Sous-traiter sa vie

sous-traitance

Au diable la popote, le récurage, le changement d’huile, le magasinage. Travailleurs et entreprises délèguent de plus en plus tout ce qui les fait suer.

Un jour, Madeleine Gervais en a eu ras le bol de passer ses week-ends devant ses fourneaux. Débordée, cette professionnelle, mère de deux enfants, a refilé son tablier à une chef à domicile dénichée sur Internet. «Un ange!» Aujourd’hui, blanquettes de veau, poulets cordon bleu, pâtés et autres délices maison remplissent son frigo, et ce, sans course folle à l’épicerie, sans vaisselle ni tracas. «En plus de gagner du temps en famille, on mange santé!»

Derrière ce petit miracle se cache Allia Nassef, une jolie brune de 34 ans passionnée de cuisine. Il y a trois ans, elle a largué un job en finances pour fonder Cpersonnel, un service de chef à domicile qui dessert Laval et Montréal. Avec son Jeep rempli de chaudrons, de provisions et de trousseaux de clés, elle se déplace chez ses clients afin d’y mitonner leurs mets préférés : ragoûts, lasagnes, mijotés, bouffe végé ou allégée…

Ses clients, surtout des quarantenaires aux horaires chargés, parents ou célibataires, économisent ainsi environ huit heures par semaine en épicerie, vaisselle et préparation des repas. «Ils sont en général assez aisés. Je travaille donc dans de très belles cuisines!» se réjouit Allia Nassef.

Popote, magasinage, promenades du chien, ménage, organisation d’anniversaire… Depuis dix ans, épargner du mal et du temps est devenu un créneau payant pour nombre de petites entreprises de conciergerie et d’assistants personnels.

Pour les travailleurs, le temps est désormais un luxe qu’ils achètent avec de moins en moins de culpabilité.

Plus qu’une tendance, c’est une nouvelle façon de vivre, selon Élisa Gougoux, vice-présidente de Butler’s Club. Cette firme d’une dizaine d’employés entre dans le quotidien des individus et des entreprises et prend en charge toilettes qui coulent, chauffe-eau à changer, peinture du chalet, transport des enfants, chouchoutage des clients étrangers… Leur service qui fait un malheur? «L’entretien périodique de la voiture! Personne n’aime perdre trois heures dans un garage en milieu de semaine», dit Élisa Gougoux.

Des sauveurs

Dénicher ce que personne ne trouve et rendre service, c’est un peu le karma d’Isabelle de Palma. Si bien qu’il y a quatre ans, cette Miss Coup-de-pouce de 39 ans a lancé Votre adjointe personnelle, une boîte à tout faire qui dessert aujourd’hui une centaine de clients à Montréal, à Québec et en région, des entreprises comme des particuliers. En plus des tâches gobe-temps, les gens lui refilent des corvées qu’ils jugent pénibles, comme négocier le contrat de déneigement, gérer la fête de la belle-mère ou magasiner un cadeau pas trop kitsch pour la Saint-Valentin. « »Hein, tu ferais ça? », me disent-ils souvent. Les clients sont fréquemment étonnés et soulagés d’apprendre tout ce que je peux faire pour eux!»

Nicole Giguère, présidente de l’agence de placement de personnel NGPP, figure parmi ceux qui n’en reviennent pas des bienfaits de la sous-traitance maison! À 63 ans, elle découvre enfin les joies de s’habiller joliment, sans devoir faire les boutiques et débourser une fortune pour des vêtements qui resteront à jamais dans sa penderie. «J’haïs magasiner, mais heureusement, j’ai été sauvée!»

Son sauveur, c’est son nouveau styliste, de l’agence de style et d’image Les Effrontés, à Montréal. En trois heures, cette femme d’affaires y a renouvelé sa garde-robe : une heure d’analyse de la silhouette, puis deux heures à essayer les morceaux que son styliste avait magasinés pour elle. «Presque tous les morceaux m’allaient comme un gant, à des prix abordables en plus. J’ai aussi appris au passage que depuis toujours, je portais des vêtements trop grands, qui ne me mettaient pas en valeur.»

Lorsqu’elle a fondé Les Effrontés il y a onze ans, Marie-Claude Pelletier était le meilleur secret des hommes, car avoir un styliste était alors associé avec «Je n’ai pas de goût». «Mais depuis cinq ans, c’est beaucoup moins tabou; avoir un styliste n’est pas pire que d’avoir un entraîneur privé au gym.» Elle affirme qu’un styliste fait économiser temps et argent, tout en améliorant notre look, ce qui influence positivement notre vie. «En milieu de travail, à compétence égale, une personne à l’image soignée est toujours favorisée. Et quand on se sent beau, on se sent plus en confiance, et ce bien-être crée un jeu de dominos qui améliore toutes nos relations.»

Les conseils d’un styliste permettent aussi de se donner de la crédibilité au travail sans pour autant se vieillir – un réflexe général –, et d’apprendre à percevoir sa silhouette autrement. «Les gens traînent souvent un vieux complexe depuis des années : ils sont convaincus qu’ils ont des grosses fesses, des bras mous… alors que ce n’est pas nécessairement le cas», dit Marie-Claude Pelletier.

Une question de temps

Défaire des perceptions bien ancrées a été en partie le travail de Nathalie Bouthillier, présidente de Conservus, une boîte qui offre des services de conciergerie aux hauts dirigeants des banques, bureaux d’avocats, compagnies pharmaceutiques, etc. «Concierge? Quand on a lancé l’entreprise il y a 15 ans, les gens croyaient que c’était quelqu’un qui lave les planchers! Maintenant, c’est beaucoup mieux reconnu, mais ça a pris du temps.»

Anciennement concierge dans un hôtel haut de gamme à Montréal, cette dame connaît bien les caprices de la clientèle d’affaires et sait comment lui décrocher la lune : dénicher un billet de spectacle couru, livrer un chèque urgent à New York, trouver un dentiste à minuit, décorer une maison à Londres… «La seule requête que je n’ai pas réussi à satisfaire cette année est d’obtenir une place dans le meilleur restaurant du monde, en Espagne : il ne prend que 1 000 convives par an!»

Les concierges personnels sont unanimes : le manque de temps est leur ennemi juré. «Les gens nous contactent souvent quand ils sont dans la “schnoutte”, quand ils n’ont pas réussi à trouver ce qu’ils cherchent par eux-mêmes, dit Isabelle de Palma. C’est une grande difficulté du métier. Il faut alors doublement pédaler!»

Le temps. Comme quoi, de nos jours, il en faudrait toujours plus à tout le monde… même à ceux qui nous en font gagner.