Entrepreneuriat : Le mythe du «French pea soup»

Contrairement à la croyance populaire, les Québécois ont toujours été des entrepreneurs dégourdis. Et l’Église catholique a été une alliée précieuse dans leur développement.

L’historien du travail Jacques Rouillard n’adhère pas un instant au mythe du Québécois frileux en affaires. «Ceux qui prétendent cela s’appuient sur des perceptions plutôt que des faits. L’étude des archives prouve qu’ils ont été des commerçants actifs tout au long de leur histoire», affirme ce professeur de l’Université de Montréal.

Certes, la Conquête de 1763 a porté un dur coup aux Canadiens français sur le plan économique. Ils ont alors perdu le contrôle de secteurs cruciaux de leurs activités commerciales, dont la traite de la fourrure, tombée entre les mains des riches anglo-saxons. «Beaucoup d’historiens décrivent cet épisode comme une castration», dit Gilles Laporte, historien spécialiste du 19e siècle au Québec. Jusqu’à la Révolution tranquille, les anglophones tiennent les rênes des grandes entreprises au Québec. Ils sont très présents à Montréal, à l’époque la capitale économique du Canada. En 1885, alors que la proportion des francophones dans la population du pays est de 30 %, ils ne représentent que 7 % de la grande bourgeoisie industrielle canadienne. Seule une poignée de Canadiens français parvient à jouer dans la cour des grands, un des plus illustres étant Joseph Masson (1791-1847), premier millionnaire canadien-français. Il fait sa fortune dans l’import-export et le transport, et participe à la construction du premier chemin de fer au Canada, en 1832.

Mais l’esprit d’entreprise des francophones ne dort pas dans les boules à mites pour autant. Il se manifeste surtout à l’extérieur des grandes villes, où les anglophones sont peu présents. «Comme il fallait répondre aux besoins de la population locale, les francophones ont développé de nombreuses PME, surtout dans le domaine de l’agriculture. Des fabriques de beurre, par exemple», dit Jacques Rouillard. À la fin du 19e siècle, grâce à l’expansion du réseau de chemin de fer, des propriétaires de ferme laitière exportent leurs produits jusqu’aux États-Unis.

Les francophones fondent aussi des compagnies d’assurance et une flopée de modestes institutions financières, tels le Mouvement des caisses Desjardins et l’ancêtre de la Banque Nationale, la Banque Canadienne Nationale. Ces institutions permettent le financement de projets en région, où de grandes banques anglophones, comme La Banque Royale et la Banque de Montréal, n’ont pas de succursales.

Même le clergé s’y met! La société de secours mutuel l’Union Saint-Joseph, aujourd’hui la compagnie d’assurance vie La Survivance, à Saint-Hyacinthe, a été fondée par l’abbé Louis-Zéphirin Moreau. «C’est grâce à cette institution que les frères Casavant ont pu mettre sur pied leur célèbre facture d’orgues en 1880», raconte Gilles Laporte.

La participation des membres du clergé à la vie économique du Québec n’est pas anecdotique. Par exemple, la Banque d’Épargne de la Cité et du District de Montréal, devenue plus tard la Banque Laurentienne, a été fondée par Mgr Ignace Bourget, second évêque de Montréal. «L’Église catholique n’a jamais incité les Québécois à la pauvreté : elle en avait surtout contre le capitalisme sauvage, dit Gilles Laporte. Elle souhaitait développer un modèle économique alternatif, comme en témoignent les coopératives agricoles, notamment.» Le commerce était même enseigné par les congrégations dans certains collègues classiques, note Jacques Rouillard.

«Par ailleurs, le clergé n’était pas seul à exercer une influence sur l’entrepreneuriat : la bourgeoisie d’affaires se faisait aussi entendre, notamment à travers les chambres de commerce – celle de Québec a été fondée en 1809, et celle de Montréal, en 1885 –, mais aussi à travers les hebdos régionaux et des quotidiens comme La Presse, La Patrie et Le Canada, soutient Jacques Rouillard. Leur discours valorisait le développement industriel, la propriété privée et la participation des francophones à la croissance économique du Québec.»

Le Québec s’est industrialisé à un rythme comparable à celui des pays occidentaux, note l’historien du travail. «La société francophone est depuis longtemps traversée d’un vigoureux courant libéral qui l’a sensibilisée au progrès économique. Rien dans sa mentalité ne l’a jamais empêchée de réussir en affaires.»

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