaux, les grands maux

Les éleveurs de bovins laitiers et de boucherie, de porcs, de moutons et de chevaux ont aussi grand besoin des services des médecins vétérinaires.

Mais là encore, les recrues manquent à l’appel, puisque seuls 22 à 25 nouveaux diplômés optent annuellement pour cette spécialité. «On a beaucoup travaillé avec l’Ordre des médecins vétérinaires pour sensibiliser les étudiants à la demande dans ce secteur», explique le Dr Michel Donnelly, directeur général de l’Association des médecins vétérinaires praticiens du Québec, qui représente environ 400 membres pratiquant dans le domaine des animaux de consommation (porcs, volailles, bovins, chevaux).

Et une autre difficulté émerge : celle de retenir les vétérinaires qui ont choisi ce domaine. Le secteur des grands animaux exige beaucoup de disponibilité. Il faut assurer un service d’urgence 24 heures sur 24, 365 jours par année. «Au bout de cinq ans de pratique, un vétérinaire sur deux change d’orientation et part travailler dans le secteur des petits animaux ou pour le gouvernement», déplore le Dr Donnelly.

Le secteur connaît aussi des ennuis de recrutement, notamment en région, comme en témoigne le Dr André Banville, propriétaire de la Clinique vétérinaire de Gaspé. Il lui a fallu trois ans de recherches intensives pour dénicher une jeune diplômée, originaire de Granby. «Nous mettions même à la disposition du candidat un chalet sur la plage pour l’été, mais personne n’était intéressé!» s’étonne le médecin.

Perspectives d’avenir

Les besoins croissants en matière de sécurité alimentaire contribuent également à hausser la demande de vétérinaires. Et leur présence est cruciale dans les élevages pour diagnostiquer de façon précoce des maladies telles que la vache folle, la fièvre aphteuse et la grippe aviaire. Certaines de ces maladies ont déjà causé des milliards de dollars de pertes en Europe notamment, mettant toute une industrie en péril. Chez nous, en 2003, quelques cas de vache folle dans l’Ouest canadien avaient causé la suspension de l’exportation de bœuf canadien chez nos voisins du sud, mettant en difficulté les éleveurs de bovins.

Pas de doute pour le Dr Joël Bergeron, le vétérinaire joue un rôle important en matière de sécurité bioalimentaire : celui d’agent de sécurité. «C’est le seul professionnel de la santé dans le secteur agroalimentaire.» Et on ne saurait s’en passer!