L’après-carrière des athlètes

Thomas Rinfret
Thomas Rinfret, réalisateur de Ma vie après le sport
Photo : Louis-Philippe Valiquette

Les athlètes sacrifient plusieurs années à leur carrière. Que reste-t-il de ces efforts quand la retraite du sport arrive et qu’on a encore une vie devant soi? Jobboom en parle avec l’ex-champion de ski Thomas Rinfret, l’un des trois réalisateurs de la série Ma vie après le sport, diffusée à Télé-Québec.

Sous les projecteurs aux Jeux olympiques d’hiver de Sotchi, les athlètes se retrouveront inévitablement à la retraite dans quelques années, ou même dans quelques semaines pour certains. Du jour au lendemain, ils devront se chercher un emploi, bien souvent au bas de l’échelle.

Thomas Rinfret le sait très bien, lui qui s’est réinventé comme réalisateur après avoir été de l’Équipe canadienne de ski alpin de 1998 à 2000 et avoir participé à des films de ski extrême.

Avec deux autres réalisateurs (Sophie Bégin et Sarah Fortin), il est allé à la rencontre d’anciens champions olympiques et d’athlètes professionnels retraités dans le cadre de la série Ma vie après le sport (Projet Momentum et Groupe Fair-Play). Sylvie Bernier, Mélanie Turgeon, Mathieu Darche et Éric Gagné, entre autres, y dévoilent leur parcours post-carrière.

JOBBM : Vous êtes vous-même un ancien champion de ski. Qu’avez-vous appris pendant le tournage de la série?
Thomas Rinfret : J’ai beau avoir vécu la retraite et vu mes amis la vivre, c’était marquant de voir mes idoles de jeunesse s’ouvrir au sujet des difficultés qu’ils ont rencontrées après avoir laissé le sport d’élite. Ça m’a rappelé que lorsque j’étais enfant, je n’avais pas l’impression que les athlètes étaient de vrais humains.

Leur parcours peut être inspirant pour monsieur et madame Tout-le-Monde, car bien des gens changent de carrière; rares sont ceux qui resteront dans le même emploi pendant 25 ans.

  Comment s’est passée votre propre retraite du sport?
T. R. J’ai été chanceux. J’ai fait du ski de compétition et, quand j’en ai eu assez, je me suis mis à skier pour des films. Ensuite, j’ai commencé à produire moi-même mes films et finalement, je suis devenu réalisateur. Chaque fois, je me renouvelais. La coupure n’était jamais totale, et ça a toujours été mes choix.

Mais j’ai quand même eu des creux : me ramasser dans un cubicule, ne pas trop savoir quelle était ma place, ne pas être confiant dans mes choix, ne pas avoir de crédibilité… Ça m’a déstabilisé. Quand tu es un des meilleurs athlètes, tu es toujours dans ton environnement de prédilection, sur les pistes par exemple, et tes choix sont respectés. Mais dans un milieu flambant neuf, il faut se rebâtir de zéro.

  Les athlètes sont-ils bien préparés pour affronter l’après-carrière?
T. R. Pour la plupart, la préparation n’est pas suffisante, mais c’est mieux qu’avant. Dans les années 1980-1990, personne ne s’en préoccupait. À la limite, les coachs évitaient le sujet pour ne pas distraire les athlètes.

À toujours avoir un pied dans ton sport, ça te renvoie en pleine face que tu n’es plus là.

Dans mon cas, les études sont tombées dans une craque du plancher. Quand j’ai fini mon secondaire 5, je faisais partie de l’équipe canadienne de ski alpin, où il n’y avait aucune structure pour nous inciter à étudier. J’ai essayé de faire des cours de mathématiques intégrales par correspondance. J’ai arrêté après quatre pages tellement je ne comprenais rien…

Le devoir des athlètes, c’est de performer. Ils sont jeunes et les choix qu’ils font ne sont pas forcément éclairés. Ils n’ont pas toujours le regard et l’expérience nécessaires pour voir à long terme. Par contre, les parents et les coachs ont un gros rôle à jouer pour les encourager à poursuivre leurs études. Ça permet d’avoir des portes de sortie à la retraite, mais l’école est aussi très importante pour l’équilibre de vie.

Si les athlètes d’une équipe nationale étaient obligés de poursuivre leurs études, comme ça se fait dans le monde du football, ça changerait tout.

  On parle parfois de dépression post-carrière chez les athlètes. Est-ce un mythe?
T. R. La perte d’identité et la dépression, ça va de pair. L’athlète associe le sentiment d’être vivant à la pratique de son sport. Les personnes qu’il admire sont celles qui réussissent dans ce domaine-là. À partir du moment où il arrête, il lui faut se redéfinir. La transition vers une vie normale peut durer de 10 à 15 ans.

Certains athlètes prennent leur retraite et reviennent ensuite à la compétition, parce qu’ils ont du mal à se réidentifier. Se retrouver devant rien après avoir atteint un si haut niveau, avoir été acclamé, avoir eu un traitement VIP, pour plusieurs, ça donne un coup.

Pendant sa carrière, chaque athlète a la chance d’être suivi psychologiquement. Ça devrait continuer pendant la transition parce que c’est là que c’est difficile. Certaines ressources leur sont offertes aujourd’hui, notamment à l’Institut national du sport du Québec, mais encore faut-il que les athlètes soient ouverts à consulter si ça va mal… Un parrainage des athlètes avec des gens qui ont déjà vécu la transition serait peut-être également bénéfique.

  Est-ce qu’on peut se plaire dans un boulot «normal» après avoir connu l’adrénaline de la compétition mondiale?
T. R. Il faut que tu trouves un emploi qui vient te chercher autant que le sport, c’est certain.

  Est-ce que ça paraît bien dans un CV d’avoir été un athlète d’élite?
T. R. Ça démontre une certaine discipline et une volonté de réussite. Les athlètes savent que tout est possible quand ils travaillent fort. Ils savent aussi ce que c’est, travailler fort.

Le recruteur peut être certain qu’une telle personne est capable de beaucoup.

  Les anciens athlètes se tournent-ils vers certains domaines d’emploi en particulier?
T. R. La télé, c’est assez populaire. Plusieurs veulent être dans les médias après une carrière sportive : tu gagnes aux Olympiques et après, on te voit à la télé pour le reste de ta vie. Tu as moins besoin d’aller refaire des études, tu prends ce que tu as comme bagage et tu l’utilises ailleurs.

  Les figures connues sont-elles davantage courtisées par les employeurs?
T. R. Des compagnies viennent les chercher, mais leur popularité fait seulement un petit bout de chemin. Les gars comme Bruno Heppell (ex-footballeur) qui analysent le sport à la télé, par exemple, se sont retrouvés au bon endroit au bon moment. Mais ils ont dû bûcher. T’as beau être le plus gros nom, si tu ne livres pas la marchandise, ça n’ira pas.

  Le monde du sport offre-t-il des débouchés, disons comme entraîneur?
T. R. Beaucoup d’athlètes l’envisagent. Mais pour moi, il y a un danger d’étirer le deuil avec ça. À toujours avoir un pied dans ton sport, ça te renvoie en pleine face que tu n’es plus là. En regardant tes anciens pairs qui sont toujours dans le circuit de la compétition, tu te dis «J’aurais voulu faire ce championnat-là». «Tel athlète a gagné, mais je le battais à une époque.» Tu te replonges sans cesse dans le passé…

Moi aussi, je me remets en question parfois. J’ai été champion du monde à 16 ans. Je me demande ce que ça aurait été si je n’avais pas quitté la compétition. La série aura été une thérapie pour moi aussi!

Ma vie après le sport, les mardis à 19 h 30, du 7 janvier au 25 mars, à Télé-Québec

Dans ce dossier sur les olympiques :

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