Place aux «entrepreneurs salariés»

Une coopérative originale développée au bout d’un rang pourrait transformer l’entrepreneuriat québécois.

Lorsqu’il rêvait d’avenir dans son Pérou natal, Alexis Lamonja n’aurait jamais imaginé être rémunéré pour démarrer une entreprise. C’est pourtant dans ces conditions idéales qu’il a mis au monde ResoTIC, une compagnie spécialisée en gestion de réseaux informatiques, en juin dernier.

Ce «bébé» était le premier de la Coopérative d’entrepreneurs ruraux émergents (LaCERE), un incubateur industriel original fondé à Acton Vale en 2009 et qui pourrait contribuer à changer le visage de l’entrepreneuriat québécois.

«Pour assurer le développement économique, autant viser la longévité des entreprises en les aidant à démarrer sur de bonnes bases.»
– Guylaine Racine, directrice générale, LaCERE

L’originalité de cette initiative du Centre local d’emploi (CLD) de la région d’Acton, en Montérégie, repose sur le soutien en béton qu’elle offre aux entrepreneurs durant la phase critique de prédémarrage d’une entreprise, l’étape clé de la création pendant laquelle le plan d’affaires est élaboré. «Pour assurer le développement économique, autant viser la longévité des entreprises en les aidant à démarrer sur de bonnes bases», explique Guylaine Racine, directrice générale de LaCERE.

L’organisme offre donc trois filets de sécurité à ses protégés : une formation de 330 heures en lancement d’entreprise, un siège – un bureau, des salles d’entrevue et de conférence – et, ô miracle, un salaire entre 18 000 $ et 30 000 $ versé au nouvel entrepreneur durant la première année de l’aventure. Un montant suffisant pour l’aider à consacrer la plupart de ses énergies à la réalisation de son projet d’affaires. La coopérative compte pour l’instant sur un budget annuel d’environ 325 000 $, dont les fonds proviennent entre autres du gouvernement du Québec, des Caisses Desjardins, de la MRC d’Acton et d’Emploi-Québec.

Avec LaCERE, le CLD d’Acton espère relancer l’économie locale, durement touchée par l’essoufflement de son secteur manufacturier, en stimulant l’entrepreneuriat.

Un métier en soi

La coopérative considère l’entrepreneuriat comme un véritable choix de carrière. Ainsi, les candidats doivent au préalable reconnaître que c’est un métier en soi, qui nécessite d’accumuler un bagage de connaissances liées à son domaine d’expertise et de compétences spécifiques à l’entrepreneuriat – la bosse des affaires, quoi.

Alexis Lamonja l’a bien compris. Malgré une expérience de démarrage d’entreprise plutôt positive dans son pays natal, il tenait cette fois à prendre le temps de bien faire les choses.

«Réussir au Pérou a été beaucoup plus simple qu’ici. Si je n’avais pas été mis au courant de l’existence de LaCERE, j’aurais lancé mon entreprise plus rapidement, mais pas de la bonne façon. Élaborer un plan d’affaires, je n’y avais même pas pensé!»

Ce père de famille de 39 ans, qui vit au Québec depuis une quinzaine d’années, a bénéficié de l’accompagnement de la coopérative, de rencontres hebdomadaires avec un conseiller du CLD, d’activités de réseautage et d’échanges avec les autres membres, entrepreneurs en herbe ou gens d’affaires qui utilisent les services de LaCERE. Autant d’antidotes à l’isolement dont bien des nouveaux entrepreneurs souffrent. D’une banale «discussion de cadre de porte» peut émerger la solution à un problème. Un comité d’encadrement formé d’un conseiller, d’un professeur en lancement d’entreprise et de la directrice de LaCERE s’est également réuni une fois par mois pour reconnaître les obstacles et pour aider l’entrepreneur à réajuster le tir au besoin.

«Ce climat d’entraide soutient psychologiquement les entrepreneurs dans la période souvent critique du prédémarrage», confirme Étienne St-Jean, professeur de management à l’Institut de recherche sur les PME de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Selon lui, le milieu de l’entrepreneuriat gagne à miser sur la formule coopérative. «L’entrepreneuriat et le monde des affaires sont trop souvent associés à la compétition et à la cupidité. Or, pour réussir, un entrepreneur a besoin des autres afin d’obtenir les ressources nécessaires à son projet. Comme la coopération est basée sur des valeurs d’entraide et d’égalité, dans ce contexte, la réussite de l’un devient la réussite de tous.»

Il souligne qu’en se regroupant au sein d’une coopérative, les entreprises naissantes obtiennent des services à moindre coûts et peuvent se concentrer sur le démarchage de clients. «Cette formule permet aussi d’attirer des entrepreneurs qui, autrement, auraient préféré s’installer dans les grandes villes pour profiter d’une plus grande variété de services.»

De l’avis de Mathieu Vigneault, président de LaCERE et directeur général du CLD d’Acton, un nouvel entrepreneur assume habituellement seul les risques techniques et financiers : il utilise ses économies, il transforme une partie de sa résidence en bureau, etc. Mais grâce au salaire que lui octroie LaCERE, il n’est plus seul à investir dans son projet; la communauté partage aussi le risque.

Effet d’entraînement

Pour être parrainé par LaCERE, les entrepreneurs doivent proposer une entreprise qui comblera un manque dans la région d’Acton. C’est le cas de Karim Abdelkhalek, le deuxième entrepreneur à venir au monde grâce à cette coopérative. Ce Tunisien d’origine, ingénieur en mécanique de formation, a travaillé six ans dans son pays comme chargé d’entretien de génératrices d’électricité. Interpellé par la pollution et la perte d’énergie engendrées par les turbines à vapeur, il étudie ensuite les énergies vertes en Allemagne, avant de s’installer au Québec, en 2004. Depuis, il caressait le rêve de créer une entreprise spécialisée en énergies renouvelables.

C’est chose faite : depuis janvier, sa compagnie, Énergi-K, offre des conseils en efficacité énergétique, de même que l’installation de chauffe-eau solaires en milieux résidentiel et commercial. Dans une deuxième phase, Karim se chargera aussi de leur fabrication avec un partenaire allemand. Il compte ainsi enrichir le potentiel industriel de la région et créer près d’une trentaine d’emplois.

«Sans la coopérative, je n’aurais pas eu le courage de quitter mon emploi à Montréal pour me consacrer à ce projet», dit Karim, aussi partenaire professionnel d’Hydro-Québec à titre de conseiller en efficacité énergétique.

D’ici un an ou deux, LaCERE espère soutenir sept entrepreneurs par an. Depuis l’ouverture, une trentaine de candidatures ont été reçues. Sur le lot, deux entreprises sont nées et quatre entrepreneurs sont en voie de mener leur projet à terme. «Nous sommes encore un laboratoire», dit Mathieu Vigneault, qui espère que la coopérative doublera le nombre d’entreprises créées dans la région d’Acton, estimé à l’heure actuelle à moins d’une dizaine par année. Et qu’elle contribuera à renverser la tendance et à faire des milieux ruraux des lieux à haut potentiel entrepreneurial.

Car l’initiative pourrait bien faire boule de neige au Québec. Selon Guylaine Racine, divers organismes régionaux ont exprimé leur intérêt à emboîter le pas. La province en a bien besoin : les Québécois créent deux fois moins d’entreprises que les autres Canadiens.

Les dessous d’une coop

La coopérative LaCERE s’est inspirée du concept d’«entrepreneur salarié» mis de l’avant par les Coopératives d’activités et d’emplois en France et en Belgique. «On apprête à la sauce québécoise des outils développés en Europe», lance Guylaine Racine, directrice générale de LaCERE. Des outils comme le Diagnostic CREA, une méthode permettant d’établir le diagnostic d’un projet d’entreprise en une soixantaine de questions; une sorte de synthèse du chemin à parcourir par l’entrepreneur en devenir.

La coopérative compte trois types de membres : les membres de soutien, c’est-à-dire les partenaires comme Desjardins ou le Centre local de développement; les membres utilisateurs- producteurs – des gens d’affaires qui utilisent déjà des services telle une salle de conférence ou d’entrevue – et les membres travailleurs, soit les entrepreneurs eux-mêmes et l’administration de LaCERE.

La coopérative est ouverte aux adultes de tous âges, mais les entrepreneurs recrutés doivent avoir des compétences spécifiques dans un secteur des produits et services à moyenne ou haute valeur ajoutée dans la région d’Acton, les nouvelles technologies ou les énergies renouvelables, par exemple. «Par contre, nous évitons de mettre trop de filtres pour ne pas passer à côté de beaux projets et voir ce qui peut venir à nous», précise Guylaine Racine. Le choix des recrues dépend de la faisabilité du projet de la création d’emplois envisagée et du risque potentiel de concurrence avec des entreprises déjà établies.

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