Effacer les mauvais souvenirs

Marie-France Marin
Marie-France Marin, Doctorante en sciences neurologiques, Centre d'études sur le stress humain, Hôpital Louis-H. Lafontaine
Photo : David Simard

L’étudiante en sciences neurologiques Marie-France Marin a créé toute une commotion avec sa découverte surréelle.

En mai dernier, il est arrivé à Marie-France Marin ce qui n’arrive quasi jamais au cours d’une carrière scientifique : elle est devenue une vedette instantanée. Alors que des contingents de professeurs émérites passent leur carrière dans l’anonymat, l’étudiante au doctorat en sciences neurologiques de 28 ans a réussi à attirer sur elle les projecteurs après avoir publié, dans la revue américaine The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism, une étude sur une pilule qui peut atténuer les mauvais souvenirs.

«C’était fou raide!» s’exclame cette brunette dynamo originaire de Rimouski, couverte de prix et de bourses d’excellence. Elle a accordé plus de 100 entrevues à des journalistes du monde entier. «Ma mère s’est mise à jouer les René Angélil : elle tenait un horaire serré de mes apparitions dans les médias», rigole-t-elle.

À l’Université de Montréal et au Centre d’études sur le stress humain de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine, deux établissements auxquels elle est rattachée, rarement a-t-on vu des travaux scientifiques faire autant de bruit.

L’étude qui a semé cet émoi examine les effets du métyrapone, une molécule utilisée d’habitude pour traiter la maladie de Cushing (un problème des glandes surrénales). Lors de l’expérience, on a exposé des participants à un diaporama présentant en alternance des images neutres et choquantes – une fillette dont la main est tranchée par une scie par accident, entre autres. On a laissé le souvenir se stabiliser dans leur cerveau pendant quelques jours, puis certains ont reçu du métyrapone. Quand on a demandé à tous les participants de se souvenir du diaporama, ceux qui avaient pris le médicament se souvenaient moins des images négatives que ceux ayant reçu un placebo.

«Plus intéressant encore, l’effet s’est maintenu quatre jours plus tard, alors que le médicament n’était plus actif, explique Marie-France Marin. Ça signifie qu’il est possible de changer de façon durable des souvenirs, même après qu’ils ont été bien gravés dans le cerveau.»

Cette opération magique est due au fait que le métyrapone réduit la présence d’une hormone de stress dans l’organisme, le cortisol. «On pourrait peut-être aussi diminuer ce taux en utilisant d’autres moyens qu’un médicament, comme la méditation, mais cela reste à démontrer», explique la doctorante.

Au début des années 2000, celui qui a initié Marie-France Marin au monde fascinant de la reconsolidation de la mémoire, le chercheur de l’Université McGill Karim Nader, a connu lui aussi un succès monstre quand il a réussi à estomper un souvenir négatif gravé depuis quelques jours dans la mémoire d’un groupe de rats en leur injectant une substance chimique dans l’amygdale du cerveau, en même temps que ces mauvais souvenirs étaient réactivés. Sa recherche, parue dans la prestigieuse revue Nature, a même inspiré le scénario du film Eternal Sunshine of the Spotless Mind, avec les acteurs Jim Carrey et Kate Winslet.

Toutefois, comme ce fut le cas avec les travaux de Karim Nader, les réactions à l’étude de Marie-France Marin sont parties dans tous les sens. «Certains disaient que notre équipe avait enfin découvert la “pilule du bonheur”, d’autres nous accusaient de vouloir effacer la mémoire collective!» se désole-t-elle.

Certes, elle comprend que l’idée d’altérer un souvenir pour toujours grâce à un médicament suscite la controverse. Mais des nuances s’imposent. D’abord, si la fameuse pilule était commercialisée, elle ne serait pas destinée aux Madeleine pleurant leurs amours déçues, mais à ceux ayant subi des chocs psychologiques si violents qu’ils ne sont plus fonctionnels. Des victimes de viol, des témoins de tragédies ou des soldats dont le quotidien est pourri par les cauchemars et les flash-backs, par exemple.

«Le but de l’équipe dont je fais partie n’est pas de “mettre le party!” Et, contrairement à ce que certains prétendent, on n’a jamais dit que les approches traditionnelles avec un psychologue ne valaient rien.» Reste que certaines victimes de choc post-traumatique sont très réfractaires à la thérapie et qu’un médicament «calmant» leur mémoire pourrait les aider à se remettre en selle.

De toute façon, ce n’est pas tant le métyrapone qui excite Marie-France Marin – elle laisse à d’autres le soin de développer des pilules. Ce qui l’intéresse, c’est ce fameux cortisol, dont l’impact sur la mémoire se précise.

Les mécanismes de la mémoire et du stress recèlent bien des énigmes auxquelles Marie-France Marin veut s’attaquer dans le cadre d’un post-doctorat qu’elle espère faire à l’Université Harvard, à Boston.

Mais la démarche s’annonce ardue. Encore récemment, une sommité en sciences neurologiques lui a dit que les travaux sur la reconsolidation de la mémoire n’avaient «aucun bon sens». «Je me fais rentrer dedans, mais ça me stimule!» Celle qui dit avoir hérité de son père le culot de l’entrepreneur fait de la recherche pour explorer de nouvelles avenues, et non pour répéter ce qui a déjà été fait. «Ma directrice de thèse, Sonia Lupien, m’a déjà prévenue que si je voulais être chercheuse, il me faudrait me battre pour prouver au monde que mes travaux sont indispensables.» Ce conseil, elle se le rappelle chaque jour.

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