La tendance des parents « cool »

Les grands ados d’hier deviennent aujourd’hui parents et tiennent farouchement à demeurer branchés, même s’ils se baladent maintenant avec fiston en poussette. Le marché suit cette tendance, en offrant de plus en plus de produits adaptés à leurs goûts. Qui sont ces parents cool?

Ils font porter à leur bébé des t-shirts à l’effigie d’un groupe punk. Leur fils de quatre ans trippe sur Arcade Fire. Et les films de Michel Gondry (cinéaste français aimé de la branchitude, qui réalise les clips de Björk) servent à divertir la marmaille.

Qui sont-ils, hormis le fait d’être de possibles cas pour la DPJ aux yeux de la majorité? Ils sont les parents cool, ce que les Américains ont baptisé les alternadads ou alternamoms, ou encore les parents hipsters, en référence à cette sous-culture : port de lunettes rétro et de t-shirts vintage, passionnés d’architecture Bauhaus et de tout ce qui est un peu marginal… Avec des enfants.

Or, le monospace et la poussette cadrent mal avec le style hipster. D’où la rébellion de ces parents, grands ados encore hier.

Identité prébébé

C’est à Neal Pollack qu’on doit l’étiquette alternadad : c’est le titre de son récit autobiographique, paru l’an dernier. Journaliste, écrivain à ses heures, passionné de rock’n’roll, il a aussi fondé Offsprung.com, un magazine Web et lieu d’échanges pour parents décoincés.

Quand Neal Pollack est devenu papa, il y a six ans, son amoureuse et lui se sont juré qu’ils allaient demeurer branchés. Une décision qui avait moins à voir avec leur conception de l’éducation qu’avec le désir de ne pas être engloutis par leur rôle de parents, explique-t-il, depuis sa résidence de Los Angeles. «Quand Elijah est arrivé, il est immédiatement devenu la chose la plus importante dans nos vies. Mais nous étions là avant lui. On ne voulait pas que nos champs d’intérêt, nos identités d’avant le bébé disparaissent avec la venue d’un enfant. C’était important pour nous de continuer à voir des spectacles, des films, et pas seulement des trucs pour enfants. C’était surtout important pour nous de continuer tous les deux de faire un travail qu’on aime.»

La journaliste Ève Dumas et son conjoint, l’illustrateur Francis Léveillé, nourrissaient les mêmes désirs au moment d’avoir leur premier enfant, il y a deux ans. «Je crois que nous sommes de plus en plus nombreux à ne pas vouloir renoncer complètement à notre style de vie prébébé, à vouloir conserver certaines habitudes, remarque Ève Dumas. On ne cherche pas à ce que nos enfants soient cool, mais si on fait jouer Rehab d’Amy Winehouse, ça nous fait sourire que notre fille chantonne le refrain», ajoute-t-elle.

Ce désir de rester soi-même est aussi clairement exprimé dans les nombreux blogues et sites de discussion pour nouveaux parents qui ont vu le jour dans les dernières années. Sur Babble.com, on discute âprement des vertus de la vaccination aussi bien que du dernier album de Wyclef Jean. Plus près de nous, la blogueuse Mère Indigne donne dans l’anticonformisme parental jouissif tout en terminant son doctorat en philosophie. Son blogue est une sorte de pied de nez au mythe du parent parfait, et elle y confesse allègrement ses petits travers de maman.

«Je suis exaspéré par la pression monstrueuse mise sur les parents pour qu’ils se plient sans fin aux besoins de leur enfant chéri», ajoute Neal Pollack, qui a poussé l’audace jusqu’à fonder un groupe rock alors que son fils était aux couches. Et dans Alternadad, il ne cache pas qu’il fume un pétard de temps en temps, ni son aversion pour la culture parentale perfectionniste.

Rien de neuf

Les parents cool ne plaisent pas à tout le monde, notamment à la chroniqueuse Leah McLaren, du Globe and Mail. «Les parents cool croient qu’ils sont les premiers à avoir décidé de conserver leur identité après avoir donné naissance. Ils croient que le fait que leur fils se trémousse au son de The Hives est révolutionnaire. Ils oublient que la génération précédente a fait la même chose en faisant jouer les Beatles», écrivait-elle au sujet d’Alternadad à la sortie du livre.

Le Dr Jean-François Chicoine, pédiatre au CHU Sainte-Justine, constate lui aussi que le phénomène des parents dans le vent n’est pas nouveau : «Les soixante-huitards et les baby-boomers aussi voulaient élever des enfants tout en restant cool, remarque-t-il. La nouvelle génération de parents est toutefois particulière parce qu’on dirait qu’ils sont restés adolescents plus longtemps que la génération précédente. Ils sont très attachés aux objets, aux bébelles, à la technologie. Ils ont de la difficulté à se sentir parfaitement investis dans leur rôle de parents sur le plan psychique.»

Pour bohèmes seulement?

Si Jean-François Chicoine s’inquiète de la fragilité du lien entre parents et enfants aujourd’hui, la mode des parents cool, elle, lui apparaît plutôt innocente et bien mineure. «On parle quand même d’un phénomène qui concerne les milieux urbains, aisés, plus intellectuels. Il y a des familles au Québec qui ne sont même pas rendues à la mode des légumes verts!» Cela dit, on trouve des parents cool ailleurs que sur le Plateau-Mont-Royal. Christine McGrath habite à Chambly et gère les affaires de trois restaurants sur la Rive-Sud. Elle est aussi la maman de Charlotte, 8 ans, et Alexandra, 12 ans. «Ce n’est pas parce que tu es mère que tu dois renoncer à te sentir jeune, belle et cool. Parfois, je suis même un peu trop cool au goût de mes enfants. Ma fille aînée était gênée l’autre jour devant ses amis parce que j’écoutais de la musique avec des grosses basses dans la voiture!» raconte-t-elle en riant.

Cool ou pas, les nouveaux parents ont au moins le mérite de braquer les projecteurs sur l’importance des enfants dans notre société. Jean-François Chicoine s’en réjouit : «Les enfants sont de mieux en mieux assumés publiquement. Dans les parcs, dans les restaurants, on ne cherche pas à les faire disparaître. L’allaitement se fait en public, il y a des projections de films pour les mamans avec des poupons. Les enfants apparaissent dans le discours politique. Il y a une certaine contamination de la parentalité dans la société.»

Et ça, c’est cool.

Des ressources pour parents cool

Les produits pour enfants, c’est une affaire de gros sous. Selon Statistique Canada, les ventes au détail de vêtements et accessoires pour enfants et bébés ont totalisé plus de trois milliards de dollars au pays, en 2007. Les entreprises ont flairé la tendance, et elles sont de plus en plus nombreuses à viser la clientèle des parents cool. Quelques adresses qui valent le détour :

Mama Mia : pour les fashionistas enceintes
Esther Desjardins et Karina Roy, les propriétaires de la boutique Mama Mia, sont toutes deux de jeunes mamans de trois enfants. «On était découragées de ne rien trouver de moderne et branché dans les vêtements de maternité», explique Karina. Aujourd’hui, les femmes enceintes viennent d’aussi loin que Québec pour visiter leur boutique de Pointe-Claire, où l’on trouve des gammes de vêtements européennes et américaines, des sacs à couches tendance et même des robes du soir qui accommodent les bedons rebondis.

Un livre de naissance bien baveux
Cet automne, la très in maison d’édition La Pastèque lance un livre de naissance qui tranche volontairement avec les ouvrages gnan-gnan qu’on trouve actuellement sur le marché. Fruit de la collaboration entre l’illustrateur Francis Léveillé et la journaliste Ève Dumas, l’ouvrage intitulé La Bête (on voit le ton!) permettra de consigner les premiers mots de votre rejeton, ses premières crises de colère, et même, dit-on, ses premiers pipis sur vous!
www.lapasteque.com

Pour vos p’tits yâbes : fini le rose et le bleu
Tout a commencé par un costume d’Halloween pour sa fille qui avait un an. «On lui avait déniché un t-shirt noir, et on s’est aperçu que ça lui donnait un style un peu rebelle et vraiment expressif», raconte Sylvain Martel, créateur des vêtements pour bébés Les p’tits yâbes. Designer graphique, il retravaille pour son logo un bonhomme pirate qui traînait dans ses cartons, fait imprimer t-shirts et petits pyjamas en rouge, noir et gris foncé, et constate, ébahi, que les premiers morceaux s’envolent à une vitesse d’enfer. Et ça continue!
www.lesptitsyabes.com

Pour parents riches… ou rêveurs du dimanche
Une chaise haute qui s’agence parfaitement avec votre mobilier danois des années 1960. De la literie pour bébés en coton égyptien aux imprimés archi-tendance. Des sacs à couches dernier cri. La boutique Pinkiblue, à Notre-Dame-de-Grâce, donne un aperçu de ce qui peut se faire de mieux en matière de design pour parents et enfants… quand le fric n’est pas un problème.
www.pinkiblue.com

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