La chimie opère

La relève manque à l’appel dans l’industrie de la chimie, de la pétrochimie et du raffinage. Peu attirés par le domaine, plusieurs jeunes boudent les programmes d’études qui y mènent pendant que certains diplômés se tournent principalement vers les emplois plus écolos de la chimie. Pourtant le domaine est vaste et offre des débouchés diversifiés.

Entre un producteur d’engrais, un spécialiste des cosmétiques, une entreprise pétrochimique et un fabricant de colorants, à priori, pas de point commun… Et pourtant, une belle chimie les unit! En effet, la chimie est partout dans nos vies : de nos parfums à nos écrans plasma, en passant par nos vêtements et notre bagnole!

Au Québec, le secteur chimique fournit de l’emploi à pas moins de 15 000 personnes. Les entreprises chimiques, essentiellement des PME, sont réparties dans près de 40 sous-secteurs qui comprennent no­tamment les fabricants de peintures, d’adhésifs et de scellants; les fabricants de produits de nettoyage et de produits de beauté; les entreprises de spécialités chimiques pour le traitement des eaux, le textile et la fabrication de papier.

La pétrochimie et le raffinage emploient de leur côté 3 000 travailleurs répartis dans trois raffineries (Ultramar, Shell, Petro-Canada) et une quinzaine d’entreprises pétrochimiques.

Selon les plus récentes données de Coeffi­Science, le Comité sectoriel de main-d’œuvre de la chimie, de la pétrochimie et du raffinage, 41 % des entreprises de l’industrie prévoient de nombreux départs à la retraite au cours des prochaines années. «Au Québec, les compagnies de raffinage ont embauché massivement dans les années 1960. Plusieurs travailleurs dans la soixantaine approchent donc de la retraite et quitteront dans les années à venir», mentionne Pierre Plante, président de l’Association pour le développement de l’industrie chimique québécoise.

Les besoins de relève ont d’ailleurs commencé à se faire sentir. «Les entreprises du raffinage et de la pétrochimie recrutent nos diplômés essentiellement pour remplacer les départs à la retraite», confirme Martin Demers, directeur de l’Institut de chimie et de pétrochimie (ICP) du Collège de Maisonneuve, l’établissement qui forme les techniciens en procédés chimiques du Québec.

Techniciens recherchés

Selon une étude publiée par CoeffiScience en octobre 2008, au cours des trois prochaines années, le marché de l’emploi au Québec aura besoin de 500 nouveaux diplômés en techniques de procédés chimiques, dont 305 pour répondre spécifiquement aux besoins de l’industrie de la chimie, de la pétrochimie et du raffinage.

«Si ces prévisions se concrétisent, nous n’allons pas suffire à la demande, juge Martin Demers, car l’ICP ne forme annuellement que 125 techniciens en procédés chimiques.»

Près de la moitié de ces diplômés bossent en raffinage, en pétrochimie et dans le domaine pharmaceutique; les autres dans des secteurs de la chimie (plastiques, colles, peintures, produits de nettoyage, traitement des eaux) ou d’autres secteurs industriels comme la métallurgie, les pâtes et papiers et l’agroalimentaire.

De plus, de nouvelles entreprises comme les fabricants de biocarburants (biodiesel, éthanol) commencent à courtiser les techniciens formés à l’ICP, accentuant ainsi la demande de ces diplômés.

Forte demande en région

La directrice générale de CoeffiScience, Danielle Dunn, remarque que les besoins de main-d’œuvre sont particulièrement criants en région. L’entreprise pétrochimique CEPSA Chimie Bécancour, située dans le Centre-du-Québec, peut en témoigner. «Parce qu’on était incapables de dénicher des diplômés formés en techniques de procédés chimiques, on a déjà promis des emplois à trois de nos sous-traitants affectés au chargement des camions, s’ils allaient suivre leur formation à Montréal», relate Richard Perron, directeur des ressources humaines de l’entreprise qui emploie une trentaine de techniciens en procédés chimiques.

«Faute de main-d’œuvre qualifiée, d’autres entreprises du parc industriel et portuaire de Bécancour embauchent parfois des jeunes qui ont des formations connexes comme des titulaires d’un diplôme d’études collégiales [DEC] en technologie des pâtes et papiers», poursuit Richard Perron.

Les diplômés en techniques de labora­toire sont également prisés par les entreprises de l’industrie. Caroline Renaud, gestionnaire en ressources humaines chez St-Jean Photochimie, une entreprise de Saint-Jean-sur-Richelieu qui se spécialise dans la fabrication de produits chimiques photosensibles, de composés polymériques et de colorants, constate qu’ils sont rares sur le marché. «Lorsqu’on affiche un poste de technicien de laboratoire sur un site Web de recherche d’emploi, on reçoit moins d’une dizaine de CV.»

Mal connu, le programme n’attire pas assez de jeunes. Au Collège de Valleyfield, le taux de placement des diplômés du DEC en techniques de laboratoire avoisine 100 %. Malgré tout, en 2008, l’établissement a réuni de justesse le nombre minimum d’élèves nécessaires pour pouvoir donner le programme en multipliant les rencontres d’information sur les bonnes perspectives d’emploi. Selon Danielle Dunn, les techniciens en génie chimique sont aussi recherchés par l’industrie.

Outre le manque de diplômés, les PME font face à un autre problème. «Les raffineries qui ont les moyens d’offrir de meilleurs salaires viennent souvent chercher des travailleurs qualifiés dans les entreprises pétrochimiques», note Danielle Dunn.

Les diplômés universitaires préfèrent le vert

«Toujours parce qu’elles ne peuvent concurrencer les salaires des grandes entreprises, les PME ont également du mal à dénicher des chimistes en recherche et développement, titulaires d’une maîtrise ou d’un doctorat en chimie», constate Danielle Dunn.

 

Pas facile de dénicher un chercheur, confirme Jean-Jacques Drieux, vice- président aux techniques chez Produits chimiques Magnus, à Boucherville, une entreprise qui conçoit des liquides utilisés notamment dans les méthodes de nettoyage industrielles et les inhibiteurs de corrosion. «Notre entreprise entretient des liens étroits avec les services de placement des universités et participe à tous leurs forums carrières, en plus de miser sur le réseautage et de s’ouvrir aux candidats de l’étranger.»

De plus, les diplômés universitaires lèvent parfois le nez sur certains secteurs de l’industrie. Directrice du Service des stages et du placement à l’École Polytechnique Montréal, Maryse Deschênes remarque que «depuis quelques années, les étudiants en génie chimique ont une préoccupation marquée pour la protection de l’environnement. Ils se dirigent davantage vers des secteurs comme l’environnement, la biopharmacie et le biomédical. Il y a deux ans, lors du boum des sols bitumineux, l’industrie pétrochimique cherchait à recruter nos étudiants, mais ces derniers n’étaient pas intéressés à y faire carrière.»

Même son de cloche à l’Université de Sherbrooke. «Certains secteurs de l’industrie chimique [ex. : peinture, colles] n’affichent plus d’offres d’emploi chez nous, car ils ne reçoivent pas de CV», remarque Chantal Trudeau, coordonnatrice des stages en sciences naturelles et en génie. Dans cette université, les finissants en chimie reçoivent souvent jusqu’à quatre offres de stage. En clair, ils ont le choix!

L’industrie devra prendre en considération cette nouvelle variable pour assurer la relève. Les conditions salariales et de travail ne suffiront peut-être plus à attirer les diplômés.