L’ingénierie au delà du 514

Grâce au boum minier ainsi qu’à de nombreux chantiers, les jeunes ingénieurs prennent du galon en région. De Sept-Îles à Val-d’Or en passant par Trois-Rivières, à quoi ressemble l’ingénierie hors des grands centres urbains?

En 2007, quelques mois après avoir obtenu son diplôme en génie des systèmes électromécaniques à l’Université du Québec à Rimouski, Etienne-Antoine Boucher est débarqué à Sept-Îles, où le boum minier et industriel crée des emplois. «En une semaine, j’avais quatre offres!»

Depuis cinq ans, il travaille comme chargé de projet pour Fabor, une PME spécialisée dans la fabrication de machines et d’équipements industriels lourds. «Je commence à prendre de l’importance dans l’entreprise, à avoir plus de responsabilités : je suis chargé de projet, mais je fais aussi de la conception, des visites de chantier, des soumissions, etc. Je touche un peu à tout. Ça me satisfait vraiment.»

Sur le plan des avantages sociaux, Fabor ne peut rivaliser avec les gros employeurs du coin, comme l’Aluminerie Alouette. «Mais du côté salarial, la PME “accote”, affirme-t-il. Et il y a une liberté dans une PME qu’on trouve moins dans une grosse compagnie. Je peux m’occuper d’un projet de A à Z.»

Plus que des mines

La situation d’Etienne-Antoine vous inspire? Bonne nouvelle : les emplois sont légion en région. La plupart des employeurs en Abitibi, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, sur la Côte-Nord, dans le Nord-du-Québec et en Gaspésie éprouvent des difficultés de recrutement, selon l’Enquête sur le marché du travail en génie de 2011 du Réseau des ingénieurs du Québec.

La demande est si forte que les universités en région n’arrivent pas à la satisfaire.

Une situation qui découle en partie de la vigueur de l’économie et des départs à la retraite, selon Etienne Couture, président du Réseau. «Ça ouvre des postes pour les plus jeunes, mais en même temps il faut réussir à préserver l’expertise des ingénieurs d’expérience.» Sans compter toutes les infrastructures publiques bâties dans les années 1960-1970 (routes, écoles, hôpitaux) qui doivent aujourd’hui être entretenues ou carrément reconstruites, et ce, aux quatre coins de la province.

La demande est si forte que les universités en région n’arrivent pas à la satisfaire, d’autant plus que leurs cohortes d’étudiants sont souvent petites. À l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, à peine une quinzaine de diplômés au total terminent chaque année les programmes de génie mécanique, électromécanique, des mines ou géologique. «Ils ont souvent trois ou quatre offres d’emploi chacun à la fin de leurs études, assure François Godard, directeur par intérim du module d’ingénierie. Il y a une forte activité minière en Abitibi et dans le Nord-Est ontarien. Les compagnies minières, les firmes de génie-conseil et certaines entreprises de services [instrumentation et contrôle, électricité industrielle, mécanique industrielle] embauchent beaucoup de nos finissants.»

Mais assimiler les régions aux seules mines est réducteur. Certains pôles régionaux se spécialisent dans d’autres créneaux. Par exemple, l’École d’ingénierie de l’Université du Québec à Trois-Rivières a développé des spécialités écolos. «Nos diplômés en génie chimique travaillent en optimisation de procédés industriels, dans les technologies vertes et la valorisation de la biomasse», indique Kodjo Agbossou, directeur de l’École.

À Bromont, en Estrie, un concentré de jeunes entreprises en microélectronique, en nanotechnologies, en énergies renouvelables et en nouveaux matériaux attirent des ingénieurs férus de nouvelles technologies. Un exemple évocateur : le Centre de Collaboration MiQro Innovation (C2MI), inauguré au printemps 2012, joue un rôle de partenaire entre la formation en génie et les entreprises. Cette collaboration entre l’Université de Sherbrooke, la Ville de Bromont et l’entreprise Teledyne DALSA Semiconductor constitue «un investissement sans précédent dans le domaine des micro-nanotechnologies pour le développement d’applications commercialisables», déclare Vincent Aimez, directeur du développement des partenariats scientifiques du C2MI et professeur au Département de génie électrique et de génie informatique de l’Université de Sherbrooke. «Des universités travaillent avec le C2MI pour former une main-d’œuvre qualifiée qui aura des perspectives d’emploi élevées.»

L’Estrie compte aussi des entreprises spécialisées dans les énergies renouvelables, notamment l’énergie solaire. «Il y a des projets majeurs en cours de développement, conçus pour le climat québécois. Au Québec, le taux d’ensoleillement direct est plus élevé qu’en Allemagne», leader mondial du photovoltaïque (production directe d’électricité à partir d’énergie solaire), indique Vincent Aimez.

Progression accélérée

En Abitibi-Témiscamingue, la firme de génie-conseil GENIVAR recrute «constamment», affirme sa conseillère en recrutement en poste à Val-d’Or, Valérie Hardy. «On n’a pas de difficulté à dénicher des finissants, dit-elle. Pour les professionnels qui comptent de cinq à dix ans d’expérience, c’est plus compliqué, puisqu’ils ont souvent déjà un emploi.»

Résultat : les nouveaux diplômés progressent rapidement. «Un ingénieur qui a fini son juniorat et a deux années d’expérience peut être en charge d’un projet, par exemple apporter des modifications à un concentrateur de minerai pour accroître la production d’une mine, affirme Valérie Hardy. Je connais des directeurs qui ont 35 ans et qui participent à des projets d’envergure, comme la construction de tous les bâtiments pour une mine. En ville, la progression de carrière est souvent plus lente, on devient directeur plus tard, vers 50 ans.»

À Trois-Rivières, les bouchons de circulation sont inexistants. Se rendre au bureau prend toujours au maximum 10 minutes, peu importe où l’on habite dans les limites de la ville. Pascal Messier, ing., Johnston-Vermette groupe-conseil

Même son de cloche à la firme de génie-conseil Cegertec, installée à Chicoutimi. «Les jeunes ont plus de chances de réaliser rapidement des projets importants et de prendre du galon, puisqu’il y a moins d’ingénieurs d’expérience», explique Stéphane Leduc, vice-président et directeur général.

David Laliberté, ingénieur mécanicien pour une PME de Rouyn-Noranda spécialisée dans la fabrication d’appareils de pompage industriel d’eaux propres et usées, peut en témoigner. «Je travaille dans un champ plus large que le seul génie mécanique. Je fais de la structure, du calcul de tuyauteries, de la conception 3D, de la supervision de chantier, énumère-t-il. L’avancement est rapide et il y a moins de compétition. On a plus de chances de montrer notre valeur et les gens nous font davantage confiance quand on travaille sur des projets d’envergure.»

Boulot-nature-dodo

Autre aspect intéressant d’une carrière en région : la qualité de vie. «À Trois-Rivières, les bouchons de circulation sont inexistants. Se rendre au bureau prend toujours au maximum 10 minutes, peu importe où l’on habite dans les limites de la ville», déclare Pascal Messier, ingénieur électricien, directeur du bureau de Trois-Rivières de Johnston-Vermette groupe-conseil, une firme d’ingénierie spécialisée en industrie lourde. Il est aussi possible de vivre à la campagne tout en étant à seulement 30 ou 45 minutes de la ville et du boulot, ajoute-t-il.

Bien que l’immobilier soit de plus en plus onéreux à Trois-Rivières, le coût de la vie demeure abordable comparativement à celui de la métropole. «La différence est de l’ordre de 15 ou 20 % : quelqu’un qui gagne 50 000 $ par année à Trois-Rivières devrait en gagner 60 000 ou 65 000 $ à Montréal pour avoir le même train de vie», observe Pascal Messier.

Le portrait est le même à Val-d’Or. «Il y a actuellement une flambée de l’immobilier, mais ce n’est pas aussi coûteux qu’à Montréal, assure Valérie Hardy. Les maisons sont abordables, avec de grands terrains, les résidences secondaires aussi. On peut aller dîner à la maison et rentrer tôt le soir pour s’occuper de ses enfants.»

Certains travailleurs des régions n’ont même pas besoin de chercher un logement ou une propriété, ils sont logés par leurs employeurs. C’est le cas de ceux qui œuvrent sur les chantiers éloignés du Grand Nord, où le fly in, fly out est un mode de vie. Ils travaillent quelques semaines consécutives, sans congés, logés dans un campement, reviennent à la maison quelques semaines pour se reposer, et recommencent.

Une carte de visite

Le travail en région peut donc se révéler une excellente stratégie pour commencer sa carrière : plongé dans l’action, l’ingénieur débutant peut démontrer sa polyvalence et grimper les échelons plus aisément que dans une grande organisation, tout en bénéficiant d’une qualité de vie enviable.

Un ingénieur devenu spécialiste d’une industrie ou d’un procédé typique d’une région en particulier, les mines ou l’hydroélectricité par exemple, pourra ensuite offrir son expérience dans d’autres régions du Québec et même à l’international, fait valoir Johanne Desrochers, présidente-directrice générale de l’Association des ingénieurs-conseils du Québec. «La demande d’ingénieurs est mondiale. Les pays en émergence ont des besoins immenses. En Chine, les 250 000 ingénieurs formés chaque année ne suffisent pas à la tâche.» Aujourd’hui, une région du Québec. Demain, le monde!

Le Plan Nord

Dévoilé en mai 2011, le Plan Nord est un vaste projet de développement énergétique, minier, forestier, touristique et de transport, sur un immense territoire au nord du 49e parallèle : près de 1,2 million de kilomètres carrés, soit 72 % de la superficie du Québec. Le gouvernement du Québec prévoit, sur 25 ans, des investissements de plus de 80 milliards de dollars ainsi que la création ou la consolidation de 20 000 emplois par année.

Les ingénieurs en génie minier, géologique, forestier, électrique, mécanique, civil et autres seront aux premières loges… en principe. Car le Plan Nord est contesté de toutes parts. Au point de vue de l’économie, ses retombées sur les finances publiques, les redevances sur les ressources naturelles, la création d’emplois dans la transformation, etc., font l’objet d’évaluations contradictoires.

Le Plan Nord sera-t-il le projet d’une génération comme l’a été l’hydroélectricité dans les années 1960-1970? «C’est plus facile à dire après que pendant, répond Etienne Couture, président du Réseau des ingénieurs du Québec. Mais on peut dire que la situation de l’emploi est très bonne. Tout ce qui est mis en branle par le gouvernement dans le Nord est créateur d’emplois pour les ingénieurs.»

Cet article est tiré du guide
Les carrières de l’ingénierie 2013