L’ADN de l’entrepreneur

Rebelle, émotif, sociable, l’entrepreneur dans l’âme est bien plus près de l’artiste que du comptable.

«L’entrepreneuriat est une maladie incurable!» À l’aube de ses 60 ans, François Gilbert, PDG du réseau d’investisseurs Anges Québec, parle en connaissance de cause. Fils de commerçant, il a consacré sa vie à l’entrepreneuriat, notamment à titre de fondateur de Spectube, une compagnie de transformation d’aluminium au Saguenay, mais aussi comme administrateur de diverses entreprises et de fonds de capital de risque.

«Certains deviennent entrepreneurs par nécessité, parce qu’ils ont perdu leur emploi. Mais pour les gens comme moi, entrepreneurs de conviction, bâtir des compagnies, c’est une drogue.»

Placide Poulin est de cette race. Avant de créer la compagnie d’équipement de salle de bain MAAX, en 1969, il rongeait son frein. «J’avais un poste de direction dans un laboratoire, je faisais bien vivre mes trois enfants, mais je ne me réalisais pas. Un matin, j’ai dit à ma femme : “Si je ne fonde pas ma compagnie, je vais mourir!”»

Il se félicite d’avoir suivi son instinct : quand il a revendu MAAX, en 2004, il avait 3 800 employés, 23 usines et un chiffre d’affaires annuel de 640 millions de dollars.

Environ 10 % de la population aurait la fibre entrepreneuriale, estime Michel Grenier, directeur du Centre d’entrepreneuriat ESG de l’UQAM. Ce serait littéralement dans leur code génétique, avancent des chercheurs européens et américains, dont les travaux ont été publiés en 2008 dans la revue scientifique Management Science. Certains gènes prédisposeraient des individus à prendre des risques, à être sociables et sensibles à leur environnement – des qualités fréquemment décelées chez les entrepreneurs.

En général, l’«appel du bâtisseur» survient tôt dans la vie, si on se fie au parcours d’une dizaine d’entrepreneurs rencontrés. Patrick Garneau, président de Signé Garneau paysagiste, avait 16 ans lorsqu’il a acheté un camion pour faire de l’aménagement de terrain, à Victoriaville. Aujourd’hui, à 35 ans, il est propriétaire de trois centres de jardinage au Québec et compte en ouvrir encore 60, rien de moins! «À 13 ans, je traçais des pistes de BMX dans les terrains vagues et je faisais payer les gens qui voulaient s’y amuser. J’exploitais aussi un café à l’usine où travaillait ma mère. Des idées d’entreprises, j’en ai plein la tête, ça n’arrête jamais!»

Cette frénésie porte d’ailleurs une étiquette : l’entrepreneuriat en série, qui consiste à créer des compagnies de façon quasi compulsive. «À la limite, ce que je vends n’a pas d’importance, dit Patrick Garneau. Je n’éprouve pas de passion particulière pour l’horticulture, même si j’exploite des centres de jardinage. J’aime surtout imaginer un projet et le voir se concrétiser à force de travail.»

Aventuriers à la Marco Polo, combatifs à la Mohamed Ali, les entrepreneurs ont souvent maille à partir avec l’école. Ils empruntent souvent les chemins de traverse. «Je sais à peine écrire, confesse François Gilbert. J’adore apprendre, mais j’éprouvais d’énormes difficultés en classe. Par contre, affronter ces écueils m’a servi : en affaires, je suis extrêmement tenace!»

«L’enseignement traditionnel répond mal aux besoins intenses d’action et de création des entrepreneurs», note Natacha Jean, présidente du Concours québécois en entrepreneuriat. C’est d’autant plus ardu qu’ils rejettent souvent l’autorité.

D’ailleurs, la volonté d’être maître de ses décisions est la principale motivation des gens tentés par l’aventure entrepreneuriale, selon des études menées par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. Ils seraient aussi habités d’une grande soif de réalisation personnelle et d’une «confiance suprême» en leurs décisions, selon les chercheurs français Michel Villette et Catherine Vuillermot, auteurs de l’essai Portrait de l’homme d’affaires en prédateur (Éditions La Découverte, 2005).

«On a besoin de relever des défis extraordinaires en affaires, témoigne François Gilbert. C’est aussi fou et souffrant que de traverser le Canada à pied, mais on le fait coûte que coûte!»

«Les entrepreneurs sont des gens passionnés, émotifs, portés par leurs rêves, observe Michel Grenier. Ils sont bien plus près de l’artiste que du financier.»

«Si l’argent était l’objectif, on abandonnerait vite», dit Andrea Courey, 50 ans, fondatrice de la compagnie de produits alimentaires Granolas d’Émilie. La route est parsemée d’embûches, souligne-t-elle : les aléas du marché, les bris de machinerie, les employés à gérer. «Il faut une énergie inouïe pour tenir le coup. Les premières années de mon entreprise, je travaillais 12 heures d’affilée, après quoi je me précipitais à la maison pour m’occuper des enfants. Je réalisais souvent en soirée que j’avais encore mon manteau sur le dos! Cette vie commande d’énormes sacrifices.»

D’ailleurs, dans un récent sondage mené par la FCEI, près de la moitié des entrepreneurs québécois se sont dits «surpris» par l’effort qu’exige leur vocation. Le quart affirme travailler au-delà de 60 heures par semaine. À leurs yeux, la qualité la plus importante est d’avoir des «nerfs d’acier»!

Malgré tout, Andrea Courey ne se départirait pas de son entreprise. Alors qu’elle se remettait d’un cancer, en 2007, elle a eu l’occasion de la vendre à bon prix. Mais elle a tourné le dos à la retraite dorée sous les Tropiques. «J’en étais incapable. Il y a toujours des aspects à perfectionner – les techniques de fabrication, l’équipement, le goût des produits. Ce désir d’améliorer mon entreprise me garde en vie.»

Un entrepreneur est :

  • Sociable
  • Sensible
  • Volontaire devant le risque
  • Aventurier
  • Combatif
  • Réfractaire à l’autorité
  • Rêveur
  • Émotif
  • Confiant

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