Voisins malgré nous

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Oubliez la tarte à la citrouille et les promenades en forêt. Pour plusieurs compatriotes citadins, le véritable plaisir automnal se traduit par des rideaux tirés tôt et le calfeutrage des fenêtres. Enfin, la paix! Adieu, maudits voisins… du moins jusqu’au printemps prochain.

Les voisins sont aux villes ce que les poissons sont à l’océan. Impossible de les éviter. Il y en a de toutes les espèces, de toutes les couleurs et on ne décide pas lesquels croisent notre trajectoire, pas plus que l’on choisit son clan de sang. On forme donc avec eux des bancs bigarrés, improbables, nés au hasard des pérégrinations de chacun. Des étrangers avec rien en commun, sinon d’avoir élu domicile au même endroit, au même moment, pour le meilleur et pour le pire. Destin, quand tu nous tiens!

Nos voisins peuvent être réservés, serviables, écornifleurs, fêtards, chialeux ou juste bizarres. Ils bourdonnent tout l’été autour de leurs géraniums, de leur barbecue, de leur tondeuse ou de leur piscine. Il y a ceux qui ont des chiens qui aboient, des chats qui urinent sur les plants de tomates, des arbres qui font de l’ombre, des silencieux de voiture auxquels il manque un boulon – quand ce n’est leur tête! Certains sont obsédés par la propreté alors que d’autres laissent traîner des poubelles sous notre nez. Mais les pires, se plaint-on, ce sont les tapageurs, ceux qui jacassent fort, qui claquent du talon, qui partagent leur musique à tout vent ou qui développent une passion pour le marteau et la scie les dimanches après-midi. De la belle matière à conflit…

Demandez aux policiers, qui sont régulièrement dépêchés sur les lieux de ces drames «familiaux» cotés 9-1-1. Au Québec, dans de plus en plus de municipalités, des organismes communautaires forment même des citoyens comme médiateurs bénévoles pour dénouer l’impasse entre deux voisins prêts à s’arracher la tête. Les disputes sont très émotives, témoignent-ils. Il y a des cris, des larmes. Les faits divers prouvent d’ailleurs que des litiges communautaires dégénèrent : plates-bandes vandalisées, clous plantés dans les pneus de la voiture, harcèlement, batailles, coups de couteaux, voire parfois des meurtres.

Vaut donc mieux cultiver l’harmonie avec ses voisins ou, plus simple, l’indifférence. Ça, les Québécois, qui d’ailleurs déménagent de façon compulsive, l’ont compris : seulement 66 % connaissent leurs voisins et 43 % leur parlent une fois par semaine, selon Statistique Canada. Nous figurons bons derniers au pays, loin derrière les habitants des Maritimes, en particulier les Terre-Neuviens, qui sont les voisins les plus amicaux : 89 % d’entre eux entretiennent des rapports avec leurs voisins et 43 % ont même des contacts quotidiens avec eux.

Mais partout, les propriétaires de bungalow et les couples – spécialement ceux qui ont des enfants, de véritables «agents socialisants» – ont aussi plus de rapports avec leurs voisins que ceux qui vivent dans un logement. Comme quoi dans les boîtes à sardines, on s’aime assez pour ne pas se rapprocher davantage. Surtout l’été. Car ces lieux sont alors des fenêtres ouvertes sur notre intimité. Collés-collés, les résidents partagent les banalités de la quotidienneté… de tous. Conversations téléphoniques, échos de jeux télévisés, cliquetis de vaisselle et bruits de toilettes se moquent bien des frontières mitoyennes. Rires, confidences, ébats amoureux et querelles sur les comptes à payer traversent aussi les murs, résonnent dans les ruelles, volent par-dessus les haies et les clôtures. La vie privée, c’est de plus en plus relatif. C’est pourquoi, en ville, le voisin idéal sera toujours celui qui se fait discret et qui se mêle de ses affaires – ou au moins, qui nous en donne l’illusion.

Car exiguïté oblige, nous en venons tous à connaître nos voisins, même ceux qu’on ne voulait pas connaître. En tout cas, moi j’en sais des bribes sur les miens, qui sont d’ailleurs de sympathiques personnages typiques d’un téléroman. Je me doute qu’eux aussi connaissent mes contours. Ils savent du moins que je consacre une partie de ma vie à chercher mon courailleux de chat! Je parie d’ailleurs qu’ils m’ont baptisée La Mère Michelle…

Que voulez-vous, on a les voisins qu’on a.

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