Le physique de l’emploi

Avoir la tête de l’emploi, c’est une chose. Avoir le physique de l’emploi, par contre, c’est parfois une autre paire de manches pour les personnes handicapées. Plusieurs réussissent néanmoins à contourner les obstacles et à exercer un métier à la hauteur de leurs rêves.

Pour Michèle Côté, conseillère d’orientation à La Croisée, un organisme qui offre aux personnes handicapées physiques des services spécialisés d’aide à l’insertion en emploi, le processus d’orientation d’une personne avec incapacité demeure similaire à celui de tout chercheur d’emploi. Seule différence : dans l’exploration des professions possibles et souhaitées s’ajoute une partie qui touche les capacités fonctionnelles de l’individu.

«La personne doit faire des compromis, mais cela est vrai pour tout le monde, dit-elle. Parfois, l’entonnoir des possibilités d’emploi se resserre davantage, mais on peut faire de belles carrières malgré un handicap. Et quand la profession choisie est bien définie, ce sont des gens aussi performants que les autres.»

Au Québec, le Ministre des sports et des personnes handicapées du gouvernement Trudeau, Kent Hehr est lui-même handicapée. Cela n’est pas rien comme symbole!

Et l’intégration des personnes handicapées au monde du travail est bien plus qu’un symbole. La preuve : l’organisme AIM Croit, spécialisé dans le développement de carrière des handicapés physiques et sensoriels — ce qui inclut les déficiences visuelles, auditives et les troubles du langage —, trouve des emplois variés aux candidats : spécialiste en investissement, avocat, technicien en loisir, mécanicien-soudeur, technicien en soutien informatique… «Depuis nos débuts en 1989, nous avons placé 2 600 personnes dans une variété d’emplois et de secteurs d’activité», affirme May Polsky, directrice générale d’AIM Croit.

Des employeurs réticents

Certaines entreprises croient toutefois que l’embauche d’une personne présentant des limitations physiques serait un handicap pour l’entreprise, déplorent les intervenants.

Dans un monde où le mot performance est sur toutes les lèvres, les employeurs craignent les absences répétées, les rendements faibles, les coûts élevés… «Il faut réfléchir sur la notion de performance, souligne François Leduc. Le défi est de trouver des emplois qui ne mettent pas en cause le handicap de la personne. Je connais une personne atteinte de paralysie cérébrale touchée sévèrement sur le plan moteur qui s’est vu confier un travail de recherche important. La performance se mesure alors sous l’angle de la qualité du travail intellectuel.»

Malgré sa paralysie partielle au bras droit apparue de façon mystérieuse vers l’âge de 9 ans, Nicolas Duchesneau, 22 ans, a effectué des études collégiales en infographie au Cégep Ahuntsic. «C’est certain que mon handicap ralentit ma vitesse d’exécution lors de manipulations, mais cela ne m’empêche pas de faire un travail de qualité dans le domaine de la préimpression», dit-il.

Pour l’instant, il carbure à la conception d’affiches, de brochures et de dépliants, mais un intérêt pour les langues étrangères le titille. «Je veux m’ouvrir le plus de portes possible. Si cet intérêt se maintient, la traduction pourrait aussi faire partie de mes plans.»

Le jeune homme avoue avoir eu des difficultés à convaincre les recruteurs de l’embaucher pour des emplois d’été plus physiques. Il connaît ses capacités motrices et ses limites, mais en entrevue, on avait tendance à douter de son potentiel. «Dans un cas, l’employeur m’a même demandé de prouver que je ne courais pas plus de risques qu’un autre de me blesser!»

France Pelletier, directrice, Service équité en emploi et diversité à la Banque Nationale, veut quant à elle embaucher davantage de personnes handicapées dans son institution. Pour y parvenir, elle mise notamment sur la formation des recruteurs et sur la distribution prochaine d’un guide qui répondra aux questions suscitées par les handicaps.

«Certains collègues voient encore la belle chaise ergonomique ou l’horaire flexible de la personne handicapée comme un privilège, déplore-t-elle. Beaucoup d’employeurs ont peur, croient que cela va leur coûter cher, alors que ce n’est pas le cas. Les personnes handicapées sont souvent plus persévérantes. C’est tellement difficile de se rendre là où elles sont qu’elles se battent davantage. Elles sont aussi très fidèles à l’entreprise qui les a accueillies. Ce sentiment d’appartenance est un net avantage pour l’employeur.»

Une question d’attitude

«Engager une personne avec un handicap n’est pas si différent! constate pour sa part Yvan Biron, associé au cabinet d’avocats Lavery, de Billy, et supérieur immédiat d’une jeune avocate sourde (voir plus bas). «Toute personne a ses qualités, ses défauts et ses limites. Il s’agit de découvrir la personne et de s’adapter à elle. Il ne faut pas donner trop d’importance au handicap, mais il ne faut pas le nier, faire comme s’il n’existait pas.»

C’est un organisme d’aide à l’emploi pour handicapés physiques et sensoriels qui a d’abord sollicité le cabinet. Lors de l’entrevue d’embauche, un interprète était présent et l’avocate a fait valoir ses compétences comme il se doit. Lavery, de Billy a ensuite bénéficié de subventions d’Emploi-Québec pour l’adaptation du poste de travail ainsi que pour les services d’interprétation.

«On apprend à composer avec les limites de la personne, poursuit Yvan Biron. Cela demande des ajustements, comme de regarder la personne quand on lui parle afin qu’elle puisse lire sur les lèvres, ou communiquer davantage par courriel. Cela paraît idiot, mais on n’y pense pas toujours! Il y a quelques contraintes physiques, mais on s’y fait vite. Lorsque j’évalue Marie-Pierre, elle est sur le même pied d’égalité que les autres avocats.»

Pour Louis Adam, directeur général de deux organismes appuyant les personnes handicapées, le Service de développement d’employabilité de la Montérégie (SDEM) et le Service externe de main-d’œuvre (SEMO Montérégie) , embaucher une personne handicapée est plus simple qu’on ne le croit. Peu d’employeurs savent qu’ils n’auront souvent rien à débourser pour les composantes ergonomiques et informatiques.

«L’employeur peut faire affaire avec un service spécialisé de main-d’œuvre qui s’occupe de tout : l’analyse des besoins de l’employé, la demande de subvention (Contrat d’intégration au travail d’Emploi-Québec), et en trois semaines, un mois, tout est réglé! Il faut le crier sur tous les toits!»

Faire sa place

D’après la dernière étude de l’Office des Personnes Handicapées du Québec, c’est 46% des personnes handicapées sur la marché du travail qui ont besoin d’aide, de services ou d’aménagements adaptés en milieu de travail. Parmi celles-ci, un peu moins du quart (24 %) ne disposent pas de tous les aménagements dont elles ont besoin.

Combien ne demandent pas cette aide ou ne savent pas qu’ils y ont droit? Ce n’est en tout cas pas le cas de Marie-Pierre Lachapelle, 26 ans et avocate (Lavery de Billy – Montréal). Elle nous raconte.

«Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat!» Et si l’avocat était sourd? Impossible, croyez-vous? Pourtant, lors de son assermentation au Barreau du Québec en 1998, Marie-Pierre Lachapelle, diplômée en droit de l’Université de Montréal, est devenue la première avocate sourde au Québec. Ils sont aujourd’hui, en 2017, au nombre de 12 à être devenus avocat assermenté malgré leur incapacité.

Grâce à une bonne dose de détermination, d’abord. «Quand j’étais jeune, mes parents étaient très revendicateurs pour que j’obtienne tous les services nécessaires dans les écoles. Ils voulaient être certains que je serais capable de vivre d’un métier et de répondre à mes besoins. J’ai grandi dans un contexte où on me disait : “Demande! Demande!” À l’époque, nous avions peu de modèles de personnes sourdes qui réussissaient. Mon père aurait souhaité que j’étudie en comptabilité, mais je préférais l’histoire. Le droit a été un compromis.»

Pendant ses études collégiales et universitaires, l’avocate a eu recours à des interprètes et à des preneurs de notes dont les honoraires étaient assumés par le ministère de l’Éducation du Québec. Au Cégep du Vieux Montréal, le même service lui était proposé lorsqu’elle souhaitait rencontrer un enseignant ou participer à des activités parascolaires.

«C’était merveilleux! Je découvrais le théâtre et je faisais partie d’un cercle littéraire. En revanche, mon bac en droit n’a pas été facile : les preneurs de notes n’avaient pas toujours les notions nécessaires pour bien m’expliquer les concepts et leurs indications n’étaient pas toujours claires.»

Mais il en fallait davantage pour la décourager. Depuis avril 2001, cette avocate junior œuvre au sein du groupe Environnement, Énergie et Ressources naturelles chez Lavery, de Billy. Elle y effectue un travail de bureau où la recherche, l’analyse et la rédaction sont omniprésentes. Les communications aussi… «Dans mon emploi, je communique avec un téléphone ATS [un système où un interprète assure le relais entre le malentendant et l’entendant]. En outre, j’ai droit à 100 heures d’interprétation par année.»

Que peut-on souhaiter de plus à cette carrière florissante? «Je termine ma maîtrise en gestion de l’environnement à l’Université de Sherbrooke et je veux me consacrer pleinement à mon travail.» Ses patrons peuvent dormir sur leurs deux oreilles.

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