Impressionner les recruteurs (mais pas trop)

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Dans l’espoir de se démarquer, des postulants mettent sur pied de véritables campagnes d’autopromotion. Stratégie gagnante ou pari risqué?

Entrée remarquée

Avec une durée moyenne du chômage à la hausse (il faut maintenant compter 18 semaines pour retrouver du boulot), tant au Québec qu’au Canada, certains sans- emploi un brin découragés sortent l’artillerie lourde pour se faire remarquer des employeurs potentiels.

Ainsi, grâce au Web notamment, des candidats à l’emploi usent de tactiques dignes des grandes campagnes de marketing, au lieu d’envoyer des CV classiques. Imitation de campagne électorale, homme-sandwich dans la rue, vidéos loufoques sur YouTube, l’imagination des chômeurs excédés par leur condition n’a plus de limite.

«J’ai vu des gens attacher des bannières derrière des avions, laisser tomber des milliers de cartes professionnelles au-dessus d’une foule lors d’un concert, placer un mini-CV dans des biscuits chinois, etc.», raconte David Perry, chasseur de têtes, directeur général de Perry-Martel et coauteur du livre Guerrilla Marketing for Job Hunters.

Recommanderait-il à un chercheur d’emploi d’orchestrer un geste à grand déploiement aussi extravagant? «Je ne suis pas contre l’idée en soi, mais cet argent et ces efforts seraient mieux investis ailleurs.»

Même son de cloche à la Tête chercheuse, une entreprise montréalaise de chasseurs de têtes. «Le risque est de se faire remarquer mais de ne pas avoir de substance lors du suivi», explique la présidente, Louise Décarie.

Selon David Perry, mieux vaut utiliser ses ressources pour effectuer des recherches sur la compagnie visée – de même que sur ses concurrents –, et écrire une lettre de présentation pertinente pour l’employeur. Ensuite, seulement, on peut penser à une petite idée originale pour se démarquer sans se ruiner. Comme envoyer une tasse à café et un chèque-cadeau de chez Starbucks avec une note disant : «Maintenant, vous n’avez plus de raison de ne pas prendre un café avec moi», illustre-t-il.

Pour être réussi, un coup d’éclat doit mettre en lumière les talents de son instigateur plutôt que sa seule témérité. C’est ce que Seth Godin, véritable gourou américain du marketing, appelle le principe de la vache mauve : se démarquer de ses semblables, comme une vache mauve dans un troupeau de bovins ordinaires.

Il existe toutefois plusieurs risques à vouloir se faire remarquer à tout prix. Certains ont des idées carrément mal inspirées. «J’ai déjà vu un homme à Montréal se déguiser en Arabe et livrer une boîte dans laquelle se trouvait un métronome qui faisait “tic tac”, raconte David Perry. Il faut être complètement idiot!»

Il y a aussi le danger qu’une «bonne» idée devienne la risée du Web. La Française Isabelle Moreau est devenue une minisensation en août dernier avec un vidéoclip où elle chante «Isabelle communique, -nique, -nique». De nombreux internautes se sont moqués de l’air, des paroles, de même que de la facture amateur de la vidéo. «L’embaucheriez-vous pour faire vos communications après avoir vu ce clip?» demande Louise Décarie.

Poser la question, c’est beaucoup y répondre.

Quelques coups d’éclat

Lors des élections municipales françaises en 2008, la candidate Emma Bignon a fait parler d’elle dans plusieurs médias nationaux. Seulement, elle ne cherchait pas à se faire élire; elle voulait un job!

Fraîchement diplômée en communication, la jeune femme de Rennes, en Bretagne, a organisé une véritable campagne d’autopromotion calquée sur les législatives en cours. Sur les places publiques, une écharpe aux couleurs de l’Hexagone autour du cou, elle a distribué aux passants son CV sous forme de programme électoral. Et comme toute bonne politicienne, elle a aussi fait du porte-à-porte en allant cogner chez les grandes agences de publicité.

«J’avais envoyé une tonne de CV de façon traditionnelle, mais je ne recevais aucune offre d’emploi», raconte la jeune femme de 24 ans. Après un mois de campagne intensive, elle a obtenu un poste d’assistante de communication dans un complexe touristique.

Au printemps dernier, l’analyste de données au chômage Dawn Montgomery distribuait des dépliants dans la grande région de Toronto, sur lesquels figuraient notamment son slogan («She always goes the extra mile») ainsi que son numéro de téléphone, dont les quatre derniers chiffres épellent son nom.

Steve Faguy a trouvé un moyen simple d’être une «vache mauve», comme le recommande Seth Godin, quand il a postulé un poste de pupitreur au quotidien montréalais The Gazette il y a quelques années. En plus de l’habituel CV, il a joint à sa demande d’emploi une page du quotidien sur laquelle il avait relevé les erreurs typographiques, les fautes de grammaire ou les inconsistances de style. Autrement dit, il démontrait qu’il pouvait faire le boulot mieux que la personne en place.

À l’entrevue d’embauche, Steve Faguy et son employeur ont pu éviter les banalités habituelles pour parler concrètement des tâches liées à l’emploi. «Il n’était pas d’accord avec toutes mes remarques, mais il a reconnu que certaines erreurs s’étaient glissées dans la page et que j’avais pu les déceler», explique-t-il.

Toutefois, c’est ultimement son expérience en tant que pupitreur dans un journal étudiant qui lui a valu le poste, croit Steve Faguy.

Karine Miron, elle, s’est fait remarquer grâce à une vidéo («Did you know? Tourism 2.0») sur le marketing du tourisme en ligne postée sur YouTube. Sa vidéo de même que son blogue et son compte Twitter se sont rapidement attiré l’attention des blogueurs d’affaires influents. Avant même de quitter l’école, la jeune femme de 24 ans avait reçu de nombreuses offres d’emploi de la part d’agences de marketing Web. Elle a finalement accepté un poste de stratège Web chez Adviso. «Je n’aurais probablement pas eu ce poste aussi tôt dans ma carrière sans ma vidéo et mon blogue», estime la principale intéressée.

Son employeur, Jean-François Renaud, nuance. «C’est vrai que nous lui avons confié un poste en tourisme parce que nous avons vu qu’elle était déjà spécialisée dans ce créneau, dit-il. Mais la raison pour laquelle je l’ai engagée, c’est parce que son professeur m’a dit qu’elle était la meilleure de toute sa cohorte.»

Il s’agit là de son meilleur stunt promotionnel…