La semaine de travail raccourcit

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La semaine de travail des Québécois n’a jamais été aussi courte, rapporte une récente étude. Un allégement béni par certains, subi par d’autres.

C’est le genre de chiffres qui ferait rager Lucien Bouchard. Entre 1999 et 2007, la semaine moyenne de travail est passée de 35,2 à 34,5 heures au Québec. «Il s’agit d’un creux historique depuis le début de nos relevés en 1976», dit Sandra Gagnon, qui a colligé les données sur la durée du travail à l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).

Désormais, plus du quart des employés travaillent sous le seuil des 35 heures et à peine 5,4 % d’entre eux s’échinent pendant plus de 41 heures par semaine.

Statistique Canada tient des chiffres un peu différents, mais confirme l’apparent désintérêt des Québécois pour le boulot.
Pour 2007, ils cumulent une moyenne d’heures travaillées (rémunérées ou non) de 31,9 par semaine, alors que dans l’ensemble du pays on passe 33,1 heures à gagner sa croûte.

Comparativement au reste du monde occidental, la province paraît encore plus fainéante. Selon l’Organisation de coopé­ration et de développement économiques, seuls deux pays (la Norvège et les Pays-Bas) font moins d’heures. Même les Français, dont nous aimons tant nous moquer, travaillent plus que nous, avec
38 heures passées à «bosser».

Ça va mal à’shop!

Qu’est-ce qui nous pousse à travailler si peu? L’ISQ avance plusieurs explications. «Un des facteurs les plus évidents est le changement apporté à la Loi sur les normes du travail», explique Sandra Gagnon.

Entre 1997 et 2000, la semaine normale de travail prévue par la loi est passée progressivement de 44 à 40 heures. Chaque heure supplémentaire coûte 50 % de plus à l’employeur. «Plusieurs employeurs et syndicats ont donc ouvert leur convention collective pour s’adapter à la nouvelle loi en réduisant la semaine normale de travail, dit Sandra Gagnon. Ça a affecté la moyenne.»

Un autre éclaircissement pour cette baisse de régime se trouve dans tous ces nouveaux centres commerciaux qui ont récemment poussé dans notre paysage, de Gatineau à Rimouski. Le commerce est devenu en 2005 le plus grand employeur au Québec, devançant la fabrication. En 2007, 646000 personnes travaillaient dans les Walmart, Réno-Dépôt et autres Future Shop de la province. En comparaison, on comptait 543200 employés dans la fabrication, soit 89200 de moins qu’en 1999.

Or, les semaines sont beaucoup moins longues en magasin qu’à l’usine. En 2007, la différence atteint six heures en moyenne.

Les femmes, les jeunes

Si les travailleurs québécois se gardent bien de trop en faire, c’est aussi parce qu’ils ont changé. Selon l’économiste Jean-Pierre Aubry, président du Comité des politiques publiques de l’Association des économistes québécois, le succès de certaines politiques sociales de la province y est pour quelque chose.

Les garderies subventionnées, par exemple, ont aidé les femmes à accéder au marché du travail. «Mais elles sont susceptibles de travailler moins d’heures que les hommes», dit-il. En effet, les femmes sont 2 fois plus nombreuses que leurs collègues masculins à travailler selon un horaire court de moins de 34 heures, dit l’ISQ.

Les jeunes, pour leur part, travaillent moins que par le passé, car ils étudient plus longtemps. De 15 à 24 ans, ils consacrent environ 27 heures à un emploi, soit près de 2 de moins qu’en 1999. Une tendance à la baisse présente partout au pays: les jeunes Canadiens consacraient 35 heures par semaine au travail en 1976, contre 28,5 heures aujourd’hui selon Statistique Canada.

Pour payer leurs études, dont le coût augmente sans cesse, les jeunes doivent tout de même travailler. En 2005, 39,4 % des étudiants québécois à temps plein âgés de 15 à 29 ans occupaient un emploi, en hausse de 22,6 % par rapport à 1976. Ils rejoignent ainsi la moyenne canadienne, établie à 38,5 %. Mais tous ces jobs d’étudiants à temps partiel contribuent à faire baisser notre moyenne d’heures de travail.

Les vieux

Ce sont toutefois les 55 ans et plus qui enregistrent la hausse la plus marquante du travail à temps partiel, soit 123 % depuis 1999.

Au Conseil du patronat, qui regroupe des entrepreneurs du Québec, on connaît bien le phénomène. «Les employés vieillissants veulent travailler moins, mais les employeurs souhaitent garder ces gens d’expérience. Alors, ils consentent à des retraites progressives», dit Norma Kozhaya, directrice de la recherche et économiste en chef du Conseil.

Certaines entreprises misent d’ailleurs en partie sur cette population vieillissante pour occuper leurs postes à temps partiel. Chez Walmart, environ le quart des employés sont âgés de plus de 50 ans. Pour la compagnie, il est avantageux de pouvoir compter sur des travailleurs expérimentés qui acceptent des horaires courts et changeants, explique Yanik Deschênes, directeur des communications de Walmart au Québec.

Ces employés âgés y trouvent aussi leur compte, poursuit-il. «Souvent, ils souhaitent demeurer actifs mais en travaillant moins d’heures. Ils bénéficient aussi d’avantages sociaux tels les assurances dentaires, maladie ou médicaments et d’un rabais de 10 % sur les articles en magasin.» Le salaire horaire, toutefois, se situe autour de 10 $, soit tout près du salaire minimum établi à 9 $ à partir du 1er mai 2009.

Et nous tous

Enfin, se pourrait-il que les Québécois souhaitent tout simplement travailler moins par rapport aux autres Occidentaux? Jean-Pierre Aubry le croit. «Et les employeurs doivent accepter cela, car des employés qui travaillent à contrecœur seront moins productifs de toute façon», dit l’économiste.

À l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés, on observe aussi ce trait distinctif. Le président-directeur général de l’organisme, Florent Francœur, conseiller en ressources humaines agréé, y voit l’effet de la culture sociale du Québec. «Nous avons un des plus forts taux d’emploi au Canada, dit-il. C’est dû au fait qu’on trouve ici une plus forte proportion de femmes sur le marché du travail qu’ailleurs en Amérique du Nord. Également, nous avons un fort taux de divorces. Près de 25 % des familles sont monoparentales.» En conséquence, moins de parents restent à la maison, et les employés doivent batailler sur deux fronts. Les journées, elles, ne durent toujours que 24 heures…

Et là, on touche une corde sensible. «Nous avons fait un sondage sur l’utilité des syndicats l’an passé, poursuit Florent Francœur. La population estime que les gains salariaux ont été atteints dans l’ensemble. Maintenant, elle souhaite que les luttes syndicales portent sur le temps à passer en famille.»

Sauf que ces précieux moments au foyer ont un coût. «Ce n’est pas grave que les Québécois travaillent moins, dit Jean-Pierre Aubry. Mais il faudra vivre avec les conséquences pour la société.»

Premièrement, en raison des frais fixes d’un employé (avantages sociaux, fonds de pension, etc.), les entreprises du Québec seront défavorisées si elles doivent embaucher un plus grand nombre de personnes qu’un concurrent étranger pour effectuer les mêmes tâches. Deuxièmement, travailler moins signifie des revenus plus bas, tant pour l’individu que pour l’État. «Il faudra donc choisir entre moins de services ou des taxes plus élevées», souligne Jean-Pierre Aubry.

Pas de panique toutefois, disent les divers intervenants, le nombre d’heures travaillées ne dicte pas forcément le niveau de richesse collective. Celui-ci passe avant tout par la productivité des entreprises.

Pour augmenter la productivité, il faut miser sur la technologie et la formation des employés, dit Florent Francœur. «Mais nos entrepreneurs n’ont pas investi suffisamment dans la machinerie et la technologie ces dernières années. C’est dû notamment au taux de change défavorable avec les États-Unis [qui produisent une grande partie des équipements] et à la taxe sur le capital qu’ils doivent payer. Cela affecte en retour la capacité des employés à être plus productifs.»

Or, les employeurs ne pourront plus reporter indéfiniment leurs devoirs en matière de productivité. Les baby-boomers sont sur le point de partir à la retraite massivement, et il faudra se débrouiller avec moins d’employés de toute manière. Qui plus est, la concurrence sera plus vive au chapitre du recrutement. «Et les travailleurs auront besoin de plus de temps libre pour s’occuper des enfants et de leurs parents vieillissants, dit Florent Francœur. Désormais, le meilleur atout des entreprises ne sera pas nécessairement d’offrir un salaire plus élevé, mais des semaines plus courtes.»