Des galères au Goulag

Galère 1769
Galère 1769
Source : Science Museum, Science & Society Picture Library

Travail et détention sont liés depuis plusieurs siècles. Quelques exemples marquants.

En France

Pendant des siècles, la prison est un lieu de détention passager en attendant un châtiment : fouet, pilori, tortures diverses, exil, exécution sur la place publique… Pour le sale boulot, il est plus simple d’utiliser des esclaves. L’apparition des tribunaux religieux qui font la chasse aux hérétiques, au début du XIVe siècle, crée la notion de «pénitence» : le détenu doit s’amender en prison.

En Europe, à compter du milieu des années 1500, des milliers de prisonniers (70 000 en France seulement) travaillent pendant deux siècles sur les galères royales, flottes de bateaux de guerre. Au lieu d’acheter des esclaves, les marines royales préfèrent une main-d’œuvre gratuite : les condamnés. Ce travail est très dur : en France, de 1680 à 1748, moins de la moitié des galériens survit au labeur.

Grande fatigue, petite fatigue

Au début du XVIIIe siècle, la navigation à voile remplace petit à petit les galères, mais les ports continuent de servir de déversoirs à prisonniers. En 1748, le roi de France Louis XV supprime les galères et crée les bagnes maritimes. Le bagne est un atelier où les condamnés fabriquent des bateaux de guerre, taillent la pierre, etc. C’est ce qu’on appelle la «grande fatigue», des travaux lourds qui durent trois ans. Les bagnards sont enchaînés deux par deux, 24 heures sur 24.

Le condamné docile qui a survécu à la «grande fatigue» est ensuite assigné à la «petite fatigue» : travaux d’hôpital et de cuisine, nettoyage, coiffure, jardinage, cordonnerie, secrétariat, etc. Ces prisonniers ne sont pas nécessairement enchaînés et leurs tâches sont parfois rémunérées (à un salaire qui ne dépasse jamais une fraction de ce que l’ouvrier libre peut empocher pour un travail comparable). À leur libération, certains reçoivent aussi un petit pécule, pour leur réinsertion.

Colons forcés

En 1850, les bagnards français sont déportés dans les colonies, notamment en Guyane (Amérique du Sud), pour «rendre la peine des travaux forcés plus efficace, plus moralisatrice, moins dispendieuse et plus humaine», écrit Louis Napoléon Bonaparte. De 1852 à 1862, environ 13 000 forçats traversent l’Atlantique. Les maladies tropicales, les épidémies et l’épuisement font des ravages. Le taux de mortalité atteint 24 % en 1856. La colonisation forcée de la Guyane est un échec.

En 1864, la France crée une colonie pénitentiaire en Nouvelle-Calédonie (Océanie). Plus de 9 000 prisonniers y travaillent en 1885. Ceux qui se distinguent par leur bonne conduite peuvent obtenir une concession agricole, se marier et fonder une famille, car la colonie compte aussi des prisonnières. Les conditions de vie sont meilleures qu’en Guyane, à un tel point que l’exil dans le Pacifique ne fait plus peur aux criminels… En 1888, la France rouvre la route de la Guyane.

La vocation des différentes îles et villes de la Guyane se précise : culture de la canne à sucre, camps forestiers, élevages de troupeaux. L’administration tient compte des compétences des nouveaux arrivants. Les postes les moins pénibles : cuisinier, infirmier, magasinier, boulanger… Les travaux les plus durs : les routes coloniales, l’abattage et le transport des arbres.

La règle la plus absurde en Guyane est celle du «doublage» : après sa libération, le bagnard doit demeurer dans la colonie. Autrement, il sera accusé d’évasion… et il retrouvera le bagne pour une peine de deux à cinq années de travaux forcés! Or la Guyane n’a pas d’industries ni de propriétés agricoles qui puissent employer les libérés. Ils sont condamnés à mendier et à mourir dans la misère.

À compter du mois d’août 1923, le journaliste Albert Londres publie dans Le Petit Parisien une série d’articles sur les bagnes de Guyane, où il a séjourné pendant deux mois. Énorme retentissement, en France et à l’étranger. Une campagne de presse s’ensuit, pendant plusieurs années, pour réclamer l’abolition des travaux forcés outre-mer. Le gouvernement décide d’y mettre fin en 1938, mais le rapatriement des bagnards n’est organisé qu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, de 1946 à 1953.

En Grande-Bretagne et en Amérique du Nord

Tout comme en France, la prison demeure longtemps en Angleterre un lieu de transition avant le châtiment corporel. Il est rare qu’un juge condamne un coupable à une peine de prison. La Grande-Bretagne, comme la France, déporte des bagnards dans ses colonies : en Amérique (des années 1610 à la Révolution américaine), puis en Inde et en Australie.

En 1773, le high sheriff de Bedfordshire (comté du centre de l’Angleterre), John Howard, inspecte des prisons anglaises, s’émeut des misérables conditions des prisonniers, puis s’adresse au Parlement. Il publie en 1777 la première édition de son rapport d’inspection, The State of the Prisons. Il s’intéresse ensuite à d’autres prisons européennes. Howard plaide pour un système carcéral qui permette aux détenus de se repentir, de faire «pénitence» par le travail et l’accompagnement religieux, à l’abri des mauvais traitements.

À la même époque, les États-Unis d’Amérique (un pays tout neuf) ont l’ambition de révolutionner la prison : le détenu doit être séquestré de manière humaine dans un environnement qui le maintiendra à l’abri de la corruption morale et qui lui permettra de s’amender. Des Quakers inventent le concept de pénitencier, où le détenu est complètement isolé. Cela peut sembler cruel, mais il s’agit d’un progrès comparativement aux cachots traditionnels, surpeuplés et dangereux.

Dans un pénitencier, un détenu isolé doit obligatoirement s’occuper avec des travaux (l’artisanat, par exemple). S’il travaille en groupe dans un atelier, le silence est de rigueur. La discipline de travail est stricte. Le soir venu, tout le monde retrouve sa cellule individuelle. Le travail est considéré comme un «traitement», il permet au détenu de s’amender et de développer des compétences qui faciliteront sa réhabilitation.

Le premier pénitencier canadien est construit à Kingston, en 1835. Dans cet établissement que l’on dirait aujourd’hui à sécurité maximale, les détenus ne rigolent pas : «travaux forcés le jour; isolement la nuit et pendant les heures de “loisirs”; nourriture se limitant souvent au pain et à l’eau. Et le silence est imposé en tout temps!» rappelle Service correctionnel Canada dans une brochure historique.

Le fascisme et le communisme

Les camps de travail de ces régimes rassemblent des condamnés de droit commun et tous les «ennemis de l’État» : opposants politiques, juifs, minorités ethniques, homosexuels… En URSS, ces camps auraient exploité de 10 à 18 millions de personnes, notamment pour réaliser de gigantesques projets de construction, tels que le canal entre la mer Blanche et la mer Baltique. Pour réaliser ce dernier, on a contraint plus de 100 000 prisonniers à creuser sur plus de 200 km avec pour seuls outils des pioches, des haches et des brouettes. Des dizaines de milliers y ont laissé leur peau.

En 1934, l’URSS crée le Goulag, l’organisme central des camps de travail forcés, qui connaîtra son apogée au début des années 1950. Ce n’est qu’avec l’arrivée au pouvoir de Michael Gorbatchev, en 1985, que les camps seront fermés.

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