Vers la retraite à 67 ans

Patrik Marier, spécialiste de la retraite et des politiques publiques
Patrik Marier, spécialiste de la retraite et des politiques publiques
Photo : Patrice Lamoureux
Les jeunes d’aujourd’hui devront travailler plus longtemps que leurs aînés avant d’avoir droit aux prestations de retraite des régimes publics. Mais en seront-ils capables? Regard sur le report de l’âge de la retraite, une tendance mondiale qui n’est pas sans ambiguïté.

Entre 2023 et 2029, l’âge auquel les Canadiens pourront toucher la pension de la Sécurité de la vieillesse sera progressivement haussé de 65 à 67 ans. Et depuis 2013, le Régime de rentes du Québec récompense de façon importante les individus qui terminent leur vie active à 70 plutôt qu’à 65 ou 60 ans (voir encadré).

Augmenter l’âge de la retraite pour tous sans distinction suscite toutefois des questionnements, dit Patrik Marier, professeur agrégé et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les politiques publiques comparées au Département de science politique de l’Université Concordia.

En effet, on ne vieillit pas tous avec le même portefeuille ni le même état de santé!

JOBBM   Quels sont les plus et les moins de la réforme de la Sécurité de la vieillesse du gouvernement Harper?
Patrik Marier En haussant de 65 à 67 ans l’âge auquel on a le droit de recevoir cette pension, le gouvernement fédéral transfère un fardeau financier aux provinces : les gens qui ne peuvent plus travailler pourraient dépendre de l’aide sociale pendant deux années de plus. Actuellement, au Canada, le taux de pauvreté est de 4 à 5 fois plus élevé chez les 60-64 ans que chez les 65 ans et plus, qui, eux, touchent la pension. Celle-ci fait donc une bonne différence dans les revenus de base. Il faudra voir comment les gouvernements fédéral et provinciaux négocieront cet aspect.

Cependant, la réforme est bénéfique dans le sens où elle envoie le signal que la population doit penser à prendre sa retraite plus tard, car on vit plus longtemps! Et elle se fait aussi progressivement, ce qui laisse aux gens le temps de se préparer financièrement. Enfin, parce qu’elle entrera en vigueur dans 10 ans, il n’y a pas de coût immédiat sur le plan politique pour le gouvernement Harper : par exemple, cette réforme coûtera beaucoup plus cher aux jeunes que la hausse des droits de scolarité. (NDLR : Au moins 13 000 $, soit le cumul de deux ans de prestations maximales de la Sécurité de la vieillesse aujourd’hui.) Mais pour eux, c’est tellement loin dans le temps qu’ils ne descendent pas dans la rue pour ça!

Cette réforme ne touchera pas la large cohorte des baby-boomers. Est-ce équitable envers les jeunes générations?
PM Il aurait fallu que la réforme se fasse plus tôt, pour mettre à contribution les boomers. Mais il ne faut pas oublier que si beaucoup d’entre eux sont bien nantis, d’autres sont pauvres. Et ça aurait été délicat sur le plan politique et électoral : les aînés votent beaucoup plus que les jeunes et leurs associations sont mieux organisées que le mouvement étudiant, qui souffre du roulement de personnel. En général, les jeunes ne pensent pas à long terme. Ce type de réforme, qui les affectera pourtant grandement, passe donc comme dans du beurre!

Pourquoi l’âge de la retraite est-il à la hausse dans plusieurs pays du monde?
PM Dans bien des cas, c’est dû au coût des régimes de retraite publics qui s’accroît à cause du vieillissement des populations et de l’allongement de l’espérance de vie.

Au Québec, environ un travailleur sur quatre est forcé de se retirer tôt. C’est beau de dire qu’on hausse l’âge à 67 ans pour tous, mais il faut considérer davantage la santé physique et mentale des gens.

En Europe, une des premières réformes a eu lieu en Suède dans les années 1990, où on a aboli l’âge de la retraite, entre autres. Chaque année, les travailleurs reçoivent une note les avisant que s’ils quittent le marché de l’emploi à 63, à 65 ou à 67 ans, par exemple, ils auront droit à tel ou tel montant, selon différentes hypothèses. Et c’est eux qui choisissent.

Mais le premier pays industrialisé à hausser l’âge de la retraite à 67 ans a été les États-Unis, pendant le mandat de Ronald Reagan, au début des années 1980. La réforme n’a toutefois été appliquée que sous la présidence de Bill Clinton, dans les années 1990. À ma connaissance, aucun pays n’annonce une hausse de l’âge de la retraite pour le lendemain matin. La période de transition est toujours très longue, comme ce sera le cas ici. D’un point de vue politique, disons que c’est pratique : les ajustements et leurs coûts sont reportés au mandat d’un autre gouvernement!

Outre hausser l’âge de la retraite, comment peut-on abaisser les coûts des régimes de retraite publics?
PM Ce sont toujours les mêmes solutions que l’on voit appliquées dans différents pays. D’abord, on peut allonger la période de cotisation requise pour obtenir une pleine rente, comme ça s’est fait en France, notamment. Si vous devez cotiser pendant 45 ans, vous aurez peu de chances de pouvoir prendre votre retraite à 65 ans! C’est une façon de hausser l’âge de la retraite sans le faire officiellement.

D’autres méthodes sont plus sournoises : on peut réduire l’indexation des rentes au coût de la vie, ce qui diminuera leur générosité dans le temps. Ou encore abolir certaines clauses qui prennent en considération des différences dans les cheminements de carrière. Par exemple, en France, une politique permettait aux infirmières mères de trois enfants de se retirer sans pénalité après 15 ans de carrière. Maintenant, c’est le même traitement pour tous.

Une autre solution est de prendre en compte toutes les années de travail dans le calcul de la rente, même les moins payantes, ce qui au final réduit le montant de la pension. (NDLR : Au Québec, 15 % des années de faibles revenus sont exclues du calcul des gains qui déterminent le montant de la rente versée par la Régie. Les années sans emploi, de même que les retraits temporaires du marché du travail pour s’occuper d’un enfant, ne sont généralement pas pris en compte dans le calcul.)

Quelle est l’influence de la croissance économique sur les politiques de retraite?
PM C’est une donnée aussi importante que le vieillissement, car plus la croissance économique est élevée, plus les gens travaillent, plus ils gagnent de bons salaires, et plus ils sont obligés de cotiser davantage aux régimes publics de retraite. Également, si l’économie va bien, il y a moins de mises à pied, et donc de départs forcés – soit des gens qui deviennent retraités plus tôt que prévu parce qu’ils ne retrouvent pas d’emploi. Tous ces éléments font en sorte que les coffres des régimes publics sont mieux renfloués. Par la bande, élever l’âge de la retraite pour tous devient donc moins nécessaire.

Pour quelles raisons les gens décident-ils de partir ou non à la retraite?
PM Ça dépend des points de vue! Pour les psychologues, ce sera pour consacrer du temps à leurs proches ou à un hobby, par exemple. Pour les économistes, c’est toujours une question financière : si on vous promet une rente plus généreuse, vous resterez au travail plus longtemps afin de l’obtenir. Tandis que les spécialistes des ressources humaines sont d’avis que si vous aimez votre travail et que vous vous y sentez valorisé, vous resterez en emploi plus longtemps. Plusieurs études démontrent une corrélation positive entre tous ces éléments.

Mais a-t-on toujours le choix?
PM Non, au Québec, environ un travailleur sur quatre est forcé de se retirer tôt. C’est beau de dire qu’on hausse l’âge à 67 ans pour tous, mais il faut considérer davantage la santé physique et mentale des gens, de même que la pénibilité des emplois et les besoins de main-d’œuvre. Certains travailleurs, surtout issus du milieu manufacturier, se retrouvent au chômage à 56, 57, 58 ans, et personne ne veut les embaucher. Une fois leurs prestations d’assurance-emploi échues, ils se rabattent sur l’aide sociale, en attendant de pouvoir être admissibles aux prestations de la Régie des rentes et de la Sécurité de la vieillesse, car il n’y a pas d’autres possibilités de revenus décents pour eux. C’est d’ailleurs pour cela que, même si on impose des pénalités, il y aura toujours des gens qui demanderont leur rente de la Régie à 60 ans.

Le marché du travail est-il prêt à accueillir les travailleurs âgés?
PM Le taux d’activité des personnes de plus de 55 ans s’améliore. (NDLR : Au Québec, il était de 32 % en 2011, comparativement à 29,3 % en 1976, selon l’Institut de la statistique du Québec.) On n’a plus le choix, car il manque de relève dans certains domaines. Mais le Québec a encore du chemin à faire pour être aussi performant que les pays scandinaves, où de 75 à 80 % des personnes âgées de 55 à 64 ans travaillent. En Finlande, dans le secteur manufacturier notamment, on trouve des équipements qui allègent la tâche physique. En Suède, même les chaises de bureau et les claviers d’ordinateurs sont très ergonomiques. Les employeurs investissent dans la qualité des milieux de travail pour éviter que les travailleurs prennent une retraite hâtive pour des raisons de santé. Ils pensent plus à long terme qu’ici… On devrait développer ce réflexe nous aussi!

Régime de rentes du Québec
Mieux vaut tard

La pleine rente de retraite du RRQ est versée à compter de 65 ans, mais il est possible de recevoir une rente réduite dès 60 ans ou augmentée dès 70 ans.

  • Depuis janvier 2013, une rente demandée à 70 ans est bonifiée de 42 % par rapport à la rente versée à 65 ans. Cela représente 5 103 $ de plus par an pour un retraité ayant droit à la rente maximale. Avant 2013, l’incitatif était de 30 %.
  • La pénalité pour une rente demandée à 60 ans progressera de 30 % à 36 % entre 2014 et 2016. À terme, une personne touchant la rente maximale recevra environ 800 $ de moins par année que celle qui demandera sa rente à 65 ans.

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