avocat Pascal Paradis

Les Québécois, stars du droit international

Le droit international se construit sous nos yeux, à coups de procès et de négociations commerciales. Les avocats québécois sont bien présents dans ce processus, et certains sont même célèbres, comme l’ancienne procureure en chef du Tribunal pénal international à La Haye, Louise Arbour. Mais des centaines d’autres œuvrent dans l’ombre…

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Les carrières du droit.

Nous sommes le 2 août 2011. L’atmosphère est pesante dans la grande salle du palais de justice de Ciudad Guatemala. Les juges s’apprêtent à trancher dans une sordide affaire remontant à 1982. Quatre soldats de l’armée guatémaltèque sont accusés d’avoir pris part au massacre de plus de 200 personnes, dans le petit village de Las Dos Erres. Lorsque la juge les déclare coupables et les condamne à un total de plus de 12 000 ans d’emprisonnement, les centaines de personnes présentes, dont des proches des victimes, donnent libre cours à leurs émotions.

Selon Me Geneviève Dufour, les avocats québécois sont très prisés en droit international.

Me Pascal Paradis, directeur général et membre fondateur d’Avocats sans frontières Canada, était sur place, en compagnie de bénévoles de l’organisme, qui appuyaient les avocats guatémaltèques depuis de nombreux mois. «C’est le moment le plus émouvant de ma vie, confie-t-il. Les gens pleuraient, des inconnus nous serraient dans leurs bras et nous remerciaient. Justice avait été rendue, et c’est là toute la récompense dont nous avons besoin.»

De tout pour tous les goûts

Le droit international n’est pas toujours aussi spectaculaire, mais offre d’innombrables occasions. «Tout ce que l’on fait au Québec, on peut le faire à l’international», précise Me Geneviève Dufour, responsable de la maîtrise en droit international et politique internationale appliqués à l’Université de Sherbrooke, et administratrice d’Avocats hors Québec. Cet organisme offre des services à ses quelque 800 membres, des avocats pratiquant à l’extérieur de la province, en plus de les représenter auprès du Barreau du Québec.

Pour se démarquer, les résultats universitaires comptent. Mais on peut aussi se faire un nom en rédigeant des textes dans certaines revues spécialisées, comme la Revue québécoise de droit international, ou en participant à des concours.

Les avocats travailleront aussi bien en droit commercial que pénal, au service d’un cabinet privé, d’une multinationale, d’un organisme public ou d’un État. Certains, comme Me Pierre-Olivier Savoie, avocat au ministère canadien des Affaires étrangères et du Commerce international, assistent les négociateurs de traités internationaux ou plaident des litiges dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain. D’autres font de l’observation de procès au sein d’ONG ou cherchent les témoins d’un massacre, comme le personnel des tribunaux pénaux internationaux.

Tout cela peut mener à des dossiers très sérieux, et à d’autres plus loufoques, comme le raconte Me Gabrielle Marceau, conseillère à la Division des affaires juridiques de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Celle qui a notamment travaillé sur des litiges entourant l’exportation des ressources naturelles s’est retrouvée au cœur d’une chicane sur les… pétoncles! En France, ces derniers sont appelés coquilles Saint-Jacques. La France a voulu réserver l’appellation «coquille Saint-Jacques» aux seuls pétoncles de la Méditerranée. Le Canada, le Chili et le Pérou ont protesté devant l’OMC. Cette institution a donc dû passer au crible des sondages de consommateurs français, afin de savoir si ces derniers pouvaient véritablement distinguer les pétoncles du Canada de ceux de la Méditerranée, et déterminer s’il existe de «vraies» coquilles Saint-Jacques! «Finalement, le tout s’est réglé à l’amiable», précise Me Marceau qui rit encore de ce débat pour le moins inhabituel.

Les Québécois demandés

Selon Me Geneviève Dufour, les avocats québécois sont très prisés en droit international. «La plupart sont bilingues et ont une sensibilité envers le droit civil et la common law», explique-t-elle. Un avantage indéniable dans des cours de justice où les deux traditions juridiques se côtoient, comme en témoigne Me Pierre-Olivier Savoie. «L’arbitrage international est un peu similaire au litige civil, sauf que les parties peuvent négocier une grande part des règles de procédure, dit-il. Il faut donc être ouvert aux différentes traditions juridiques.»

Le nombre imposant de juristes canadiens dans les organismes internationaux peut parfois ralentir l’embauche d’avocats québécois, note cependant Me Marc Porret, coordonnateur des programmes au Centre des Nations Unies pour la lutte contre le terrorisme. Il prévient que plusieurs organisations internationales ont des quotas nationaux à respecter, et devront donc favoriser les avocats en provenance de pays moins représentés.

Manger son pain noir

Selon Me Geneviève Dufour, il n’est pas rare de devoir patienter de cinq à huit ans avant d’obtenir un bon poste. Dans l’intervalle, il faudra se contenter de stages peu ou pas rémunérés et de courts contrats. Ce qui n’est pas toujours facile, admet Me Mélanie Deshaies, candidate au doctorat en droit international, en cotutelle à l’Université de Montréal et à l’Université Paris I, qui a elle-même effectué un stage non rémunéré au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), et d’autres contrats peu payants. «Pendant que mes anciens collègues du Barreau empochaient de gros salaires et remboursaient leurs dettes d’études, moi je continuais de m’endetter, se rappelle-t-elle. Il faut accepter cette précarité financière pour acquérir de l’expérience et se faire connaître.»

Apprendre le mandarin n’est pas une mauvaise idée si vous avez envie de travailler en droit commercial.

Pour se démarquer, bien sûr, les résultats universitaires comptent. Mais on peut aussi se faire un nom en rédigeant des textes dans certaines revues spécialisées, comme la Revue québécoise de droit international, ou en participant à des concours. Pendant ses études, Me Mélanie Deshaies a ainsi plaidé au Concours Jean-Pictet, une formation en droit international humanitaire. Trois ans plus tard, alors qu’elle tentait d’obtenir un stage au TPIY, l’un des responsables l’a reconnue. Comme il avait apprécié sa performance lors du concours, il a glissé un bon mot en sa faveur. «Les contacts, c’est primordial», avance-t-elle.

Connaître le monde

Pour accéder à de grandes organisations internationales comme l’ONU, posséder une maîtrise est un atout indéniable. Mais un avocat doté d’un baccalauréat et de plusieurs années d’expérience pourra aussi faire sa place sur la scène internationale.

Il ne faut surtout pas sous-estimer l’importance d’une bonne connaissance des relations internationales. «Lors de mon entrevue pour devenir stagiaire au TPIY, j’ai bien senti qu’ils appréciaient ma connaissance du dossier», note Me Marie-Claude Fournier, devenue depuis conseillère juridique à Avocats sans frontières Canada. Cette dernière vante aussi les mérites de l’engagement parascolaire. Pendant son baccalauréat à l’Université du Québec à Montréal, elle a participé à la fondation de la Clinique internationale de défense des droits humains, dont la mission est de promouvoir les droits de la personne et de collaborer avec des ONG. Elle y a travaillé sur différents dossiers en Haïti et au Guatemala, où elle a séjourné six mois.

La connaissance des langues est également cruciale. Le bilinguisme français-anglais est un bon départ, mais posséder une troisième langue, voire plus, est un atout certain. Ces langues devraient être choisies en fonction de ses champs d’intérêt. Par exemple, apprendre le mandarin n’est pas une mauvaise idée si vous avez envie de travailler en droit commercial.

Tour de Babel

Attention, la pratique du droit international peut mener à des chocs culturels. Parlez-en à Me Mélanie Deshaies, parachutée au Sénégal pendant plus de cinq mois, sans préparation, alors qu’elle avait accepté un poste à New York, dans le cadre de la campagne du gouvernement canadien pour la création de la Cour pénale internationale. «Au bout de deux semaines, ils ont décidé que je serais parfaite pour la campagne en Afrique de l’Ouest», explique-t-elle. Elle s’est rapidement heurtée à des codes sociaux complètement différents des siens. «Au Sénégal, l’âge est très important. On écoute peu les jeunes, dit-elle. De plus, les hommes ne tiennent pas toujours compte de l’opinion des femmes. Alors, une jeune femme venue de l’étranger… Parfois, c’était comme si je n’existais pas à leurs yeux!» Elle a mis des semaines à trouver sa place, et admet avoir vécu des moments très difficiles.

Le choc culturel tient davantage à l’organisation du travail dans certains milieux. Me Marie-Claude Fournier se souvient avoir partagé son bureau du TPIY, à La Haye, avec cinq autres personnes. Au total, cette petite équipe rassemblait quatre nationalités, quatre langues et quatre traditions juridiques différentes. Une vraie Tour de Babel! Ces rencontres culturelles peuvent toutefois être amusantes. Me Pierre-Olivier Savoie se rappelle un moment fort sympathique passé en compagnie du juge Peter Tomka, actuel président de la Cour internationale de Justice, pour lequel il travaillait en 2006. «Il m’avait fait venir dans son bureau pour me montrer un dictionnaire français-tchèque doté d’une section sur la traduction de mots strictement québécois!»

C’est dans les relations interculturelles et dans les expériences hors de l’ordinaire que réside toute la richesse d’une carrière en droit international.

Par ailleurs, si s’envoler dans l’avion privé du secrétaire général de l’ONU ou rencontrer des ministres et des princes peut être emballant, confie Me Marc Porret, traverser à toute vitesse un pays en guerre à bord d’un convoi équipé de Kalachnikov est plus périlleux… Parfois, ce sont les émotions qui deviennent difficiles à gérer. Me Pascal Paradis admet que parcourir les témoignages du massacre de Las Dos Erres était éprouvant. «C’est comme si on revivait ces horreurs.» Selon lui, il faut savoir faire preuve d’empathie, sans sombrer dans la sensiblerie. «On n’est pas là pour prendre les gens en pitié, ce n’est pas ce dont ils ont besoin», dit-il.

Pas toujours facile, donc. Mais c’est dans ces relations interculturelles et dans ces expériences hors de l’ordinaire que réside toute la richesse d’une carrière en droit international.

Cet article est tiré du guide
Les carrières du droit 2013