Le génie vert en pleine expansion

Photo : Stéphane Groleau (gracieuseté de Pageau Morel)
Photo : Stéphane Groleau (gracieuseté de Pageau Morel)

Le développement durable et l’écoconception prennent de plus en plus de place dans le discours des ingénieurs. Il demeure toutefois difficile de traduire ces bonnes intentions par des actions concrètes. Comment se présente l’avenir pour le génie vert?

Écoconception, cycle de vie ou développement durable. Tous des termes à la mode qu’évoquent de plus en plus les ingénieurs. Il est difficile, par contre, d’en tirer des définitions communes.

Selon l’ingénieure Valérie Bécaert, directrice exécutive du Centre interuniversitaire de recherche sur le cycle de vie des produits, procédés et services à Polytechnique Montréal, il n’y a pas de réponse unique à ces questions. «Il existe énormément de visions différentes de ces concepts, mais on peut au moins s’entendre sur le fait qu’elles partagent une volonté de limiter les répercussions des produits, des services ou des projets de génie sur l’environnement et la société.»

L’écoconception consiste à réduire les conséquences environnementales d’un produit dès la planche à dessin. À cela, on peut ajouter tout le volet des impacts sociaux. Ainsi, on envisagerait, par exemple, de faire affaire avec des fournisseurs qui créent de l’emploi localement, ou qui ont des normes éthiques très élevées.

Lorsqu’on parle de cycle de vie, on franchit un pas de plus, mais c’est un pas de géant! «Il s’agit d’évaluer l’impact d’un produit du berceau au tombeau», indique Valérie Bécaert. L’analyse débute à l’extraction des matières premières et se poursuit jusqu’à la mise au rebut, en tenant compte de chaque aspect du produit.

Cette approche effraie certaines entreprises en raison de sa complexité, admet-elle. Mais cette méthode permet d’avoir une vision très nuancée et extrêmement réaliste des effets d’un produit ou d’un projet sur l’environnement. Prenons l’exemple des ampoules fluocompactes, qu’on dit plus écologiques que les incandescentes. Des études ont révélé que, dans une maison chauffée au mazout, la chaleur des ampoules incandescentes traditionnelles permettait de diminuer les besoins en chauffage, ce qui réduit l’empreinte carbone de la maison. L’analyse du cycle de vie permet de révéler ce type d’impact collatéral. «L’analyse du cycle de vie est complexe, mais c’est un outil tellement puissant que ceux qui commencent à l’utiliser n’ont plus envie de s’en passer», fait valoir Valérie Bécaert.

Difficile à faire accepter

La firme Dessau s’est dotée en 2011 d’une politique de développement durable et possède même un centre d’excellence dans ce domaine. L’objectif est d’intégrer une vision environnementale, sociale et économique aux projets pilotés par Dessau et aux conseils servis aux clients de la firme.

Rien de mieux que de faire la promotion des nouvelles technologies au moyen de projets d’envergure.

Bien que de plus en plus populaire, l’approche n’est pas toujours appliquée au moment où elle devrait l’être, constate Jean-Philippe Renaut, ing., conseiller corporatif senior, développement durable et responsabilité sociale chez Dessau. Malheureusement, la firme-conseil intervient souvent lorsque les décisions importantes sont déjà prises par les clients. «On répond généralement à un appel d’offres, et c’est le plus bas soumissionnaire qui l’emporte. On n’a donc pas toujours l’occasion de proposer le projet le plus vert.»

Par ailleurs, dans le domaine de la construction, le profit dicte toujours la voie à suivre. Or, les nouvelles technologies permettant un exercice de l’ingénierie plus durable impliquent souvent des coûts de départ plus élevés, ce qui n’est pas toujours facile à faire accepter. Jean-Philippe Renaut donne l’exemple de certains bétons «verts», qui répondent à de meilleures normes techniques, mais sont plus coûteux. Ces produits sont souvent refusés par les clients, ce qui dénote un manque de vision, selon lui. «Dans le cas d’une autoroute, d’un pont ou d’une usine de filtration d’eau, on construit pour des décennies. Il faut inciter nos clients à voir à long terme.»

En vitrine

Pour y parvenir, rien de mieux que de faire la promotion des nouvelles
technologies au moyen de projets d’envergure. À Sainte-Foy, les bureaux de GlaxoSmithKline, conçus par Pageau Morel, en sont un excellent exemple. Selon Simon Leblanc, ingénieur en génie mécanique et associé de la firme, cette construction répond bien au souci principal des clients qui s’intéressent aux innovations susceptibles de réduire les coûts en énergie. Mais il va aussi au-delà, en intégrant plusieurs technologies novatrices.

Avec sa structure en bois et ses façades entièrement vitrées, ce bâtiment a représenté tout un défi de conception. «Il s’agissait d’intégrer les nouvelles technologies sans qu’elles défigurent cet édifice très esthétique, indique Simon Leblanc. Il y a de la mécanique partout dans l’immeuble, mais on ne la voit pas.» Autre défi : utiliser des poutrelles de refroidissement, peu répandues au Québec, en association avec la géothermie et des dalles radiantes. Au total, Pageau Morel a réduit les coûts en énergie de l’édifice de 48 % par rapport au modèle de référence du Code national de l’énergie pour les bâtiments (CNÉB). Les vastes fenêtres permettent à la lumière d’entrer jusqu’au centre de ce bâtiment LEED, mais elles font bien plus que cela. Une station météo analyse les conditions météorologiques; lorsque celles-ci le permettent, les fenêtres du bas et du haut du bâtiment s’ouvrent automatiquement pour faire circuler l’air et réchauffer ou refroidir une partie de l’immeuble. De plus, un réservoir installé au sous-sol sert à récupérer l’eau de pluie pour les toilettes.

«Ce genre de projet nous permet de développer une expertise, que l’on peut utiliser par la suite dans d’autres projets et aussi partager avec d’autres collègues de l’industrie, ce qui fait évoluer le métier», fait valoir Simon Leblanc.

Oser l’innovation

Faire la promotion des innovations vertes est une aventure qui n’est pas toujours facile, mais qui est très valorisante, souligne François Dubé, ingénieur chez LVM/Dessau. Lui-même a tenté le coup dans le cadre d’un projet de Kilmer Brownfield Equity Fund, une firme spécialisée dans l’achat de terrains contaminés, qui sont nettoyés puis mis en valeur. L’entreprise évaluait la rentabilité de la décontamination d’une ancienne friche industrielle située dans l’arrondissement Saint-Laurent, à Montréal. Mais les travaux à faire étaient très importants et la rentabilité, loin d’être assurée.

Le génie a encore de grands pas à franchir avant de se qualifier de «vert», mais la marche est d’ores et déjà bien amorcée!

Dessau a donc proposé une méthode novatrice pour le Québec, mais déjà utilisée ailleurs au Canada et surtout aux États-Unis : l’analyse de risques. Sommairement, elle consiste à traiter sur place une partie des sols contaminés, plutôt que de les remplacer totalement par un sol neuf. Selon François Dubé, cette façon de faire diminue grandement les coûts, et réduit l’empreinte environnementale, puisqu’on diminue le nombre de chargements transportés par camion. Au bout du compte, seulement 2 000 tonnes de sol ont été sorties du site au lieu de 60 000.

«Comme il s’agit d’une méthode peu connue au Québec et que le site était destiné à un usage commercial et résidentiel, nous avons dû discuter pendant plus d’un an avec le ministère de l’Environnement du Québec», souligne François Dubé. Le Ministère a finalement donné son accord, à condition qu’un suivi de la qualité de la nappe phréatique soit fait pendant plusieurs années, et que les 15 000 m3 de sol touchés par des contaminants organiques soient entièrement traités.

Des jeunes sensibilisés

Faire une plus grande place au développement durable dans le domaine du génie demande une évolution des mentalités. Cela commence avec les étudiants. Et force est de constater que ceux-ci en redemandent.

À l’Université de Sherbrooke, le groupe Génie-Vert est ouvert aux étudiants de toutes les disciplines. Ce groupe s’efforce de promouvoir le développement durable et de l’appliquer. En dix ans, le rôle du groupe a grandement évolué, explique son président, Julien Lamarche, étudiant en génie mécanique. «Au départ, il s’agissait surtout de sensibiliser la direction et les étudiants de l’université à la protection de l’environnement, et de réaliser certains projets, comme installer des poubelles de tri pour le plastique, le papier et le verre à tous les étages de l’université, ou introduire l’usage de verres réutilisables dans les cinq à sept de la faculté», dit-il.

Mais depuis cinq ans, le groupe a élargi son champ d’action. Après avoir participé à la décontamination du lac Tomcod, en Estrie, il a entrepris une série de projets à Madagascar. L’équipe a d’abord créé une petite éolienne devant permettre l’électrification des régions rurales. Après avoir fabriqué et testé le prototype en Estrie, des étudiants se sont rendus sur place pour construire l’éolienne. Julien Lamarche y a fait un stage de six mois. Le projet visait donc le développement technologique, mais aussi le partage des connaissances. Le groupe travaille maintenant à l’élaboration d’un projet de panneaux solaires et d’un autre de biométhanisation de matière organique. «C’est crucial pour un étudiant de faire des projets de ce genre, croit-il. Cela aide à mieux comprendre l’impact que les ingénieurs peuvent avoir dans une communauté.»

Le génie a encore de grands pas à franchir avant de se qualifier de «vert», mais la marche est d’ores et déjà bien amorcée!