La chasse, aussi un sport de femmes

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La chasse fait de plus en plus d’adeptes au québec. Et les femmes sont nombreuses parmi les nouveaux convertis. Si bien que des séances de formation en forêt leur sont exclusivement réservées. Qu’entendent-elles dans le call de l’orignal? Explications dans cet article tiré de nos archives.

Il y a quelques années, André-Line Beauparlant a mis en pratique le vieil adage «À Rome, on fait comme les Romains». Avec son conjoint, cette documentariste montréalaise passait de plus en plus de temps à son chalet situé à Montcerf, un village à l’orée de la réserve faunique La Vérendrye. Et à Montcerf, les Montcerfois chassent. Elle a donc pris les armes et s’est mise à chasser.

Bien qu’elle ait encore des réticences à tuer, elle chasse aujourd’hui l’orignal, le chevreuil et le caribou, et prend un immense plaisir à être dans la nature et à manger de la viande exceptionnelle. En 2006, elle réalisait par ailleurs Panache, un portrait de six chasseurs de Montcerf.

La nouvelle chasseuse fait de moins en moins figure d’exception dans ce monde longtemps considéré comme un bastion masculin. Parmi les 15 000 personnes à avoir suivi le cours d’initiation à la chasse avec arme à feu de la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs (anciennement connue sous le nom de Fédération québécoise de la faune) en 2007, plus du quart était des femmes. Un chiffre qui reflète bien une tendance nette : depuis les années 1990, la proportion de femmes parmi les chasseurs a un peu plus que doublé, passant de 10 % à 22 %.

«Les femmes sont plus autonomes qu’auparavant. Elles ont de l’argent, sont plus indépendantes et veulent pratiquer les mêmes activités que les hommes, notamment la chasse», estime Annie Guertin, responsable des relations publiques à la Fédération.

«C’est un hobby nettement plus accessible aujourd’hui qu’il y a 30 ou 40 ans», renchérit Serge Boulanger, qui gère depuis 25 ans la boutique de chasse et pêche B & L Sports, à Montréal. Les forfaits familles désormais offerts dans plusieurs réserves et pourvoiries, les armes plus légères et plus courtes, et les vêtements de chasse spécialement conçus pour les femmes contribuent à attirer la gent féminine dans les rangs des callers d’orignaux. «Sans oublier qu’avec les véhicules tout terrain d’aujourd’hui, on peut aller facilement n’importe où dans le bois. C’est beaucoup moins dur physiquement», ajoute-t-il.

BIENVENUE AUX DAMES

L’univers de la chasse est donc désormais ouvert aux femmes. «Les mentalités ont beaucoup changé au cours des dernières années», confirme Michel Therrien, chroniqueur au magazine Sentier chasse et pêche, et guide formateur de chasse depuis plus de 15 ans. «Quand deux ou trois filles viennent assister à mes cours, c’est certain que les regards des hommes se portent sur elles. Mais dès qu’ils réalisent qu’elles sont passionnées par la nature, les animaux et la chasse, ils les acceptent tout de suite et les considèrent comme leurs égales dans la forêt», assure-t-il.

Comme je vis seule, un chevreuil me nourrit en viande rouge toute l’année. Je n’ai pas acheté de bœuf depuis des lunes. — Mariève Blais

Une évolution qui se fait avec l’arrivée d’une nouvelle génération, selon lui. «Ceux qui chassent depuis longtemps, qui ont vu peu de femmes dans la forêt avec une arme, ont l’impression d’être envahis dans leur bastion. Les plus jeunes voient ça comme un plus.» Car une conjointe qui chasse signifie souvent plus de voyages de chasse par année, en couple ou en famille. Pratiquer son sport favori et passer de bons moments avec sa famille en même temps, c’est le meilleur des mondes pour plusieurs hommes, explique Michel Therrien.

L’ECOLE DES FEMMES

Néanmoins, certaines sont toujours intimidées par la forte odeur de testostérone que dégage encore l’univers des pourvoiries. «Souvent, les femmes sont mal à l’aise à l’idée de partir seules avec un groupe de gars», constate Serge Boulanger. La majorité de ses clientes chassent d’ailleurs seules avec leur conjoint ou avec d’autres couples.

Pour faciliter le premier contact entre le deuxième sexe et la chasse, la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs organise depuis une dizaine d’années Fauniquement femme, un programme d’initiation des néophytes aux rudiments de la chasse et de la pêche. Deux week-ends de formation sont tenus chaque année à la Seigneurie du Triton, en Haute-Mauricie, qui réunissent chacun 25 participantes âgées de 25 à 60 ans.

Des chasseuses expérimentées y forment les recrues sur l’utilisation des armes à feu et la réglementation en forêt, notamment. «Les monitrices qui donnent les cours sont de vraies femmes des bois. Elles constituent d’excellents modèles pour nos participantes, majoritairement issues des milieux urbains. On tient à ce que l’enseignement se fasse par des femmes, parce que les hommes n’ont pas la même approche», explique Annie Guertin.

DAMES DES BOIS

Denise Jeffrey n’a pas eu besoin des bons conseils des monitrices de Fauniquement femme pour prendre goût à la course au gibier. Une double histoire d’amour avec la nature et avec un chasseur l’a menée à viser sa première proie il y a près de 50 ans. Elle est d’ailleurs l’une des premières Québécoises à avoir obtenu un certificat de chasseur, aux débuts des années 1960. Depuis, les chevreuils, ours, orignaux, perdrix, lièvres et autres castors de sa terre, à Saint-Fabien-de-Panet, dans les Appalaches, se sont mesurés à ses carabines et à son arc. «La plupart du temps, je chasse seule. Je médite et je relaxe dans la nature, ça m’aide à surmonter les événements difficiles de ma vie», explique-t-elle.

Pour elle, la différence entre la chasse au masculin et celle au féminin ne fait pas de doute. «Les hommes possèdent la force physique pour sortir les grosses prises du bois, mais les femmes sont souvent plus patientes», observe-t-elle. Et les hommes seraient plus motivés par la perspective d’un beau trophée, tandis que les chasseuses saliveraient davantage pour la viande. Une viande bio, évidemment.

Sans adhérer entièrement à cette théorie, Mariève Blais avoue retirer beaucoup de plaisirs gourmands de ses expéditions de chasse. «Comme je vis seule, un chevreuil me nourrit en viande rouge toute l’année. Je n’ai pas acheté de bœuf depuis des lunes.»

Aujourd’hui âgée de 31 ans, elle manie l’arc et l’arbalète depuis une quinzaine d’années et a déjà réussi l’exploit d’abattre un orignal et un cerf de Virginie dans la même année. Elle chasse sur la terre familiale, à Saint-Valérien-de-Milton, près de Granby, ainsi que dans des pourvoiries, généralement avec un petit groupe mixte. «Pour moi, ce sont des vacances. J’aime être dans le bois, loin de la ville, du téléphone et d’Internet», confie-t-elle.

Et les remords à tuer, dans tout ça? «La bête chassée a toujours une chance de se sauver, dit Mariève Blais. Ce qui n’est pas le cas de la bête née dans une porcherie. Celle-là, c’est certain qu’elle finit dans une assiette!»

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