Montréal-Nord mise sur les jeunes entrepreneurs

Constantin Tombet, agent de développement en entrepreneuriat jeunesse pour le CJE Bourassa-Sauvé, en pleine discussion avec de nouveaux entrepreneurs. «Je suis conseiller, mais aussi grand frère. Je travaille sur les projets autant que sur les individus.»
Constantin Tombet, agent de développement en entrepreneuriat jeunesse pour le CJE Bourassa-Sauvé, en pleine discussion avec de nouveaux entrepreneurs. «Je suis conseiller, mais aussi grand frère. Je travaille sur les projets autant que sur les individus.»

Montréal-Nord traîne une mauvaise réputation depuis quelques décennies : gangs de rue, pauvreté, insalubrité, insécurité… Mais, cinq ans après l’«affaire Villanueva» et l’émeute qui a suivi, l’arrondissement s’efforce de changer sa réputation, comme en témoignent ses jeunes entrepreneurs.

«On a trop d’idées préconçues sur le quartier, sur la précarité. Je veux prouver que ce n’est pas vrai», confie Janny Gaspard, 27 ans, cofondatrice du Café Souljazz, qui se propose d’offrir un lieu de rencontre branché aux étudiants de Montréal-Nord. Le projet répond à un besoin, selon son étude de marché. Malgré tout, la jeune femme d’affaires se heurte à l’incrédulité de certains de ses amis. «Ils ne comprennent pas pourquoi je veux installer ça ici. Ils me disent : “Il n’y a personne, tu ne vas pas faire d’argent.”»

Les remarques défaitistes sont aussi le lot de Julie Pelletier. «Les gens me disent : “On est loin de tout”», mentionne la trentenaire qui trouve pourtant ici fournisseurs, clients et associés pour faire fonctionner son entreprise. En juillet 2012, elle a ouvert un traiteur pour garderies, Petite Popote, boulevard Gouin Est.

Originaire de la Rive-Sud, Julie Pelletier a passé quatre années dans le domaine des assurances au Texas, avant d’aspirer à un rythme de vie plus tranquille. Un changement de style de vie qu’elle ne regrette pour rien au monde. «Ici, tout le monde se connaît. C’est comme un village.»

Pourtant, au vu des résultats du recensement de 2006, le quartier peut rebuter : plus bas taux de scolarisation de l’agglomération montréalaise, plus haut taux de chômage chez les jeunes hommes, revenu familial plus faible… Mais les choses changent.

«L’affaire Villanueva a été un élément déclencheur», affirme Julie Demers, candidate du NPD aux élections fédérales de 2011 pour la circonscription de Bourassa, militante communautaire et résidente du quartier de longue date. Piqués au vif par l’image que leur ont renvoyée les médias, les élus et les habitants ont voulu y remédier.

Faut se parler

«On est tricoté serré», résume Jean Touchette, directeur général du Centre local de développement Montréal-Nord (CLD). «On est tous copains!» renchérit Jérôme Matas, en charge du mentorat des jeunes entrepreneurs au CLD. La grande force de l’arrondissement, explique-t-il, est de pouvoir réunir CLD, carrefour jeunesse-emploi (CJE), mairie, chambre de commerce, comité de développement et même bailleurs de fonds, en quelques coups de téléphone. «Si un entrepreneur vient nous voir, on peut asseoir tous les acteurs à la table.»

Un «bureau de projet», mis en place par la mairie en septembre 2011, y est pour beaucoup. En une seule visite à ce local du boulevard Pie-IX, citoyens, entrepreneurs et investisseurs potentiels ont accès aux différents organismes de développement économique du quartier.

Selon Jean Touchette, cette approche n’a pas d’équivalent dans les autres arrondissements montréalais. «On fait des jaloux!» Mais elle n’a pas toujours coulé de source. «[L’affaire] Villanueva a forcé les organisations à se parler. […] Avant, les démarches étaient plus individuelles.»

L’arrondissement a aussi mis en place, en mai 2010, un «guichet unique», destiné aux acteurs du vaste plan de développement Montréal-Nord 2020. Entre autres projets, le quartier accueillera deux gares du train de l’Est, en cours de construction, un service de bus rapide et un nouveau pont pour le boulevard Pie-IX, plusieurs espaces verts supplémentaires, un centre sportif et communautaire flambant neuf, des pistes cyclables, ainsi que plusieurs lotissements résidentiels. Investissements prévus pour le quartier : au moins 100 millions de dollars.

«Jamais je n’ai vu Montréal-Nord se développer de cette façon-là», estime Jean-Marc Gibeau, conseiller municipal de l’arrondissement depuis 1996 qui habite le quartier depuis 54 ans. Parmi les objectifs du programme : «développer une image positive de Montréal-Nord». Les jeunes entrepreneurs du quartier ne demandent pas mieux.

Avec ou sans frontières

«Les jeunes ont envie de construire pour le quartier», affirme Constantin Tombet, agent de développement en entrepreneuriat jeunesse pour le CJE Bourassa-Sauvé. Depuis quatre ans, il a aidé plus de 70 jeunes entrepreneurs de 16 à 35 ans à mener à bien leurs projets. Maison de production vidéo, traiteur, exterminateur, café, garderie… La moitié est toujours debout aujourd’hui, se félicite le Congolais d’origine.

«Ces jeunes ont grandi ensemble. Quand ils parlent de leur communauté de quartier, le “nous” revient beaucoup. C’est la famille nord-montréalaise.»

Cassandra Baptiste traduit leur état d’esprit. Cette jeune femme de 31 ans a ouvert la garderie Casablanca à la fin de décembre 2011. «Je voulais rester à Montréal-Nord pour promouvoir le quartier. Ici, c’est tranquille, les enfants jouent dehors sans problème.» Elle est bien consciente que la concurrence est rude pour les garderies, mais la demande locale est loin d’être négligeable. L’arrondissement compte 28,8 % de familles monoparentales (dont 83,7 % de mères), le plus haut taux sur l’île de Montréal. «Je permets aux jeunes mamans de travailler ou de retourner aux études.»

Pour Kimberly Guillaume-Kacou, cependant, c’est un piège de se restreindre à son quartier d’origine. Accompagnée par le CJE et le CLD, qui l’ont aidée à obtenir du financement et des subventions, la jeune entrepreneure de 25 ans a créé Red Factory, une boutique canadienne de vêtements tendance vendus exclusivement en ligne.

Au moment de l’entrevue, elle s’apprêtait à inaugurer sa première salle d’exposition au cœur de la Plaza Saint-Hubert, après avoir passé plus d’un an à développer son entreprise depuis sa chambre de Montréal-Nord. «Ma mère était un peu tannée de voir des boîtes partout!» Kimberly voit grand. Elle veut se détacher de l’image de son quartier et vise le marché international. «Je ne veux pas être reconnue en tant qu’entreprise de Montréal-Nord, mais en tant qu’entreprise, point.»

Mieux vivre ensemble

N’empêche, l’entrepreneuriat comme remède au déclin d’un quartier est une idée qui a fait ses preuves. «Des zones urbaines terriblement “maganées” à Pittsburgh, Cleveland, New York et Chicago ont été revivifiées par l’esprit d’entreprise de leurs jeunes», souligne Pierre Fortin, professeur émérite au Département des sciences économiques de l’UQAM, et spécialiste des causes du chômage. Il insiste également sur le rôle des leaders communautaires et des mentors, comme Constantin Tombet ou Jérôme Matas.

En France, cette solution a fait son chemin, notamment à la suite des violentes émeutes de 2005. Dans les «zones urbaines sensibles», le taux de chômage des moins de 25 ans frise parfois 40 %. Tablant sur un sondage indiquant que la moitié des jeunes de 18 à 24 ans ont envie de créer une entreprise, le gouvernement a mis en place des plans à cet effet, tels qu’Espoir banlieues ou Cordées de l’entrepreneuriat. Pourtant, peu de jeunes pousses parviennent à durer.

«Tout le monde n’a pas le don de la gestion d’entreprise», reconnaît Brahim Boudarbat, professeur agrégé à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal et expert dans le domaine de l’intégration des immigrants au marché du travail. «Il ne suffit pas d’injecter de l’argent pour des crédits et des subventions», encore faut-il effectuer un tri préalable et accompagner les jeunes tout au long du processus de création.

Or, le simple fait de tenter l’expérience peut être bénéfique, estime Constantin Tombet. Pour lui, «l’entrepreneuriat est un apprentissage pour grandir, éclore», «bâtir sa vie» et surtout «apprendre à vivre ensemble».

Montréal-Nord en chiffres

Montréal-Nord Agglomération de Montréal
Population sans diplôme 35,4 % (taux le plus haut de l’agglomération) 22,8 %
Ménages locataires vivant sous le seuil des besoins impérieux (2009) (soit 32 000 $/an pour un couple en 2012) 46,5 % 41 %
Revenu médian (2009) 32 516 $ 38 201 $
Taux de chômage (2006) 12,5 % 8,7 %
Hommes de 15 à 24 ans 18,7 % 14,4 %
Variation de l’emploi
entre 1981 et 2006
– 6 040 + 102 520

Sources : Ville de Montréal et Recensement 2006

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