Magasiner son employeur

Magasiner sa maison, ses chaussures, voire ses sous-vêtements, ça va de soi. Alors pourquoi pas son emploi? Après tout, un lieu de travail, c’est un peu comme un deuxième chez-soi. Petit guide de shopping.

On dit souvent qu’il faut «passer une entrevue» lorsqu’on lorgne un emploi. Mais comme dans l’histoire de l’arroseur arrosé, celui qui dirige l’entrevue doit aussi subir un examen. Car selon les experts, travailler pour une organisation qui répond à nos critères est la voie du succès et du bonheur au boulot.

«Une personne qui choisit son employeur n’aura pas l’impression qu’on lui impose quelque chose, dit Martine Lemonde, directrice des services professionnels chez Brisson Legris, révélateurs de potentiels. Elle sera plus heureuse dans son travail et donc plus productive. À l’inverse, quelqu’un qui accepte une offre qui ne lui plaît pas risque d’être amer et de développer des maux reliés au travail, comme le burn-out

Choisir son employeur deviendra plus fréquent à mesure que le nombre de personnes en âge de travailler déclinera au Québec. En 2031, la population active comptera 208 000 travailleurs de moins selon Emploi-Québec, une diminution de 3 % par rapport à aujourd’hui. Déjà, dans certains secteurs d’emploi, les postes disponibles sont plus nombreux que les candidats, qui ont intérêt non seulement à savoir se vendre, mais à savoir «acheter».

Les travailleurs les plus qualifiés ne sont pas les seuls à pouvoir choisir leur employeur. Chacun peut se permettre d’être plus sélectif. «J’ai vu des manœuvres refuser des emplois parce qu’ils savent qu’ils peuvent avoir un meilleur salaire ou de meilleures conditions, affirme Martine Lemonde. Il suffit de savoir ce que l’on vaut.»

Voici donc cinq étapes pour faire un bon choix.

1. Évaluez vos besoins

Pour être heureux au boulot, il faut d’abord opter pour une entreprise qui respecte nos valeurs personnelles, affirme l’éthicien René Villemure. «C’est particulièrement vrai pour la génération Y [les 20 à 35 ans], qui a une grande sensibilité sociale, notamment sur les questions environnementales», dit-il.

«Par exemple, si vous êtes un relationniste soucieux de l’environnement, vous ne voudrez probablement pas défendre Monsanto [une multinationale de produits agricoles souvent décriée pour ses pratiques]», illustre René Villemure.

Martine Lemonde, elle, propose une réflexion plus pratico-pratique. «Il faut bien connaître les conditions dans lesquelles on souhaite travailler, dit la conseillère d’orientation. Par exemple : Êtes-vous prêt à parcourir un long trajet chaque jour? Quel type de supervision vous convient [un encadrement rigoureux ou plus détendu]? Préférez-vous l’entreprise privée ou publique? Et ainsi de suite.» Tous ces facteurs, souligne-t-elle, auront un impact sur notre bonheur au travail et en retour, sur notre vie personnelle.

2. Évaluez les patrons

Autre facteur primordial à considérer dans le choix d’un employeur : son leadership. «L’attitude de la haute direction influencera l’ensemble des pratiques de l’entreprise, explique Diane-Gabrielle Tremblay, professeure spécialisée en travail, économie et gestion à la TÉLUQ. Par exemple, un dirigeant qui reste tard tous les soirs peut difficilement convaincre les employés de faire moins d’heures.»

Évaluer l’attitude des dirigeants est relativement facile dans le cas des entreprises présentes dans les médias. Au Cirque du Soleil, par exemple, Guy Laliberté incite ses employés à faire du bénévolat, tout comme il le fait au moyen de sa fondation pour la préservation de l’eau, One Drop. Les Jean Coutu, Cascades et RONA de ce monde ressemblent aussi beaucoup à leurs fondateurs.

Pour les entreprises moins connues, on peut se fier aux divers palmarès d’employeurs publiés chaque année, dont celui du consultant en ressources humaines Hewitt. Les entreprises qui s’y distinguent présentent de forts taux de satisfaction des employés, explique Marie Pinsonneault, associée principale chez Hewitt.

Selon elle, la communication «bidirectionnelle» entre patrons et employés est au cœur des pratiques de ressources humaines des employeurs qui s’illustrent. Tout comme la reconnaissance de la part des supérieurs et les possibilités d’avancement de carrière.

Et pour ceux qui recherchent une entreprise permettant de concilier travail et vie de famille, Diane-Gabrielle Tremblay rappelle que le Bureau de normalisation du Québec créera bientôt une norme volontaire pour les entreprises qui se distinguent à cet effet.

3. Méfiez-vous du marketing

Pour savoir à qui on a affaire, on peut aussi examiner le site Web ou toute autre publication d’une organisation (brochures, rapports annuels, entrevues dans les médias, publicités). «Il faut savoir lire entre les lignes», prévient toutefois Marie Pinsonneault. Par exemple, le site comprend-il une section sur les engagements communautaires ou est-il consacré entièrement à la «performance» et à la «rentabilité»? Ça en dit long sur la vision de l’entreprise.

Si René Villemure est d’accord avec cette approche, il prodigue une mise en garde au sujet de ce que les entreprises présentent comme leurs valeurs. Certaines, la «productivité» par exemple, n’en sont tout simplement pas. «Une valeur doit avoir un sens moral, dit-il, comme le respect ou l’équité.» Elle doit servir à guider les actions de tous dans l’entreprise, du patron aux subalternes.

«Souvent, les valeurs intéressent seulement le service de ressources humaines ou de marketing, ajoute-t-il. Il faut s’assurer qu’elles sont appliquées dans l’ensemble de l’entreprise.» Cela se fait principalement en entrevue, en demandant comment les valeurs affichées sont mises en pratique au quotidien, ou en analysant les actions passées de l’entreprise.

4. Faites vos devoirs

Une fois l’entreprise choisie, il existe d’autres moyens d’en avoir le cœur net à son propos, afin d’être en position de force lors de l’entrevue d’embauche. «Les gens responsables des programmes de formation dans les écoles connaissent généralement très bien leur industrie, dit Martine Lemonde. Ils pourront vous en dire plus sur l’entreprise que vous ciblez.»

De plus, diverses organisations professionnelles (jeunes chambres de commerce, associations d’industries, événements de réseautage, etc.) sont de bonnes sources d’information.

Thierry Chardon, chef du service des communications numériques chez Loto-Québec, a poussé l’effort un cran plus loin avant de solliciter la société d’État. «J’ai analysé leurs cinq derniers rapports annuels, raconte-t-il. Ça m’a donné une excellente idée de leurs objectifs, ainsi que de leurs forces et faiblesses.» Il a ainsi pu savoir ce qui l’attendait s’il obtenait l’emploi et se préparer adéquatement pour la rencontre avec l’employeur.

5. Négociez!

Ce n’est pas dans la nature de tous de négocier, encore moins avec un futur patron. Pourtant, croit Martine Lemonde, il est souvent possible d’obtenir soit un salaire supérieur, soit des conditions plus avantageuses – dont plus de vacances, la possibilité de faire du télétravail ou encore de suivre une formation continue. De quoi faire la différence entre un emploi agréable et une corvée ennuyante.

Pour négocier sa rémunération, il faut d’abord connaître la moyenne des salaires dans l’industrie visée. À ce sujet, le site imt.emploiquebec.net est une bonne référence. Il suffit de cliquer sur «Explorez un métier ou une profession», de taper un mot-clé, puis de consulter la section «Salaires et statistiques», en haut à gauche. On peut aussi consulter l’Enquête sur la rémunération globale, publiée chaque année par l’Institut de la statistique du Québec et qui compile les salaires offerts dans les organisations de 200 employés et plus.

Une fois qu’on est fixé, il n’est pas nécessaire d’être intransigeant. «Il faut simplement savoir jusqu’où on est prêt à aller, ajoute Martine Lemonde. Et on peut très bien faire ses propo­sitions tout en se disant prêt à négocier.»

L’important est de choisir soi-même les conditions dans lesquelles on travaillera. Et, dans le contexte de pénurie de main-d’œuvre qui se dessine à l’horizon, on serait fou de se laisser imposer autre chose!

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