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Six leçons pour expatriés en Chine

Des travailleurs de partout débarquent dans l’empire du Milieu, attirés par les occasions d’affaires ou de carrière qui y pullulent. Très vite, ils sont confrontés à une culture de travail déroutante, où le non-dit prime les règles officielles. Voici six grands principes pour s’en sortir.

Soigner ses relations est payant partout, mais en Chine, l’Occidental en exil se le fait rappeler continuellement. C’est du moins ce qui ressort des témoignages de professionnels de nationalités et d’horizons différents qui ont bien voulu répondre à notre petit vox pop sur les particularités du monde du travail chinois. Certains ont appris à la dure, d’autres ont eu de belles surprises. Nous avons dégagé quelques repères, à partir de leurs récits.

1 — Savoir qui est qui

Félix Mathivet
30 ans, Franco-irlandais, guide motard en side-car chez Xian Insiders – en poste à Xian (1 200 km au sud-ouest de Beijing), en Chine depuis 2007 

Ici, il faut vite comprendre si une personne est au-dessus ou au-dessous de vous et adopter le comportement approprié.

En septembre 2012, j’ai dit ce qu’il ne fallait pas à quelqu’un qui m’était supérieur par son rang social dans le cercle de motards auquel j’appartenais.

Je lui ai conseillé de repositionner son pot d’échappement installé trop haut sur sa cylindrée. À plein rendement, cela provoque une montée de température, donc un risque de brûlure pour un client assis à l’arrière.

Mais ce gars a cru que je méprisais sa moto et donc, que je lui faisais perdre la face. Cette situation anodine a dégénéré. Il a contacté tous les motards de la ville en leur demandant de m’isoler dans mon travail. Son statut social, qui de prime abord n’était pas apparent, lui a donné ce pouvoir. Donc, le lawaï (l’étranger) que j’étais a été mis au ban. Il me montrait ainsi l’ascendant qu’il avait sur le groupe et donc sur moi.

Conséquences concrètes : j’ai perdu 45 clients. J’ai annulé une visite guidée et essuyé un manque à gagner de 50 000 ¥ (plus de 8 000 $).

En pareil cas, il faut faire amende honorable publiquement. C’est ce que j’ai dû faire. J’ai invité l’individu en question à souper avec ses bras droits. Le problème s’est alors réglé selon des us totalement tacites.

2 — Divertir les clients

J. F.
33 ans, Allemande, chef de projet dans un cabinet international d’architectes – en poste à Beijing de 2008 à avril 2013 

Elle gardera l’anonymat pour des raisons professionnelles.

À Beijing, le talent s’exprime dans l’art de nouer des rapports en société, de tisser des liens en vue de réaliser des projets d’affaires. Divertir des clients potentiels est au centre des prémisses d’une négociation. Les firmes qui décrochent le plus de contrats sont celles dont les clients s’éclatent le plus.

J’ai accompagné à maintes reprises des clients dans des clubs, le soir après le travail, avec mes directeurs. Des tables privées étaient réservées, les DJ spinnaient, le champagne coulait à flots. Le paraphe sur le contrat suivrait le lendemain ou le surlendemain. C’est un des aspects du guanxi (réseautage).

J’ai toujours trouvé cette démarche amusante. Mes responsables et moi étions amis. Je les aidais à accomplir une partie importante du travail à l’extérieur du bureau. On solidifiait notre guanxi et on accumulait les contrats. Disons qu’on joignait l’utile à l’agréable.

Félix Mathivet corrobore :

Vos partenaires potentiels ne voudront pas parler boulot immédiatement lors d’une première rencontre. Ils vont boire, manger, s’amuser avec vous, vous feeler afin de savoir si ça peut marcher, s’ils vous apprécient.

3 — Tolérer l’ambiguïté

Sandy Yang
30 ans, Taïwanaise, directrice du marketing en Chine et en Mongolie auprès de Hilton Hotels Worldwide – en poste à Shanghai, vit en Chine depuis 2007 

En Chine, l’approche de «l’Autre» est sophistiquée. La politesse rend flou le processus de négociation. Votre interlocuteur ne rejette pas vos propositions et reste vague sur ses intentions. Il est difficile de savoir à quelle étape on est rendu ou si le moment est opportun pour lancer une proposition.

Un jour, nous étions sur un énorme contrat, un événement de présentation de vins. Le budget final atteignait 2 000 000 ¥ (340 000 $). Le projet avait été décroché par mon équipe.

Nous étions à la phase de livraison après des mois de travail. Bien que le client était en principe d’accord pour tenir l’événement, à 48 heures du lancement, aucun contrat n’était encore signé. Nous le pressions de s’engager, mais toutes les excuses étaient bonnes pour atermoyer. Pourtant, mes supérieurs ne s’inquiétaient pas de cette absence d’accord formel. Il faut comprendre qu’en Chine, les compagnies n’aiment guère les contrats. Elles peuvent en signer un et tout changer à la dernière minute.

Souvent, vous n’aurez les informations en main qu’à la toute fin. Mais vous prenez le risque, vous y allez…

Ce fut une pression énorme pour mon équipe et pour moi. Le désengagement immédiat planait. Quand, finalement, nous avons reçu le OK une journée et demie avant la date fatidique, tout a été exécuté très vite.

4 — Entretenir son réseau

James Flanagan
28 ans, entrepreneur franco-américain présent en Chine depuis 2006 – gère plusieurs projets dans le secteur de l’événementiel à Beijing 

Il est primordial de comprendre la notion d’évolution des structures et des gens.

Je travaille sur de multiples projets simultanément et peux varier ou alterner les domaines très vite. Parce que l’environnement chinois évolue sans cesse, les partenariats que l’on noue dans le travail changent, car les gens passent d’un bureau à l’autre, d’une firme à l’autre. J’en viens à suivre ces interlocuteurs et à privilégier mon rapport à ces gens plutôt qu’à une firme.

Beaucoup d’expatriés ne prévoient pas de rester ici à long terme, d’où leur difficulté d’établir de solides relations. C’est l’un des écueils auxquels ils se confrontent (l’absence de réseau). Les Chinois le savent et peuvent choisir d’investir dans une relation professionnelle avec des compatriotes plutôt qu’avec des étrangers pour cette raison.

5 — Les règles? Quelles règles?

Sandy Yang 

La législation locale est peu efficace. La suivre à la lettre ralentit le processus de travail, voire l’empêche. Je connais les règles du jeu, mais je fais comme tout le monde, je les contourne.

Pour certaines campagnes marketing, on organise des loteries avec des prix à gagner. Selon la loi, la valeur de ces prix doit être limitée à 5 000 ¥ (850 $). Pourtant, on voit des compagnies mettre en jeu des prix en cadeaux qui dépassent ce plafond.

Tout le monde trouve un moyen de passer outre à cet interdit. Par exemple, on dissimule la vraie valeur des prix de façon outrancière. Nous avons «transgressé» la loi à plusieurs reprises dans le but de promouvoir nos services chez Hilton. Je dois dire que je n’ai jamais vraiment bien compris cette loi… que personne ne respecte!

6 — Subir la confusion… et récolter la compassion

Julie Bertoni
33 ans, journaliste américaine, anciennement éditrice au Global Times, un quotidien anglophone chinois – en poste deux ans à Beijing et de retour aux É.-U. depuis mai 2013 

L’atmosphère de travail est moins rigide en Chine. Les politiques établies au Global Times étaient fantaisistes. En salle de rédaction, cela se traduisait par un échéancier décousu et un style éditorial qui changeait tout le temps. Des règles étaient soudainement créées, puis oubliées.

Mais cette inconsistance, cette souplesse avaient de bons côtés : il y a en Chine un climat de compassion inconnu en Amérique du Nord. Au début de 2012, ma mère était mourante. Il ne lui restait que quelques semaines à vivre. J’ai dû quitter Beijing pour trois mois et mon poste fut maintenu pendant mon absence. Une compagnie américaine m’aurait remplacée. J’en ai été vraiment reconnaissante envers mes employeurs à mon retour.

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