Pas de chicane dans la cabane

Travailler dans un lieu où règnent l’entraide, la solidarité, la transparence : pour les Québécois, c’est plus qu’un simple souhait, c’est essentiel! Parmi leurs valeurs au boulot, ils classent un climat de travail sain et agréable au premier rang, selon un sondage mené en 2009 par l’Indice relatif de bonheur (IRB) pour le Magazine Jobboom.

C’est clair, l’expression «pas de chicane dans la cabane» vaut aussi au boulot. Mais pourquoi un climat de travail pacifique est-il une valeur aussi impor­tante aux yeux du travailleur québécois, avant même la richesse et le prestige? «Le fait de valoriser les relations polies, respectueuses, est caractéristique de la société québécoise et de la société canadienne dans son ensemble», répond Bernard Demers, psychologue-conseil.

«Dans les pays occidentaux, le lieu de travail est généralement un espace de prédilection pour la sociabilité», affirme pour sa part Sid Ahmed Soussi, pro­fesseur au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal. Tant qu’à côtoyer les mêmes personnes huit heures par jour, autant le faire dans l’harmonie, semblent dire les répondants.

Au bout du compte, ce sont les gens qui font l’entreprise, selon Penny Peroff, directrice du développement organisationnel chez Drakkar, une firme de gestion des ressources humaines. «Les dirigeants qui se soucient de la qualité du climat de travail montrent qu’ils ont compris cette réalité, et les employés leur en sont reconnaissants.»

L’inverse est aussi vrai, selon Pierre Côté, fondateur de L’Indice relatif de bonheur (IRB). «Ne pas accorder au climat de travail l’importance qu’il mérite, c’est sérieusement compromettre la performance de l’organisation, déclare-t-il. Si des employés sont affectés par des tensions ou des conflits, leur travail en souffre forcément.»

Attention : climat orageux!

La paix au travail, les Québécois y aspirent, mais tous n’y ont pas accès : près de la moitié des travailleurs qualifiaient leurs relations de travail de «plus ou moins bonnes» ou de «médiocres ou mauvaises», selon une enquête de L’IRB réalisée en 2007. Avec la récession et ses effets néfastes sur les milieux de travail, rien n’indique que ce score se soit amélioré depuis.

«Instaurer un bon climat de travail demande un certain effort de la part des employeurs, explique Penny Peroff. Et malgré la bonne volonté de plusieurs d’entre eux, la plupart ont beaucoup de chemin à faire.»

À l’usine de pneus Bridgestone Canada de Joliette, les conflits avec la direction ont souvent miné le moral des employés au fil des ans. Cela a culminé au milieu des années 1990 lors d’une grève particulièrement rude qui a paralysé les activités de l’usine pendant six mois et demi. Cette fois-là, les salaires n’étaient pas en cause. Le syndicat en avait plutôt contre les concessions demandées par la partie patronale, entre autres sur le plan des congés et de la mobilité, dans lesquelles il voyait des reculs inacceptables. «Les employés ne se sentaient pas respectés», se souvient Guy Charette, président du syndicat.

À l’époque, les discussions patronales- syndicales ressemblaient plutôt à des affrontements. «Ça marchait à coups de poing sur la table», relate le syndicaliste. Même au terme du conflit, il est resté énormément de ressentiment, de part et d’autre. «Nous étions environ 800 employés. Ça fait beaucoup de monde au même endroit, chaque jour, qui n’est pas de bonne humeur», note Guy Charette. Et l’ouvrage s’en ressentait. «Un travailleur mécontent ne donne pas son plein rendement.»

Au cours des mois suivants, les deux parties ont convenu que les choses ne pouvaient pas continuer de cette façon. Mais il a fallu plusieurs mois de médiation avant que les deux camps apprennent finalement à mieux communiquer.

«Maintenant, si un des interlocuteurs re­fuse une demande, il explique pourquoi, ce qui permet souvent à l’autre de reformuler la demande d’une façon qui convient à tout le monde», explique-t-il, avant d’ajouter que dans les entreprises, il arrive que l’on se parle sans se comprendre, comme dans un couple!

Aujourd’hui, le temps de ces «chicanes de ménage» démesurées est révolu. Les négociations futures ne seront pas nécessairement simples, mais Guy Charette demeure optimiste. Il en va de même pour Robert Verreault, directeur général de l’usine. «Aujourd’hui, le lien de confiance est acquis. Les syndiqués comprennent que l’usine est là pour faire de l’argent, et nous comprenons l’importance de mobiliser notre personnel», dit-il.

Changement d’atmosphère

Les employés d’aujourd’hui ne veulent plus d’un mode de gestion simpliste du genre «les patrons commandent; les employés exécutent». Wilfrid Morin, président-directeur général de Teknika HBA, l’a bien compris. Depuis qu’il a pris les rênes de cette firme d’ingé­nierie, en 1998, il a adapté les pratiques de l’entreprise aux attentes du personnel, notamment en ouvrant l’actionnariat aux employés, puis en élaborant un ambitieux programme de qualité de vie au travail articulé autour de quatre axes : la qualité du milieu de travail (aménagement, ergonomie, etc.), le développement et la valorisation de la personne, l’équilibre travail-famille et la qualité des relations interpersonnelles.

C’est sur ce dernier point que Teknika HBA a travaillé le plus fort. «La récession du début des années 1990 avait été dure. Nous avions dû réduire notre personnel de 300 à 125 employés et nos gens avaient le moral dans les talons, raconte Wilfrid Morin. Puis, lorsque les affaires ont repris, nous avons embauché des centaines de nouveaux employés plus jeunes.» Or, ces derniers avaient des attentes différentes en ce qui a trait au climat de travail, d’où les efforts consentis.

Depuis, la communication patron-employé est fortement encouragée dans les deux sens. Il en va de même pour le respect envers chacun. «Tous ont dû apprendre que le titre de gestionnaire ne donne pas le droit de manquer de respect à qui que ce soit, relate Wilfrid Morin. Si ça arrive, les employés peuvent envoyer un courriel aux ressources humaines et ça va atterrir sur mon bureau. Au début, ils n’osaient pas le faire, mais aujourd’hui, ils se sentent beaucoup plus à l’aise.»

Pas étonnant que Teknika HBA ait remporté le Défi Meilleurs Employeurs 2008, dans la catégorie Grandes Entreprises. «Et notre chiffre d’affaires croît d’au moins 10 % par année», note le pdg. Bon point.

Dans ce dossier