Go West, young man?

Les Québécois croient qu’il suffit de mettre le pied en Alberta pour améliorer leur sort. Erreur. Vaut mieux y penser à deux fois avant de faire ses bagages.

Depuis que le prix du pétrole atteint des sommets, l’Alberta est la vedette de l’économie canadienne. Par exemple, en octobre 2006, cette province affichait un taux de chômage d’à peine 3 %, contre 7,7 % au Québec. Puisque les entreprises manquent de main-d’œuvre, les salaires défient souvent toute compétition. Même les jobines sont bien payées!

«Les commis de la restauration rapide et du commerce de détail peuvent gagner jusqu’à 12 $ de l’heure», indique Suzanne Corneau, directrice d’Accès-Emploi, un centre d’emploi francophone basé à Edmonton. C’est plus que le taux horaire moyen de 8 $ à 10 $ généralement obtenu par ces travailleurs au Canada. Et bien plus que le salaire minimum albertain de 7 $ de l’heure. À Fort McMurray, une municipalité située au cœur des sables bitumineux, source de la fortune albertaine, «ces mêmes employés peuvent empocher jusqu’à 16 $ de l’heure», ajoute-t-elle.

Les entreprises n’ont guère le choix d’être généreuses si elles veulent garder leurs salariés, qui se font rares. «Certains Tim Hortons ont dû fermer leur salle à manger cette année et fonctionner uniquement avec le service à l’auto parce qu’ils manquaient d’employés», dit Nancy Oldroyd, directrice des ressources humaines du Groupe TDL, la compagnie mère de Tim Hortons.

Payés comme des députés

Dans le secteur primaire – les productions gazière, pétrolière, forestière, minière ou agricole –, les salaires hebdomadaires moyens sont environ 400 $ plus élevés en Alberta qu’au Québec, calcule Statistique Canada. Dans l’industrie du pétrole, en particulier, «les monteurs de charpente métallique, les tuyauteurs et les monteurs-réparateurs de conduites de vapeur peuvent gagner de 80 000 $ à 100 000 $ par année, en faisant des heures supplémentaires», dit Gil McGowan, président de l’Alberta Federation of Labour, un regroupement de syndicats et d’organisations d’employés. Soit presque l’équivalent du salaire d’un député québécois!

Dans cette province, qui n’est pas réputée pour être francophile, certains techniciens arrivent pourtant à travailler en français! Désespéré de trouver des ouvriers pour ses projets à Fort McMurray, le producteur de pétrole et de gaz naturel Canadian Natural a recruté au Québec et créé des équipes 100 % francophones. «Mais il s’agit davantage d’une exception que de la norme», précise Gil McGowan.

Ils y perdent au change

Cependant, ce ne sont pas tous les travailleurs qui gagnent de gros sous. Les maîtres d’hôtel, les éducateurs de la petite enfance ou les esthéticiennes, par exemple, empochent moins de 20 000 $ par année, d’après WageInfo, un sondage sur les salaires mené en collaboration avec le gouvernement provincial. D’autant plus que le coût de la vie a explosé en Alberta. L’indice des prix à la consommation de Statistique Canada y a augmenté de 3,7 % au cours de 2005 et 2006. Au Québec? De 0 %! «À moins de travailler dans le pétrole ou au siège social d’une grande entreprise, c’est moins avantageux de déménager dans l’Ouest qu’il y a cinq ans», croit Herbert Emery, professeur au Département d’économie de l’Université de Calgary.

Et encore. En 2005, les maisons albertaines valaient en moyenne 33 000 $ de plus que les québécoises, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement. Et la différence devrait atteindre 86 000 $ en 2006! «Un trois et demie dans un quartier défavorisé d’Edmonton peut facilement coûter 600 $ par mois», ajoute David Caron, professeur d’économie au Campus Saint-Jean de l’Université d’Alberta. La pénurie d’habitations à Fort McMurray est telle que même les campings débordent de travailleurs, qui y campent.

Quatorze heures par jour

Ceux qui rêvent de faire fortune dans l’Ouest risquent donc d’être déçus. «Certains Québécois sont prêts à travailler n’importe où, mais n’ont pas d’expérience ou ne connaissent pas l’anglais. Mais pour faire de la construction industrielle, par exemple, il faut suivre un cours qui ne se donne qu’en anglais. De même, les soudeurs ou électriciens doivent être qualifiés pour être bien rémunérés», dit Suzanne Corneau.

Par ailleurs, les emplois de Fort McMurray ont beau offrir de généreux chèques de paie, il faut être vaillant pour les pourvoir. «Les soudeurs, électriciens, chaudronniers ou ferblantiers travaillent 10, 12 ou 14 heures par jour, 7 jours sur 7», affirme Mme Corneau. «En 2005, l’Alberta a obtenu le taux d’accidents de travail le plus élevé depuis 25 ans. Les employeurs engagent des gens insuffisamment qualifiés pour pallier la pénurie de travailleurs», ajoute Gil McGowan.

«Il faut connaître les postes disponibles, les salaires offerts et le coût des loyers avant d’arriver ici», estime Frank Saulnier, président-directeur général de la Chambre économique de l’Alberta. Et, idéalement, avoir une offre d’emploi en poche, de même qu’une adresse où loger!